Une solution médiévale pour secourir les Haïtiens

700 millions de personnes seraient disposées à se déplacer de manière permanente vers un pays qui leur offrirait sécurité et opportunités économiques

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Une solution médiévale pour secourir les Haïtiens

Publié le 23 septembre 2010
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Voilà huit mois que la terre a tremblé en Haïti, répandant mort, destruction et désolation. Après le choc, les secours, les premiers soins et l’aide d’urgence vient maintenant l’étape des perspectives et de la réflexion sur la reconstruction de Port-au-Prince, la capitale durement touchée, d’abord et de l’ensemble du pays ensuite. Les prospectives aujourd’hui envisagées par les Haïtiens et les acteurs internationaux, publics ou privés, engagés restent dans la ligne classique de ce qui a toujours été fait jusqu’à présent : faire tomber une pluie d’aide matérielle ou monétaire sur le pays. Cette méthode employée à travers le monde depuis des décennies s’est révélée tellement peu efficace que certains en viennent carrément à envisager une reprise en main partielle ou totale de l’ancienne colonie française par les puissances occidentales. D’aucuns agitent même le spectre de la recolonisation. Sans parler des amateurs de conspiration qui pointent de potentielles fabuleuses richesses pétrolières dans cette région du globe.

Cependant, une autre voie pourrait peut-être aider les Haïtiens à émerger de leur détresse. Soyons clairs : la pauvreté et la rareté sont les conditions naturelles de l’homme. Elles ne connaîtront jamais de solution définitive. On peut seulement les diminuer. Et encore, seulement en adoptant certains comportements appropriés. Les méthodes classiques ont plus que montré l’inefficacité de la sempiternelle aide étrangère pour soulager la misère du Tiers-monde. Il est donc intéressant d’explorer de nouvelles pistes. C’est ce que fait Paul Romer, un économiste expert en développement économique travaillant à l’université de Standford, dans un article paru dans la revue Prospect, intitulé « For richer, for poorer », et où il étudie une idée à la fois nouvelle et aussi ancienne que le Moyen-âge : des villes à charte, construites dans des territoires inhabités, administrées par des États occidentaux solvables et ouvertes aux capitaux et à l’immigration.

Cette proposition originale se fonde sur un double constat. Tout d’abord, la reconnaissance que nombre de pays pauvres sont enferrés dans un cercle vicieux de mauvaises normes, d’insuffisance des garanties offertes par leurs gouvernants aux potentiels investisseurs, de corruption ou de faiblesse des droits de propriété. Ensuite, l’observation libérale classique que nous agissons dans notre propre intérêt – ce qui ne veut pas dire obligatoirement de manière simplement égoïste – et de ce qu’un cadre institutionnel adéquat permet à cet intérêt de produire et d’accumuler la richesse et, partant, de diminuer la pauvreté. La question est donc de savoir comment libérer les gens des normes et des cadres vicieux. La réponse de Romer passe par la création « de douzaines, peut-être de centaines de nouvelles villes avec chartes » dans des territoires inhabités, régies selon des normes appliquées dans les pays développés et où pourraient venir s’établir des centaines de millions de pauvres. Une nouvelle voie différente de celle des incessantes et inefficaces réformes internes ou des risquées tentatives de recolonisation larvée, d’ingérence étrangère, voire militaire.

Les chartes de ces nouvelles villes seraient d’authentiques constitutions qui reconnaîtraient les droits des nouveaux citoyens et établiraient des normes qui, si elles sont suffisamment attractives pour les immigrants, les entrepreneurs et les investisseurs, permettront à ces cités de croître et de prospérer de manière naturelle. De manière concrète, le développement de telles villes passerait par l’invitation faite à un pays développé par un pays pauvre à administrer une zone inhabitée selon des statuts préalablement accordés et où les ressortissants de ce pays pauvre et d’autres parties du monde pourraient volontairement et en connaissance de cause s’établir pour vivre et travailler selon les normes prescrites et garanties, en bénéficiant de la réduction des conflits politiques limités par la taille même de la ville. Ces villes n’auraient pas besoin, d’ailleurs, d’être directement administrées par l’État occidental associé ; les résidents pouvant parfaitement appliquer eux-mêmes les statuts de la charte, l’État occidental ne retenant que le ressort ultime de décision. La proposition de Romer rappelle immanquablement ces villes médiévales de colonisation ou de développement qui jouissaient de libertés dûment enregistrées dans des chartes permettant un gouvernement autonome, l’installation d’institutions plus efficaces et favorisant la liberté, la propriété et la prospérité.

Les villes à charte ont existé par le passé, mais aujourd’hui encore certains exemples montrent la viabilité d’un tel système. Ainsi Romer cite la République mauricienne comme type de combinaison politico-juridique possible dans le cadre de ville à charte. Dans ce pays, en effet, la cour d’appel de dernière instance reste toujours le British Privy Council, tribunal de l’ancienne métropole britannique. Autre illustration : dans les années ’90, Singapour, sous la conduite du Premier Ministre Lee Kuan Yew, a participé à la construction de nouvelles villes en Chine et en Indonésie et aidé à les administrer. Mais l’exemple contemporain le plus proche de l’idée de ville à charte reste bien sûr l’administration de Hong Kong par le Royaume-Uni. La Chine offrait la terre et les gens et la Grande-Bretagne les normes d’une économie de marché ainsi que la cohabitation ordonnée par le Rule of Law – qui seront à la base de l’extraordinaire prospérité de l’île.

Le monde actuel tend à l’urbanisation généralisée et, selon une enquête Gallup, 700 millions de personnes seraient disposées à se déplacer de manière permanente vers un pays qui leur offrirait sécurité et opportunités économiques. Au lieu de grossir les bidonvilles des grands centres urbains des pays du Tiers-monde, les pauvres seraient accueillis dans ces villes à charte. Que l’on pourrait, par exemple, fonder au sein des vastes zones inhabitées de la côte sub-saharienne. Ainsi, en réponse au tremblement de terre en Haïti, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a déjà proposé des terres aux immigrants haïtiens, et « même une région entière ». De son côté, Romer défend la création de villes à charte qui pourraient recevoir les sinistrés haïtiens prêts à travailler et à commencer une nouvelle vie. Selon lui, deux villes à charte seraient suffisantes pour héberger les immigrants et la pression concurrentielle exercée par cette émigration pourrait accélérer l’amélioration des institutions et des normes en Haïti.

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