On a souvent tendance à croire que le mouvement écologiste est un mouvement spontané, né de l’indignation de la jeunesse devant les méfaits de la civilisation industrielle. Ce n’est pas entièrement faux, mais pas entièrement juste non plus.
Le mouvement écologiste n’est pas si spontané que ça. Il a même une histoire assez compliquée et parfois même un peu glauque. C’est ce que nous expose Emmanuel Grenier dans son enquête Etude sur la nature des mouvements écologistes, un travail très fouillé et solidement documenté, que l’on peut lire gratuitement en ligne sur www.larecherchedubonheur.com. Profitez-en, ce n’est pas tous les jours qu’on a une information de cette qualité.
Le mouvement écologiste tel que nous le connaissons est né de la rencontre apparemment paradoxale de deux tendances : un conservatisme réactionnaire et traditionaliste inspiré de l’extrême-droite (dans la lignée du Retour à la terre, de Vichy, en France) et la contre-culture post-soixante-huitarde, dont les références se situent plutôt à l’extrême-gauche. Le paradoxe n’est qu’apparent : en réalité, les deux courants partagent là même haine de la société individualiste moderne, de l’industrialisation et de la consommation de masse, la même nostalgie d’un monde communautaire et idyllique, proche de la nature, d’un monde stable, immobile. Les deux ont la même révérence pour les idées de Malthus, la même obsession de la croissance démographique, la même hostilité envers le rationalisme né de la Renaissance. Mais alors que les premiers sont furieusement nationalistes, les seconds sont plutôt partisans de la disparition de l’Etat-nation et de son remplacement par une « gouvernance mondiale ». C’est eux qui vont l’emporter.
Quand elle naît, dans les années 20 et 30, l’écologie est clairement ancrée à l’extrême-droite. Les nazis, on le sait, étaient de grands adorateurs de la nature – c’est à eux qu’on doit les premiers parcs naturels, les premières lois sur la protection des animaux (contrairement à ce qu’on entend parfois, les Juifs n’étaient pas considérés comme des animaux).
Au lendemain de la guerre, la tendance s’inverse, au nationalisme succède l’internationalisme. Ceux qui vont penser l’écologisme moderne et lui fournir son bagage intellectuel se recrutent souvent dans la bureaucratie internationale, les état-majors des multinationales et lieux circumvoisins. Ils ont des relations, ils créent des réseaux – mais on reste pour le moment dans le beau linge – des experts internationaux, des banquiers, des pétroliers, des grands bourgeois, des princes du sang, des membres de la jet-set, des présidents de fondations industrielles (les fondations Ford, Volkswagen, Fiat, notamment) se retrouvent pour élaborer des stratégies de défense de la nature contre la société industrielle. Les uns veulent protéger la faune sauvage, comme les distingués gentlemen-chasseurs du WWF, les autres s’inquiètent de l’épuisement des ressources naturelles, de la destruction de la nature, etc. Tous sont prêts à se proposer pour diriger l’édification d’une société alternative. On crée des instituts, des clubs (le Club de Rome par exemple), des séminaires, on organise des rencontres. On pense.
Tout ce petit monde est très posé, très conservateur. Et très riche. Mais audacieux : quand, dans les années 60, il se met en quête de relais populaires, il n’hésite pas à flirter avec la subversion – c’est lui qui donne aux associations écologistes les moyens financiers de leur essor. Les Amis de la Terre, par exemple, qui naissent en 1969 : à côté d’écolos plus ou moins naïfs, leur Conseil compte parmi ses membres fondateurs deux PDG de sociétés pétrolières et un haut fonctionnaire de l’OTAN.
En 1972 le Club de Rome publie son fameux rapport « Halte à la croissance ? » Il y a encore un point d’interrogation, mais tous les éléments du discours sont déjà là : les ressources naturelles s’épuisent (il n’y aura plus d’or en 1984, plus de pétrole en 1992, plus de gaz naturel en 1994), on va dans le mur, il faut limiter la consommation et la croissance démographique, passer à un autre type de société. Déjà la « croissance zéro » pointe les oreilles.
Ce rapport est une bombe médiatique. Tout le monde en parle. Y compris les groupuscules d’extrême-gauche, qui jusque là ne prenaient pas la défense de la nature très au sérieux. Mais leurs affaires ne marchent pas bien. En quête de nouvelles stratégies, ils découvrent le « potentiel révolutionnaire » de l’écologie. Dans les années suivantes, ils vont se recycler en écologistes et investir le mouvement. Grâce à leur maîtrise des techniques d’assemblée générale, ils vont peu à peu en prendre la direction : en France par exemple, Antoine Waechter, l’héritier de la tendance conservatrice, est progressivement écarté. Les Verts sont désormais carrément à gauche, voire à l’extrême-gauche.
A l’échelle mondiale, la mouvance écologiste est maintenant un arc-en-ciel politique constitué d’oligarques, d’associations respectables (droite modérée), comme le WWF, et d’associations militantes dures, proches de l’extrême-gauche, comme Greenpeace. Sans parler des illuminés et autres éco-terroristes, comme Unabomber, responsable de trois meurtres par colis piégés aux USA. Malgré leurs divergences, tous ces gens s’entendent fort bien et ont même mis au point une véritable division du travail : le WWF par exemple, présente une revendication raisonnable, en prévenant que si elle n’est pas satisfaite, Greenpeace risque de prendre le relais avec des arguments plus musclés.
Pendant longtemps, le principal cheval de bataille des écologistes est la lutte contre l’énergie nucléaire, où ils rencontrent certains succès : aux Etats-Unis et en Allemagne, ils parviennent à bloquer les programmes de construction de centrales. Mais pour la jet-set écologiste ce sont là des enjeux nationaux et un peu étroits pour ses ambitions. Elle aspire à plus large.
L’étude d’Emmanuel Grenier s’arrête aux alentours de 2000, et c’est dommage. Car la jet-set écologiste a enfin trouvé une Cause à sa mesure. On la connaît : c’est le Réchauffement climatique d’origine humaine qui, lui, est une menace globale. Il faut d’urgence « sauver la planète » en passant au « développement durable » et à la « décroissance », sous la « gouvernance mondiale » d’une élite d’experts internationaux. Nos braves écolos se précipitent pour inviter les peuples du monde entier à manger de l’herbe.
Hélas, la société civile s’est insurgée contre ce délire, particulièrement dans les pays anglo-saxons, où scientifiques indépendants, techniciens, ingénieurs, ont mis en pièces la théorie de l’origine humaine du réchauffement. Le puissant navire du GIEC qui s’élançait toutes voiles dehors sur les eaux languides du développement durable est aujourd’hui en train de sombrer. L’Inde, la Chine, la Russie, les Etats-Unis, l’ont déjà de facto quitté. Seule la bureaucratie de l’Union Européenne s’y accroche encore.
Coulera-t-elle avec lui ?
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