Réforme des retraites : à peine un début

Les Français sont les dupes d’une fausse réforme

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Retraites By: Franck Michel - CC BY 2.0

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Réforme des retraites : à peine un début

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 novembre 2010
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Par Pierre Menou.

La réforme gouvernementale prétendait à l’origine rechercher l’équité ; or elle a échoué d’autant plus sûrement à la réaliser qu’elle ne l’a même pas tenté. C’est pourquoi l’éditorial de François d’Orcival dans Valeurs Actuelles du 28 octobre frise la désinformation, lorsque son auteur prétend que les syndicats ont essuyé un échec cuisant et compare la fermeté dont a fait peur l’actuel gouvernement à la capitulation en rase campagne du gouvernement Juppé en 1995.

« Il y a quinze ans, écrit d’Orcival, c’est [Bernard Thibault] qui conduisait le bal. Le 24 novembre 1995, la France s’arrêtait : tous les moyens de transport se mettaient en grève (…). C’était un mouvement national contre la réforme de la Sécurité sociale et des régimes spéciaux voulue par le premier ministre, Alain Juppé. Le 28, la grève était générale, les étudiants dans la rue. “Les réformes se feront”, répétait le gouvernement. Il fit face jusqu’au 5 décembre : ce jour-là, le premier ministre retira de son projet tout ce qui “fâchait” ; il ne restait que la CRDS. Il fallut quand même attendre le 13 décembre pour la reprise du travail. Bernard Thibault et ses camarades entendaient montrer où était le vrai pouvoir. Quinze ans plus tard, l’exécutif a reconquis ce pouvoir. La grève générale ne repasse pas deux fois. Quand Nicolas Sarkozy disait, entre les deux tours de la présidentielle de 2007, que la page de Mai 68 était tournée, il faisait plaisir à ses électeurs, mais personne n’en était vraiment sûr. Maintenant, c’est vrai. »

Cette analyse repose sur un faux postulat, que l’éditorialiste de Valeurs Actuelles ne peut pas ignorer : c’est que, précisément, la réforme avortée d’Alain Juppé menaçait les régimes spéciaux, ce que ne fait absolument pas celle de Nicolas Sarkozy. Mieux : elle les préserve, elle les protège, elle les sauve.

Les régimes spéciaux sauvegardés

Eric Woerth lui-même n’en faisait pas mystère, en déclarant le 26 mai dernier sur LCI, à la veille d’une journée de mobilisation des syndicats : « Ce que nous disons dans le document d’orientation, c’est que nous respecterons à la lettre les engagements qui ont été pris en 2007. La peinture est à peine fraîche, les régimes spéciaux ont été réformés et considérablement réformés. »

Cette contre-vérité était un message lancé aux syndicats : la réforme ne menacerait pas les régimes spéciaux. Jean Arthuis, président de la Commission des finances du Sénat, confirmait dans Le Parisien du 6 octobre : « la réforme n’apporte pas de réponses sur les inégalités entre les salariés du privé, les fonctionnaires et les agents des régimes spéciaux. »

La « convergence » annoncée à son de trompe entre le public et le privé se résume à deux points : les fonctionnaires parents de plus de trois enfants ne pourront plus partir à la retraite au bout de quinze années de services, et le taux de cotisation du public (7,85 %) sera très progressivement (en 10 ans !) aligné sur celui du privé (10,55 %).

A propos de la deuxième mesure, rappelons toutefois que les cotisations des fonctionnaires (et assimilés) sont de toutes manières fictives : il ne s’agit que d’un jeu d’écritures porté sur la fiche de paye des fonctionnaires, qui ne correspond à aucun mouvement de fonds réel. Par conséquent, il importe peu que le taux de cotisations augmente – cela n’aurait de sens que si le traitement des fonctionnaires diminuait dans la même mesure, ce qui n’est pas près d’être d’actualité.

Des pensions garanties par l’Etat

Par ailleurs, le principal avantage des retraités du public est sauvegardé : leurs pensions sont garanties et financées à 100 % par l’Etat, donc par l’impôt. Ce qui signifie qu’elles échappent au système de la répartition, dans lequel les pensions sont financées par les cotisations et, par conséquent, loin d’être garanties, baissent si le nombre des cotisants diminue, à moins que les cotisations de ces derniers n’augmentent dans des proportions intolérables.

La réforme ne touche pas non plus :

  • au mode de calcul des pensions (sur les 6 derniers mois de salaire dans le public, au lieu des 25 meilleurs années dans le régime général et de l’ensemble de la carrière pour les complémentaires Agirc-Arrco) ;
  • aux conditions de réversion des pensions aux veufs ou veuves des retraités, plafonnées et soumises à conditions de ressources dans le privé, pas dans le public ;
  • au départ anticipé – de 5 à 10 ans avant le commun des retraités du privé – de plus de 1,2 millions de fonctionnaires dits « actifs », ainsi que de la quasi totalité des personnels de la SNCF, et un grand nombre de ceux de la RATP ou d’EDF-GDF ;
  • au système des bonifications d’annuités, qui permettent aux agents du secteur public d’acquérir des trimestre gratuits sans avoir cotisé ;
  • aux privilèges des agents publics qui prennent leur retraite outre-mer

Toutes choses qui rendent les retraites des régimes spéciaux – à commencer par celui de la fonction publique – beaucoup plus attrayantes que les retraites du privé.

Pourtant, le 15 juin encore, Nicolas Sarkozy affirmait devant les patrons de PME que la réforme serait conduite dans un « souci de justice et d’équité » et précisait : « Il est juste que la réforme s’applique à tous, salariés du privé ou agents publics. »

Une opposition spectaculaire mais pour la galerie

Ce qui donne à croire aujourd’hui que le gouvernement a tenu bon, c’est la démesure même de la réaction des syndicats par rapport aux mesures proposées. Mais saluer dans ces conditions l’éclatante victoire du gouvernement, revient à prétendre qu’un général a gagné la guerre parce qu’il a emporté un poste avancé ennemi en engageant contre lui l’essentiel de ses forces. C’est certes mieux qu’un recul, mais ce n’est même pas une demi-victoire.

C’est même bien moins que cela encore si l’on considère le message qu’ont fait passer les syndicats. Les centrales connaissent assez la situation des retraites en France pour savoir que, si les régimes spéciaux sont préservés, le recul de l’âge légal de départ à 62 ans est non seulement une condition minimale à la survie du système par répartition, mais ne suffira même pas à le sauver.

Les syndicalistes sont parfaitement conscients que le gouvernement a joué la montre, en reportant aux calendes grecques – c’est-à-dire au moins après 1012, et si possible après 2018 – les vraies réformes qui fâchent. Le mouvement qui s’est développé à la rentrée, d’ailleurs moins puissant qu’en 1995, vaut donc avertissement : s’ils sont près à mobiliser ainsi pour s’opposer « au bluff » à une réforme mineure,le gouvernement peut imaginer à quelle force il se heurterait au cas où il voudrait toucher à l’avenir aux régimes spéciaux, les seuls qu’il importe vraiment aux syndicats de protéger parce que leurs bénéficiaires fournissent le gros de leurs adhérents.

Au mois de juillet, l’association Sauvegarde Retraites décryptait, dans une brochure intitulée « La réforme pipeau des régimes spéciaux » (1), le jeu de dupes entre le gouvernement et les syndicats : la véhémente opposition des seconds à une réformette qu’ils savent au fond inévitable et même insuffisante, mais qui pour eux préserve l’essentiel, crédibilise du même coup aux yeux de l’électorat de droite cette réformette et le gouvernement qui paraît l’imposer envers et contre tout. Au fond, tout le monde est content.

Reste à trouver un François d’Orcival pour proclamer que Nicolas Sarkozy vient de vaincre mai 68 et le tour est joué, les dupes sont dupées. Les dupes ? C’est le sobriquet que les milieux politiques et syndicaux sont accoutumés de donner aux Français.

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