De la propriété intellectuelle (3)

Il est plus qu’évident que le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle nuit grandement à la création artistique

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De la propriété intellectuelle (3)

Publié le 15 octobre 2010
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De la propriété intellectuelle (1)
De la propriété intellectuelle (2)

L’art est plus souvent qu’autrement inspiré d’oeuvres passées. J’en ai relaté plusieurs exemples dans les deux premières parties. Une protection trop sévère des droits de propriété fait donc en sorte de limiter la création artisitique, le contraire de l’objectif de la loi.

Observez dans le vidéo ci-bas comment Girl Talk crée de la nouvelle musique à partir d’échantillonnages. L’argument de la dame du bureau des droits d’auteur est que ce n’est pas de la création, puisque c’est fait à partir du matériel de quelqu’un d’autre. Il utilise parfois jusqu’à 21 échantillons pour un même morceau. Il lui serait donc impossible de demander la permission à chacun d’eux (un seul d’entre eux pourrait faire échouer la composition), et il serait très dispendieux de payer chacun d’eux. En fait, on ne reconnaît absolument pas les œuvres originales dans le résultat final. Est-ce qu’on protège vraiment quoi que ce soit en empêchant Girl Talk de créer et commercialiser sa musique ou ne fait-on que brimer la création artistique ?

Ensuite, le documentaire traite d’une vieille chanson de blues chantée par les esclaves dans les champs de coton. Une fois enregistrée, celle-ci n’appartient qu’à celui qui a enregistré les droits d’auteurs le premier. Il pourrait récolter les royalties alors qu’il n’en est même pas l’auteur original. Ça a du sens ?

Dans les années 1960, les Rolling Stones ont copié une vieille chanson folk traditionnelle, qui a servi de base à l’excellente chanson Bitter Sweet Symphony de The Verve. Les Rolling Stones ont poursuivi l’artiste et se sont approprié les droits d’auteurs qu’ils ont ensuite vendus à Nike pour une publicité. Les Stones se sont donc approprié le passé, pour ensuite empêcher les autres de faire de même pour créer. Et ensuite vous me direz que les droits d’auteur sont dans l’intérêt de la création artistique ?

Évidemment, ce ne sont pas les Rolling Stones eux-mêmes qui ont poursuivi The Verve, mais bien leurs compagnies de disques. Dans une entrevue de 1999, le magazine Q a demandé à Keith Richards s’il ne trouvait pas cela brutal de recevoir toutes les royautés pour la chanson. Il a répondu ceci :

« I’m out of whack here, this is serious lawyer shit. If The Verve can write a better song, they can keep the money. »

Steamboat Willie, Cendrillon, Pinocchio, Blanche Neige, Alice au pays des merveilles, Fantasia, Dumbo, Bambi, Song of the South, Robin Hood, Peter Pan, Lady and the Tramp, Mulan, Sleeping beauty, 101 Dalmatians, The sword in the stone, The Jungle Book sont toutes des œuvres de Disney inspirées de contes traditionnels des siècles précédents du domaine public.

Disney empêche dorénavant les créateurs d’utiliser ses personnages. Disney a même déjà poursuivi une garderie pour avoir décoré les murs des personnages de Disney. Pourtant, Disney est née en créant à partir d’œuvres du passé. En 1998, lors du soixantième anniversaire de Mickey, la loi sur les droits d’auteur a été modifiée aux États-Unis, passant de 75 ans à 95 ans (pour une corporation). Mickey ne sera donc pas du domaine public de si tôt.

Selon les règles de l’OMC (dictées par les États-Unis), pour avoir le droit d’exporter, les non membres devraient avoir des lois protégeant la propriété intellectuelle similaires à celles qui prévalent aux États-Unis. On exige donc de ces pays qu’ils se contentent de manufacturer, sans pouvoir développer leurs propres versions des produits. On permet ainsi aux multinationales américaines de garder le gros des profits et de protéger d’immenses parts de marché. C’est plutôt injuste puisque durant les 100 premières années de l’histoire des États-Unis, le pays ne reconnaissait pas les droits de propriété intellectuelles des autres pays. Cela a permis aux États-Unis de se développer beaucoup plus rapidement. Pourquoi ne pas donner cet avantage aux autres nations émergentes ?

Des milliers d’Américains sont poursuivis en justice chaque année pour piratage de musique ou de films, parfois pour une dizaine de téléchargements. Ils sont ciblés parce qu’ils n’ont pas les moyens pour se défendre face aux géants de l’industrie. Le cas de Jammie Thomas est probant : poursuivie pour 222 000 dollars pour 24 chansons ! Les huissiers pouvait saisir jusqu’à 25 % de son salaire pour le remboursement, en plus de ses biens. En fait, les conséquences d’un simple téléchargement sont plus graves que de voler le CD au magasin !

En 2007, Radiohead a quitté son éditeur, EMI, et a distribué son nouvel album In Rainbow gratuitement sur internet. L’album a été téléchargé 1,2 million de fois en trois mois et le don (volontaire) moyen a été de une livre. Le disque a ensuite été distribué conventionnellement et s’est vendu à plus de trois millions d’exemplaires.

Au niveau littéraire, le roman Down and Out in the Magic Kingdom  oublié par Cory Doctorow en 2004 a été rendu disponible gratuitement sur Internet en même temps qu’il était vendu en librairie. Les ventes ont été excellentes, au-delà des attentes de l’auteur, la première édition a été entièrement vendue.

En 2002, un étudiant Jesse Jordan a bâti un moteur de recherche pour le réseau interne de son université. Cet outil permettait aux étudiants de trouver et télécharger facilement des fichier qui se trouvaient sur les serveurs de l’école. Environ 25 % des fichiers téléchargés étaient musicaux. Quelques mois après la mise en service du système, Jesse a reçu une plainte de la RIAA pour violation de droits de propriété. Le montant de la poursuite : 15 millions de dollars. Jesse avait des chances de gagner sa cause devant les tribunaux, mais vu l’ampleur de la poursuite (et les poches profondes de la RIAA), il lui en aurait coûté 250 000 dollars en frais judiciaires.

La RIAA s’est alors informée de ses actifs : 12 000 dollars économisés à l’aide de petits boulots pour payer ses études. La RIAA a donc offert à Jesse un règlement à l’amiable de cette somme, qu’il a accepté.

En 2002, la RIAA a rapporté que les ventes de CD étaient en baisse de 8,9 % (803 millions) et blâmait Internet. Cependant, en 2002, le nombre de nouvelles sorties CD était en baisse de 20 % par rapport à 1999, et au cours de cette période, le prix moyen d’un CD a augmenté de 7,2 % (14,19 dollars). De plus, l’industrie du disque devait de plus en plus compétitionner avec celle du DVD. Pourquoi payer 18,99 dollars pour la bande son d’un film lorsque pour 19,99 dollars, on peut avoir le film entier sur DVD ? Il y a donc plusieurs explications à cette baisse de ventes.

Au début du cinéma, c’était Thomas Edison qui contrôlait tout, car il détenait les brevets.

En 1909, des royalties devaient lui être payées chaque fois qu’un film était tourné et projeté. C’est alors que plusieurs indépendants, telle que la Fox, ont fui en Californie, où il n’y avait pas suffisamment de marshalls pour faire respecter ces lois fédérales. C’est donc de la piraterie que l’industrie du cinéma hollywoodien est née ! De nos jours, cette même industrie dispose de puissants lobbies pour contrer la piraterie. N’est-ce pas ironique ?

La radio aussi est née de la piraterie, et constitue encore aujourd’hui un cas particulier.

En effet, un auteur/compositeur ne peut empêcher une station de radio de diffuser son morceau, aucune permission n’est requise. Cependant, la station de radio doit payer l’auteur/compositeur à un prix fixé par la loi. Personne ne peut vous obliger à vendre votre maison ou un quelconque bien, et personne ne peut vous imposer son prix. Telle est la nature de la propriété privée dans une société libre. On peut donc dire que le gouverment nie que la musique soit une « vraie » propriété puisqu’il ne permet pas aux auteurs/compositeurs de requérir leur permission pour diffuser leurs pièces et de négocier le prix à leur convenance.

Présentement, si vous tournez un documentaire et que dans votre film, on peut voir sur un téléviseur en arrière-plan un court extrait de 5 secondes d’un épisode des Simpsons, vous devrez obtenir la permission de Fox et payer leur tarif « éducatif » de 10 000 dollars. Vous pourriez bien entendu plaider l’usage loyal, mais il faudrait pour cela que vous engagiez un bon avocat pour faire face à ceux de la Fox. Les délais seraient catastrophiques pour votre échéancier et les frais juridiques seraient exhorbitants. Le processus de protection de la propriété intellectuelle n’est en fait qu’un (autre) bon moyen d’enrichir les avocats.

En 1831, le terme d’un droit de propriété intellectuelle a été augmenté de 28 ans (14 ans plus 14 années supplémentaires si renouvelé) à 42 ans (28 ans  plus 14 années supplémentaires si renouvelé).

Au cours des 40 dernières années, le terme a été augmenté 11 fois par le Congrès. Pour les personnes, c’est maintenant 50 ans après la mort et pour les corporations c’est maintenant 95 ans (Sonny Bono Act de 1998). D’autre part, les renouvellements ne sont maintenant plus nécessaires : ils sont dorénavant automatiques.

En 1973, environ 85 % des droits de propriété n’étaient pas renouvellés après le premier terme. Ce nouvel amendement retarde donc énormément le passage des œuvres dans le domaine public. De nos jours, il n’est plus nécessaire d’enregistrer une création artistique auprès d’une quelconque autorité pour qu’elle soit protégée.

Ces changements ont carrément mis un frein à l’expansion du domaine public. Si les termes de la propriété intellectuelle sont constamment allongés, c’est effectivement équivalent à ce qu’ils soient illimités. La RIAA et la MPAA ont par conséquent réussi, par le lobbying intensif, à éradiquer le domaine public, et à s’approprier la culture une bonne fois pour toutes.

Depuis la création de la loi américaine protégeant la propriété intellectuelle, le domaine d’application de cette législation s’est beaucoup agrandi. Au début, la protection ne couvrait que les ouvrages commerciaux publiés. Aujourd’hui, elle inclut les productions non-commerciales, publiées ou non, et aussi les transformations d’une œuvre (traduction, adaptation cinématographique ou théâtrale, échantillonnage, etc.)

Notez que la RIAA et la MPAA ont dépensé 1,5 million de dollars en lobbying pour faire passer le Sonny Bono Act de 1998 et contribué à hauteur de 200 000 dollars en dons de campagne électorale pour 1998. Disney a versé 800 000 dollars en dons de campagne électorale. Ces dons sont exclusivement allés aux supporteurs (13) du Sonny Bono Act.

 

Conclusion

Les lois sur la propriété intellectuelle protègent davantage l’activité commerciale plutôt que la créativité des artistes.

Cette protection préserve certaines formes de corporations menacées par les développements technologiques. Ces innovations ne nuisent pas aux artistes, comme l’ont démontré Radiohead et Cory Doctorow ; elles ne nuisent qu’à l’étanchéité du monopole étatique dont bénéficient ces grosses corporations. Celles-ci prétendent être propriétaires de la culture : à aucun moment de l’histoire la culture n’a été autant « propriété », et à aucun moment cette propriété n’a été autant concentrée que maintenant. Il est plus qu’évident que le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle nuit grandement à la création artistique (le contraire de ce qu’elle est sensé accomplir).

Pour approfondir vos lectures sur l’histoire de la propriété intellectuelle, je vous recommande fortement l’excellent ouvrage Free Culture de Larry Lessig, disponible gratuitement en ligne. Le documentaire suivant, diffusé sur Canal D il y a quelques semaines, est aussi très intéressant : Rip! Remix Manifesto.

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