Le meilleur antidote à des auteurs comme Naomi Klein est de se rappeler le vieil adage de la pensée libérale française qui nous demande de nous éloigner des superstitions et des fables car la diabolisation ne remplace jamais la connaissance.
No Logo, le livre de chevet des globalophobes, trouve ses racines dans la vieille tradition de pensée de gauche qui va de Karl Marx à Chavez en passant par le retiré José Bové ou le disparu sous-commandant Marcos. Son originalité consiste à camoufler les idées de Che Guevara avec les fundamentals du marketing d’entreprise en dénonçant le fait que, dans le village global, quelques multinationales, loin de niveler le jeu global avec des emplois et de la technologie pour tout le monde, « pillent les pays les plus pauvres et arriérés de la planète pour accumuler des bénéfices inimaginables ». Pire, la globalisation se caractérise en nous connectant à travers un réseau de marques connues de presque tout le monde (Nike, Shell, Tommy Hilfiger), mais dont l’ordre cache en arrière-plan l’exploitation inhumaine d’ouvriers, le paiement de salaires misérables et des conditions de travail s’approchant de l’esclavage dans divers pays du Tiers-monde.
« Le Tiers-monde, comme on l’appelle, a toujours existé pour la plus grande commodité du Premier », écrit son auteur, la journaliste canadienne Naomi Klein. C’est le point de départ d’une étude qui couvre l’origine des chaussures de sport Nike dans les infâmes ateliers du Vietnam, la production des petits vêtements pour la poupée Barbie grâce au travail d’enfants de Sumatra, la récolte du café Starburck dans les champs brûlants du Guatemala et l’extraction du pétrole par Shell dans les misérables régions du delta du Niger. L’objectif du livre de Klein est d’obtenir que, au fur et à mesure que les secrets qui gisent derrière le réseau mondial des marques sont connus par chaque fois plus de gens, l’exaspération de ceux-ci provoque la grande commotion politique du futur, rejetant frontalement les entreprises transnationales dont les marques sont les plus connues. « L’opposition aux multinationales est le sujet qui va séduire l’imagination de la prochaine génération de rebelles et de perturbateurs », prophétise l’auteur.
Tout au long des plus de 500 pages, No Logo se transforme en une ennuyeuse expérience où sont relatés dans leurs menus détails des boycotts de grandes entreprises, des soulèvements ouvriers, des attaques de pirates informatiques, des grèves massives et tout ce qui est relatif à la renaissance d’une nouvelle militance activiste contre les multinationales. L’idée de l’auteur est de promouvoir les associations corporatives, l’accomplissement des traités sur l’environnement et la possibilité de contrôler les conditions de travail des ouvriers ainsi que les effets de l’industrialisation sur le milieu. Corporatisme massif, négociation directe entre les travailleurs et les entreprises et adoption par le gouvernement de nouvelles et sévères lois sont les recettes de Klein pour pouvoir « gouverner les multinationales ».
Les postulats de No Logo sont ceux de la pensée idéologique : un ensemble d’idées fossilisées visant à en finir avec un ennemi déterminé de façon fanatique. Ce qui explique le succès du livre est la subtile manoeuvre consistant à déguiser un anti-américanisme furibond et un marxisme rococo avec les parures de la justice sociale, l’écologie et les slogans usés contre le « néo-libéralisme ». Les caractéristiques de la pensée idéologique sont l’ignorance délibérée des faits, le culte de l’incohérence et des contradictions, et sa capacité pour engendrer au travers de consignes progressistes le contraire de ce qui est prôné. Analysons comment se configure et s’organise la carte doctrinaire de No Logo.
En premier lieu, l’attention est attiré par le fait que Klein prétend montrer comme preuve de l’échec de la globalisation et du libre marché les expériences de diverses villes d’Indonésie, du Nigeria, de la Birmanie, des Philippines, etc. Des pays qui se caractérisent surtout pour être restés en dehors de la mondialisation des capitaux et des processus d’investissement au niveau global. Est-elle délibérée son ignorance face à la réalité politique, sociale et économique dont souffrent ces pays, fruit, principalement, de haines tribales ancestrales, de rancœurs et d’intolérance religieuse, de guerres intestines qui semèrent durant des décennies persécutions, famines, despotismes et millions de morts ?
D’un autre côté, il est vraiment difficile de croire que la majorité des entreprises multinationales choisissent ces destinations pour investir. La myopie idéologique de Klein l’empêche de constater que, au contraire, les entrepreneurs ne s’installent pas là où la main-d’œuvre est la mois coûteuse mais là où l’État offre le meilleur rapport entre les services qu’il offre (ordre, sécurité, qualité de la vie, éducation, santé) et les règles de jeu légales et fiscales qu’il présente aux entreprises. À moins de mille kilomètres des ateliers d’enfants que Klein décrit de manière si dickensienne, il existe des pays comme Taïwan, Hong Kong, la Corée du Sud ou Singapour qui, avec des institutions solides, des règles du jeu claires, sans syndicalisme de rupture et avec un grand respect des droits de propriété, sont parvenus, en 25 ans, à multiplier par douze leur richesse en s’adaptant instantanément aux humeurs de la globalisation.
En second lieu, le point le plus faible des arguments de Klein est sa dénonciation des misérables salaires que payeraient les multinationales dans le Tiers-monde. D’après No Logo, ces salaires seraient le produit des inégalités inhérentes au libre marché et au non respect des normes commerciales internationales qui empêchent de tels abus. Bon. Soit. Mais comment explique Klein que les ouvriers de son Canada natal ne reçoivent pas le même salaire que leurs pairs d’Indonésie ? N’y a-t-il pas assez d’exemples de pays aussi peu impérialistes comme le Canada, les Pays-Bas ou l’Australie qui basent leur économie sur la concurrence et le libre marché, permettant à leurs ouvriers d’être les plus qualifiés et les mieux payés du monde ?
Cette réponse ne convaincra pas Klein qui, avant d’aller dynamiter un MacDonald’s, nous accusera d’ingénuité et nous parlera de… la mondialisation sauvage des marques ! Enfin, le typique tic nerveux de la pensée unique progressiste qui prétend occulter l’évidence des faits avec la banderole et le slogan. En réalité, la réponse est que les revenus et les salaires réels augmentent en relation avec les accroissements du capital. La solution ne passe pas par la générosité des politiciens ou par l’agressivité des syndicats. Elle passe par le capital investi dans des installations, des machines, des technologies de pointe, dans l’accumulation et la transmission d’informations, dans l’appui logistique et dans la réduction des coûts des communications. Dans des pays aussi pauvres en capitalisation que l’Indonésie, l’Afghanistan ou l’Argentine actuelle, les salaires peuvent difficilement être élevés. En conclusion, les salaires ne sont pas dictés par les desiderata des syndicats, les caprices des gouvernants ou le non conformisme des intellectuels de gauche.
Bref, No Logo est encore un de ces best-sellers à la mode qui apparaissent régulièrement, alertant sur de possibles changements dramatiques au niveau mondial ou exhortant à militer contre des causes aussi peu crédibles que la « plaie néo-libérale » ou la mondialisation. Non seulement parce qu’il a été amplement démontré qu’ils ne proposaient aucune solution viable ou proposition alternative, mais surtout parce qu’ils trafiquent la peur et l’angoisse en échange d’un peu d’attention des médias. Le meilleur antidote à des auteurs comme Naomi Klein est de se rappeler le vieil adage de la pensée libérale française qui nous demande de nous éloigner des superstitions et des fables car la diabolisation ne remplace jamais la connaissance.
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