Imagine-t-on un Français refuser la Sécurité sociale ? Mais comparer la France et les États-Unis, bis repetita, c’est ne rien comprendre ni à l’un ni à l’autre. Ce jour, une juge fédéral de Virginie a accueilli favorablement la plainte d’un citoyen de cet État demandant l’annulation de la loi obligeant tous les Américains à acquérir une assurance maladie (dit Obamacare) : une telle contrainte “serait une atteinte à la liberté individuelle telle que définie par la Constitution des États-Unis” et une “atteinte au droit des États à qui Washington ne saurait imposer une telle contrainte”.
Des plaintes comparables ont été déposées dans 20 États, à ce jour : certaines aboutiront ce qui, pour un moment tout du moins, interrompra la généralisation de l’assurance maladie telle que le Congrès l’avait adoptée. À terme, il reviendra à la Cour Suprême de rétablir l’Obamacare ou de l’interdire. Entretemps, il est aussi envisageable qu’une future majorité républicaine annule cette loi, ce qui rendra le contentieux inutile.
Il n’empêche que le principe même de la conformité ou non de l’assurance maladie obligatoire à la Constitution continuera à faire débat. Magistrat, conservateur il est vrai, à la Cour suprême, Samuel Alito déclarait hier à New York devant la rédaction de City Journal, que l’on pouvait “aimer ou ne pas aimer la Constitution des États-Unis mais qu’elle était la Constitution” et donc , incontournable. “Les États-Unis, ajoutait-il ne sont pas comme l’Europe, gouvernés par les hommes mais par la Loi qui gouverne les hommes”.
Mais cette Constitution sacrée est très succinte : elle exige donc d’être interprétée par la Cour. Alito fait partie de la majorité actuelle (surnommée la Cour John Roberts, du nom de son président tout aussi conservateur) qui s’appuie sur le texte et les intentions supposées des Péres fondateurs de manière à bloquer tout ce qui dans les lois contemporaines, pourrait limiter les libertés personnelles et le droit des États. La méfiance envers le pouvoir central inspire Alito parce que telle fut aussi la préoccupation centrale des fondateurs : ceux-ci craignaient le despotisme plus qu’ils ne se souciaient de l’effciacité de l’État. Résister à l’air du temps, c’est la philosophie juridique des conservateurs qui dominent en ce moment la Cour. Le gouvernement américain en paraît paralysé. De fait, il l’est souvent mais les fondateurs estimaient que cette inefficacité garantirait la Nation contre les passions de ses dirigeants. Ils considéraient aussi que les meilleures décisions possibles étaient celles que les citoyens prenaient pour eux-mêmes, individuellement. C’est ainsi que les États-Unis constituent une image inversée de l’Europe ; et c’est pourquoi la machine républicaine, dopée au thé, accuse Obama d’européaniser l’Amérique.
À l’inverse, on me demande aux États-Unis d’expliquer les grèves françaises, vécues par les Américains comme un vent de folie et une atteinte inacceptable aux libertés individuelles. Il me faut alors rappeler combien en France, on aime jouer la Révolution : l’Histoire se répète en farce, écrivait Karl Marx. Toute farce n’est cependant pas drôle.
Article initialement paru sur le blog de Guy Sorman.
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