Pourquoi la régulation financière étatique est condamnée à échouer

L’histoire des lois bancaires et financières tord le cou aux préjugés selon lesquels la banque et la finance, opérant dans un environnement législatif totalement libéralisé, auraient librement choisi d’agir le plus stupidement possible.

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Pourquoi la régulation financière étatique est condamnée à échouer

Publié le 15 septembre 2010
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Toutes les radios, tous les journaux télévisés vous le disent :
« la réglementation de la finance va être beaucoup plus sévère, les errements de la période « néolibérale » sont définitivement terminés, et le spectre des crises financières est notablement éloigné. Car les règles financières « Bâle III » vont, c’est sûr, nous préserver de nouveaux accès de fièvre financiers. Vive l’état, vive le régulateur… »

Non mais franchement. Vous y croyez , vous ?

Scepticisme

Si vous lisez ces chroniques depuis quelques temps, vous êtes déjà habitué à une certaine méfiance de ma part quant aux vertus de l’hyper-régulation législative publique dans l’économie. L’histoire des lois encadrant la banque et la finance tord le cou aux préjugés les plus en cour selon lesquels la banque et la finance, opérant dans un environnement législatif totalement libéralisé, auraient librement choisi d’agir le plus stupidement possible. Au contraire, vous savez combien les législations en vigueur et nombre d’interventions publiques, notamment aux USA, ont largement contribué à alimenter la bulle, puis la crise.

La cause est entendue : l’actuelle législation de la banque et de la finance est totalement inefficace voire contre-productive. J’ai critiqué récemment un des aspects les plus discutables de Bâle III, et au fur à mesure que les détails en seront connus, gageons que les effets pervers en seront anticipés, disséqués et débattus dans la blogosphère spécialisée. Mais élevons un peu le débat au dessus du simple épisode Bâlois.

La question qui se pose est de savoir si l’on peut rêver qu’instruit par ses erreurs passés, le législateur puisse enfin se doter d’une législation qui soit enfin la bonne, ou si quelles que soient les lois votées, elles sont condamnées à produire des effets pervers. Comme vous le savez, je penche pour la seconde proposition, mais il reste encore à l’étayer.

Il est courant de lire sur les sites libéraux qu’une législation prétend adresser les maux de la précédente crise mais porte en germe les maux de la suivante. Ce principe de « fatalité législative », toutefois, mérite d’être argumenté.

Vérification empirique du principe de fatalité législative

Toutes les législations qui encadrent l’activité bancaire ont, peu ou prou, été décidées soit à l’issue d’une crise, soit en réaction à des dysfonctionnements jugées suffisamment importantes par le législateur. Bien sûr, ces législations ont pu avoir pour but de satisfaire tel ou tel lobby, mais dans ce cas, la réaction à un problème passé a pour le moins servi de prétexte.

Par exemple, la création de la FED, en 1913, était censée diminuer la fréquence des faillites bancaires en instaurant un prêteur de dernier recours. Des chercheurs tels que Randall Krozner ont montré que l’instabilité bancaire avait plutôt augmenté après la création de la plus grande banque centrale du monde.

Si l’on dresse une courte liste incomplète des régulations bancaires mises en place après la naissance de la FED, l’on constate que pratiquement toutes, qu’elles soient plutôt « castratrices », ou au contraire « libératrices », ont sans doute été conçues comme des commencements de solutions à un problème passé, mais ont porté en germe un dysfonctionnement futur.

Revenons brièvement sur quelques éléments de l’histoire bancaire récente des USA (deux articles plus complets sur la question ici et là).

Ces lois bien intentionnées…

Revenons brièvement sur quelques exemples, non exhaustifs, de l’histoire bancaire récente des USA (deux articles plus complets sur la question ici et là).

Deux lois importantes, la loi Mc Fadden en 1927, amendée par l’amendement Douglas en 1935, ont de facto interdit aux banques américaines de s’étendre, sauf rares exceptions, hors des frontières de leur état d’origine. Or, les banques qui prêtent ont besoin de diversifier leur risque, notamment au niveau géographique : la faillite d’un gros employeur local ne peut ainsi provoquer leur faillite.

De même le très médiatisé Glass Steagall act, qui a interdit aux banques de mélanger certaines activités, a certes empêché que les banques ne prennent trop de risque avec l’argent de leurs déposants, mais il a en contrepartie interdit la diversification des risques par une grande variété d’actifs.

Résultat : en 1938, le crédit immobilier aux USA était presque au point mort. Le législateur est il revenu sur les lois passées ? Non, il a créé une agence publique, Fannie Mae, pour pratiquer la diversification géographique du risque qu’il avait interdit aux banques privées, par le biais des premiers dispositifs de titrisation de créances hypothécaires !

Les lois vieillissent mal…

Roosevelt et son administration ne pouvaient imaginer que dans les années 90, 40 ans après leur mort, Fannie Mae serait privatisée mais avec une garantie de l’état fédéral, puis pris en otage par l’administration Clinton pour financer à tout prix des prêts à des emprunteurs moins fiable que la moyenne, en proportion toujours croissante.

Pas plus qu’il ne pouvait imaginer que la « Regulation Q », héritée du Glass Steagall Act, qui encadrait sévèrement la façon dont les caisses d’épargne pratiquaient le crédit immobilier, allait déstabiliser lesdites caisses dans les années 70. Et lorsque Jimmy Carter puis Ronald Reagan ont fait voter des lois visant à en finir avec la regulation Q, ils l’ont fait en introduisant d’autres dispositions qui allaient révéler leur poison… 10 à 20 ans plus tard.

Et la très timide libéralisation du secteur en 1994 et 1999 (abolition respectives des Lois Mc Fadden et Glass Steagall), qui aurait dû permettre aux banques de reprendre en main le refinancement du crédit, s’est heuretée d’une part à l’existence de Fannie Mae et Freddie Mac (créé en 1969) qui bénéficiaient de leur garantie d’état, et s’est conjuguée avec le désastreux Community Reinvestment Act qui a subordonné la constitution de grands réseaux bancaires permis par la loi de 1994 à la mise en place de politiques de crédit plutôt laxistes par les banques…

La valse de Bâle

Et que dire des législation Bâle I puis II (analysées en détail ici), élaborées dans les années 80, et qui devaient rendre impossible toute émergence de risque systémique bancaire ? Elles l’ont en fait renforcé, en favorisant d’une part l’adoption d’un profil capitalistique unique pour toutes les banques, et en provoquant l’envol de produits dérivés supposés « dissimuler » le risque sous-jacent de produits financiers à haut rendement, et ce afin de conjuguer une notation favorable des agences de notation agréées (… Par l’état américain, et de ce fait devenues oligopole de fait) et rendement plus élevé que les bons d’état !

L’histoire bancaire montre que CHAQUE législation a amené son lot d’effet pervers, certains perceptibles dès le vote de la réforme, d’autres se manifestant… Plus de 40 ans après. Ce sont les mécanismes de cette propension de la loi à dégénérer qu’il convient d’expliquer maintenant.

Les mécanismes de la dégénérescence législative

Les quelques exemples non exhaustifs ci dessus exposent quelques uns des désordres que fait naître l’excès législatif.

Le premier, est la capture du législateur, illustré plus que tout autre par les lois McFadden et Douglas. Ici, il s’est agi de « protéger » les petites banques influentes localement du point de vue léectoral contre les grands géants d’alors. Cette version financière de la lutte des petits commerces contre les grandes surface a conduit les USA a entammer les années 90 avec un secteur totalement atomisé (plus de 9000 banques, encore, au début de la crise de 2008), globalement peu performant et perclus d’archaïsmes dans son fonctionnement.

Si les lobbys ratent un tirage, il leur reste une chance au grattage : après celle du législateur, la capture du régulateur peut leur procurer moult avantages. C’est ainsi que Fannie Mae et Freddie Mac, malgré moult scandales, ont réussi à conserver envers et contre tout leurs garanties d’état, leur permettant d’aborder le marché de la titrisation des créances en position de concurrence déloyale face aux autres modalités de refinancement du crédit hypothécaires, telles que celles qui existent en France, où, dieu merci, nous n’avons pas de Fannie Mae. On ne peut pas être les plus mauvais à chaque fois.

On pourrait aussi citer les concessions obtenues par Fannie et Freddie pour pouvoir mener leurs opérations « hors bilan » et via des comptes off shore, avec l’aval du régulateur, ou encore les avantages obtenus par les banques d’affaires Lehman, Goldman ou Merrill aurpès de la SEC en terme de besoins de fonds propres…

Les régulateurs publics, composés de bureaucrates qui sont souvent moins payés que leurs collègues du privé, ne peuvent en outre, dans un environnement nettement moins compétitif, maintenir leurs compétences au même niveau que les meilleurs professionnels des grandes banques, qui sont à la source même des innovations financières. Le régulateur, même lorsqu’il est honnête, ne fait tout simplement pas le poids.

Le troisième phénomène qui obère l’efficacité législative est celui du « contournement dans les coins« . Tout acteur du système va tenter de battre le système. Ce travers n’est pas propre aux banques. Il est ancré en chacun de nous, dans notre vie de tous les jours, comme l’ont montré les travaux de sociologues tels que Crozier ou Friedberg. Battre le système, cela veut dire tenter d’obtenir plus en donnant moins. Tenter de faire sauter ses contraventions, faire croire que l’on est « absolument débordé », ou inventer des techniques de titrisation permettant de contourner l’esprit des notations financières relèvent de la même logique : exploiter les failles de la règle en vigueur pour maximiser son rapport gains sur peine, ou gains sur risques.

Les techniques de titrisation par tranches inventées pour faire du rendement tout en affectant de respecter les règles de Bâle ou leur pendant assuranciel « solvency » relèvent de cette logique. Le législateur ne peut tout prévoir, tout écrire : les acteurs vont mettre en pièces la législation pour tenter d’y trouver un avantage compétitif plus ou moins équitable, qu’ils pourront utiliser pour se démarquer de leurs concurrents. Et une fois qu’une recette semble marcher, tout le secteur s’y engouffre…

Inconvénient lié au précédent, le « formatage législatif » tend à uniformiser les pratiques des agents économiques en fonction de la législation… Et de ses contournements. En matière financière, cela a conduit à de très nombreux établissements à adopter peu ou prou les mêmes profils de risques : mêmes ratios de fonds propres faibles, mêmes accomodements sur la nature des fonds propres TIER1 et TIER2, même types de placements douteux en portefeuille… Et lorsque le monde financier s’est aperçu que ses taux de couverture de ses risques (son épargne de précaution, si vous préférez) étaient insuffisants, il était trop tard : la valse des banques… Et des sauvetages par le contribuable, pouvait commencer.

Mais le plus grand facteur de dégénérescence législative est selon moi le principe d’incohérence déstabilisatrice, incohérence qui nait du cumul de lois votées à des époques différentes, par des majorités de sensibilité différentes, qui s’empilent parfois sans la moindre cohérence et sans que le législateur ne prennent la peine de passer un grand coup d’éponge sur des lois antérieures, se contentant d’en rajouter de nouvelles.

C’est ainsi que Fannie Mae, créée en 1938 pour permettre de diversifier le risque, donc pour être un agent de stabilisation du crédit, devient en 1993 un agent de déstabilisation parce que le législateur lui demande d’utiliser son savoir faire pour étendre les prêts hypothécaires aux populations à risque de défaut plus élevé. Ou que les lois Riegle Neale abolissant les dernières barrières interétatiques pour créer de grands réseaux bancaires se télescopent avec le Community Reinvestment Act, lequel, de facto, subordonne la création de ces réseaux à l’adoption de standards prudentiels d’octroi de prêts dégradés. La finance n’est pas le seul domaine d’activité sujet à cette incohérence déstabilisatrice. Mais c’est sans doute là qu’elle aura occasionné le plus de dégâts.

La réponse : une régulation minimaliste mais stable, forte grâce à sa légèreté

J’ai écrit il y a une semaine ce que je croyais être les quatre principes de la régulation idéale. En si peu de temps, je n’ai pas changé d’avis. Ce dernier paragraphe est donc une copie conforme de celui publié ces derniers jours, je vous prie de m’en excuser :

Je l’ai dit et redit : le meilleur régulateur « systémique », c’est le marché libre, à condition qu’on laisse jouer pleinement le risque de faillite « prématurée » des acteurs les plus imprudents, ce qui suppose seulement une grande « transparence » des comptes des agents économiques. La réglementation bancaire idéale serait donc légère et articulée autour de principes suivants :
* En finir avec la comptabilité créative « hors bilan » (les finalités du hors bilan doivent être limitées au dévoilement des cautions et garanties à des tiers, point barre), et punir comme une escroquerie aggravée engageant la responsabilité personnelle des dirigeants sur l’intégralité de leurs biens la dissimulation aux actionnaires de risques pris par le biais de « Special Investment Vehicles » et autres joyeusetés, notamment off shore.

* obliger les banques à dévoiler de la façon la plus transparente les « produits primaires », actions, obligations, immobilier, contenus dans tous leurs produits dérivés ou agrégés,

* laisser le marché décider qui prend trop de risque, qui n’en prend pas, laisser évoluer les taux d’intérêts naturellement en fonction de ce jugement, sans donner un privilège de notation à quelques agences en position d’oligopole protégé… et de fait en grave conflit d’intérêt.

* et surtout, LAISSER LES MAUVAISES BANQUES FAIRE FAILLITE, selon des modalités techniques qui partagent le fardeau entre actionnaires et créanciers, déjà exposées ici.

Une telle régulation ne prétendrait pas être « idéale », ni interdire la faillite d’un grand acteur de la finance, mais donnerait toutes les chances à l’économie pour que cette faillite survienne suffisamment tôt, sans que les dégâts d’une mauvaise gestion ne puissent être dissimulés trop longtemps aux marchés, et dans un écosystème bancaire aux profils de risques suffisamment variés pour que toutes les banques n’encaissent pas un uppercut au plexus au même moment. En rendant plus facile la faillite « ordinaire » des mauvais acteurs du marché, tout en en minimisant les conséquences pour les déposants, une telle régulation éloignerait considérablement le spectre d’une faillite systémique.

Et surtout, son socle stable, textuellement minimaliste, favorisant le jugement « dans l’esprit » et non « à la lettre », ne la rendrait pas autant vulnérable aux phénomènes de contournement par les coins ou de capture du régulateur, que les milliers de pages des constructions juridiques actuelles. Sans parler d’une meilleure probabilité d’éviter l’incohérence déstabilisatrice dans le temps… Pour peu que le législateur ne se mêle pas de revenir subrepticement à une philosophie foisonnante du droit. Mais c’est une autre histoire.

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Article repris avec l’aimable autorisation de son auteur, depuis Objectif Eco

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