Retour sur le miracle allemand

Économie la plus dynamique en Europe, l’Allemagne est-elle maintenant un modèle pour la reprise ?

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Retour sur le miracle allemand

Publié le 15 septembre 2010
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George Soros et d’autres éminents économistes keynésiens ont critiqué cet été ce qu’ils considèrent être une discipline budgétaire trop stricte de l’Allemagne. Pourtant, la production réelle de l’Allemagne a augmenté à un taux annuel vigoureux de 9% au deuxième trimestre, tandis que l’économie américaine a progressé à un taux anémique de 1,6%. L’Allemagne est-elle maintenant un modèle pour la reprise ?

Dans un éditorial Juin, le ministre allemand des Finances, , a justifié la décision du gouvernement de réduire les dépenses, citant « l’aversion pour les déficits et les craintes inflationnistes, qui trouvent leurs racines dans l’histoire allemande du siècle passé. » Il faisait sans doute référence à l’hyperinflation destructrice des années 1920.

Pourtant, M. Schäuble aurait pu citer un autre épisode pertinent de l’histoire de sa nation. Il y a soixante-deux ans, l’Allemagne devenait un modèle de reprise, après une crise très différente. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les villes, les usines et les voies ferrées de l’Allemagne étaient en ruines. Les graves pénuries de nourriture, de carburant, d’eau et de logement posaient des défis à la simple survie.

Malheureusement, les décideurs de l’occupation perpétuaient la pénurie en conservant le contrôle des prix que le gouvernement nazi avait imposé avant et pendant la guerre. Les consommateurs et les entrepreneurs luttaient contre le régime bureaucratique de contrôles et de rationnement dans ce que l’économiste allemand Ludwig Erhard décrivit comme Der Papierkrieg – la guerre du papier. Les marchés noirs étaient partout.

Le nouveau parti social-démocrate allemand souhaitait continuer les contrôles et le rationnement, et quelques conseillers américains étaient d’accord, en particulier John Kenneth Galbraith. Galbraith, fonctionnaire du Département d’Etat américain supervisant la politique économique pour l’Allemagne occupée et le Japon, avait été le « tsar américain des contrôles de prix » depuis 1941-1943 ; il rejetait complètement l’idée de raviver l’économie allemande en supprimant les contrôles.

Heureusement pour les Allemands ordinaires, Erhard – qui devint directeur de l’administration économique des zones d’occupation anglaise et américaine en avril 1948 – pensait autrement. Une réforme monétaire qu’il avait aidé à concevoir avait été prévue pour remplacer le faible Reichsmark par le nouveau Deutsche Mark dans les trois zones occidentales le 20 Juin. Sans l’approbation du commandement allié militaire, Erhard saisit l’occasion de publier un décret abolissant la plupart des contrôles de prix et des directives de rationnement. Plus tard, il dira à ses amis que le commandant américain, le Général Lucius Clay, lui avait téléphoné après avoir entendu parler du décret et lui dit: « Professeur Erhard, mes conseillers me disent que vous faites une grosse erreur. » Erhard lui répondit : « Mes conseillers aussi. »

Ce n’était nullement une grosse erreur. Dans les semaines suivantes Erhard supprimait de la zone d’occupation britannique et américaine la plupart des contrôles de prix qui subsistaient, le contrôle des salaires, les ordonnances de répartition et les directives de rationnement. Les effets de la suppression des contrôles furent spectaculaires.

Les pénuries prirent fin, le marché noir disparut, et la reprise de l’Allemagne s’amorça. Les échanges avec des Deutsche Mark remplacèrent le troc. Les observateurs remarquèrent que les usines commençaient à fumer, que les camions de livraison envahissaient les rues, et que le bruit des équipes de construction raisonnait à travers les villes.

Le succès remarquable des réformes les rendit irréversible. Quelques mois plus tard la zone française emboîtait le pas. Les autorités alliées baissèrent ensuite les taux d’imposition de façon substantielle.

Entre Juin et Décembre 1948, la production industrielle dans les trois zones occidentales augmenta spectaculairement de 50%. En mai 1949, les trois zones étaient fusionnées pour former la République fédérale d’Allemagne, communément appelée Allemagne de l’Ouest.

La croissance s’est poursuivie avec les politiques favorables au marché du nouveau gouvernement ouest-allemand. Erhard devint ministre des Affaires économiques, servant sous le chancelier Konrad Adenauer de 1949 à 1963. L’économie ouest-allemande ne fit pas seulement mordre la poussière à l’Allemagne de l’Est, elle dépassa la France et le Royaume-Uni en dépit d’une aide bien inférieure du plan Marshall. Ce fut l’époque du Wirtschaftswunder ou «miracle économique».

Entre 1950 et 1960 la production réelle de l’économie ouest-allemande a plus que doublé, croissant à un taux annuel de près de 8%. Les économètres qui ont essayé d’analyser les différents facteurs contribuant à cette performance remarquable ont constaté que tout ne peut être attribué à la croissance de la main-d’oeuvre et des flux d’investissement, ou au «rattrapage» à partir d’un faible niveau initial de production. Une grande partie de la croissance de cette période est expliquée par une politique économique de qualité.

Erhard succéda à Adenauer en 1963 et fût chancelier trois ans. Son succès électoral traduisait l’approbation des politiques qui avaient enclenché le Wirtschaftswunder.

Erhard tirait ses idées des économistes pro-marché de l’Université de Fribourg, en particulier Walter Eucken, qui a développé une philosophie libérale classique connue sous le nom d’Ordo-libéralisme. L’intérêt pour les idées Ordo-libérales diminua en Allemagne après 1963, éclipsé par l’économie keynésienne. L’État-providence progressa. L’économie s’étouffait avec les politiques favorisant les groupes d’intérêt. Ce n’est pas une coïncidence si la croissance économique a alors diminué. De 1960 à 1973, elle a été environ la moitié de celle des années 1950 et sur la période de 1973 à 1989, encore divisée par deux, à seulement 2% par an.

L’intérêt pour l’Ordolibéralisme regagna les universitaires dans les années 1970 et 1980, et il continue à jouir d’une présence institutionnelle à l’Université de Fribourg et à l’Institut Walter Eucken. Un intérêt accru aussi chez les hommes politiques pourrait être la meilleure chose pour relancer la croissance économique allemande sur le long terme.

Si M. Schäuble est sincère quand il déclare que, par comparaison avec les décideurs politiques des États-Unis, « nous avons une vision de plus long terme et sommes, par conséquent, davantage préoccupés par les conséquences des déficits excessifs et les dangers d’une inflation élevée », il peut trouver une modèle utile dans la politique de son prédécesseur il y a 60 ans.

Article repris depuis unmondelibre.org avec l’aimable autorisation d’Emmanuel Martin

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