Taux de grévistes en France

Libération ou Acrimed prétendent que les français font peu grève. Vraiment ? La réalité des chiffres

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Taux de grévistes en France

Publié le 4 octobre 2010
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Vive la grève! (autocollant des "Alternatifs")

D’après le Larousse, la grève se définit comme une « cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles dont l’employeur a connaissance. »

Voici une définition qui, au regard de la grève telle qu’elle est conçue en France, interpelle. Dans notre pays, quelle est la proportion des grèves qui s’adresse aux employeurs ? Spontanément, il ne me vient en tête que des mouvements de grève contre le pouvoir politique. L’objet initial de cet article était ce décalage entre le principe original de la grève, sorte de contrepoids à l’ « exploitation » du capitalisme, et la principale forme qu’elle prend dans la pratique, une contestation politique.

Cependant, mon premier réflexe étant de chercher à quantifier le phénomène, mon intérêt s’est aussi porté sur des étrangetés statistiques. Les premiers résultats de mes recherches sur Google faisaient de la France un pays non gréviste. Dans un article 2007, Libération s’interrogeait d’aillleurs sur « Le mythe d’un pays gréviste » et, soutenu par le site Acrimed, faisait de la France un pays où les grèves sont peu fréquentes en comparaison de nos voisins européens, classant les terribles gaulois 11ème derrière la moyenne de l’UE.

A un paradoxe s’ajoutait donc la chute d’une idée reçue. En vérité, ces deux problèmes ont la même solution : la fonction publique. Les grèves françaises sont bien une épreuve de force entre travailleurs et employeurs dans la mesure où les grévistes français sont des fonctionnaires. Et effectivement, la France se classait bien 11ème des pays grévistes dans la mesure où Libération et les médias qui l’avaient suivi citaient une statistique omettant les serviteurs de l’Etat.

Les statistiques : une comparaison à l’échelle européenne

Tout d’abord, si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet, je vous recommande l’excellent article de 2007 sur le blog Ecopublix « Des grèves partout sauf dans les statistiques » qui m’a aidé à cerner le sujet et à comprendre comment la France n’avait pu se retrouver que 11ème d’un classement sur les grèves.

Quant à moi, mon travail a été fortement facilité par Eurostat qui publie désormais des données sur les « journées individuelles non travaillées » (JINT) pour cause de grève par an pour 1000 travailleurs pour la plupart des pays européens. Pas de surprise, les grand pays latins – Espagne, France et Italie – se disputent le podium. Sur la période 2000-2007, la France décroche la seconde place derrière l’Espagne et devant l’Italie. Elle est championne d’Europe à trois reprises : 2007, 2006 et 2003.

Les deux autres grandes économies d’Europe, l’Allemagne et le Royaume-Uni, affichent des scores bien faibles au regard de la performance française. Un britannique a 4 fois moins de chance d’être en grève qu’un français, un allemand 23 fois moins.

Doit-on pour autant en conclure comme certains politiciens et journalistes que la France n’est qu’un pays de grévistes ? La méprise de Libération avait au moins le mérite de nous mettre la puce à l’oreille en classant la France hors fonction publique 11ème du classement. Cette approximation fait apparaître que c’est aux fonctionnaires que nous devons de pouvoir prétendre à l’or…

Parenthèse sans transition, le fameux modèle nordique qu’on nous vend à toutes les sauces ne semble pas être un exemple de paix sociale. Finlande, Norvège et Danemark affichent des taux relativement significatifs, la Suède étant le seul pays nordique dont on peut affirmer qu’il est nettement moins gréviste.

Le poids de la fonction publique d’Etat

En 2005, en France, moins de 10% de la population active expliquait plus de la moitié des journées de grève : les fonctionnaires d’Etat.

Origine des journées de grève par secteur en 2005. Source : Institut Supérieur du Travail

Pour expliquer le si grand poids d’une si petite partie de la population, il faut assurément une performance exceptionnelle. Afin de la mettre en évidence, j’ai combiné le podium établis par Eurostat avec le même indicateur (JINT pour 1000 travailleurs) calculé pour les seuls fonctionnaires des ministères français. Les journées de grève par an dans cette partie de la fonction publique, ainsi que les effectifs de la population concernées, sont communiquées par la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dans ses rapports annuels. Avec 554 jours de grèves par an pour 1000 travailleurs, la moyenne sur 8 ans des ministères écrase la performance des médaillés européens ! Un fonctionnaire de ministère a 120 fois plus de chance d’être en grève qu’un allemand ! Une interprétation simple de cette statistique est qu’un fonctionnaire participe en moyenne à une demi-journée de grève par an.

Journées de grèves par an pour 1000 travailleurs dans les ministères et dans les trois pays les plus grévistes de l’Union 2000-2007. Source : Eurostat et DGAFP

Le principe de la grève à l’épreuve de la fonction publique

Etrangement, l’interdiction originale du droit de grève était l’œuvre de la Révolution française. Afin d’assurer la plus grande liberté économique et de mettre fin à des rentes vieilles de plusieurs siècles, la Loi Le Chapelier (1791) prohibait toute forme d’entente économique visant à troubler la libre concurrence. Les coalitions, qu’elles soient à l’initiative des employeurs (corporations, ententes…) ou des travailleurs (syndicats, grève…) étaient proscrites. Cependant, considérant que le rapport de force était biaisé en faveur des capitalistes, beaucoup moins nombreux que les travailleurs et non soumis à la nécessité immédiate de la faim, Napoléon III jugea la relation ouvriers/capitalistes fondamentalement inégale et accorda donc le droit de grève en 1864. Laisser les ouvriers désorganiser les affaires du méchant capitaliste devait, selon les promoteurs du droit de grève, permettre de limiter l’exploitation des masses laborieuses.

Les socialistes du XIXème siècle seraient surement surpris d’apprendre que dans la France du XXIème siècle, la grève est avant tout l’instrument des serviteurs de l’Etat. Sans doute en tireraient-ils la conclusion que ceux-ci survivent avec des salaires de misère, se voient imposer des cadences infernales et vivent au jour le jour avec l’angoisse qu’occasionne la précarité de l’emploi. On leur répondrait qu’aujourd’hui la grève n’est plus une arme contre les excès du capitalisme, mais un outil de promotion du service public et de l’équité sociale. Que dans leur infinie abnégation, une partie des serviteurs de l’Etat défendent par la perte de leur revenu la qualité du service qu’ils offrent à leurs concitoyens et dont les représentants élus, apparemment esclaves d’une lubie étrange, veulent priver les français.

Si par je ne sais quelle mauvaise foi on devait rejeter cette explication, on devrait peut-être conclure que les différents usages du droit de grève entre les sphères publiques et privées relèvent d’une profonde divergence de vue sur le rapport au travail ou bien d’un conflit idéologique entre une partie des serviteurs de l’Etat et les représentants du peuple, comme si la lutte sociale de la fonction publique était devenu le garde-fou des excès de la République. On semble en tout cas loin de la manière dont la grève est la plus communément conçue.

Article repris avec l’aimable autorisation de son auteur depuis l’excellent Vox Thunae

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  • Bonne synthèse. Toutefois, les chiffres de la DGAFP ne concernent-ils que la FPE (fonction publique d'Etat), ou bien les trois fonctions publiques (FPE, FPT – fonction publique territoriale, et FPH – fonction publique hospitalière) ?

    • J'ai utilisé la seule FPE car c'était les données les plus complètes et les plus stables d'un rapport annuel sur l'autre. Il s'agit du nombre de jours de grève rapporté au nombre de fonctionnaire équivalent temps plein.

      Dans la FPE est aussi comptabilisé les fonctionnaires des postes et des télécoms, mais je les ai aussi retirés (au numérateur comme au dénominateur) car il s'agit de cas plus spécifiques.

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