Présentation de John James Cowperthwaite, un des pères du miracle économique de Hong Kong.
Lorsque, en 1993, Chris Patten entra en fonction comme dernier gouverneur de Hong Kong, il fut présenté à un ancien haut fonctionnaire de la colonie britannique, John James Cowperthwaite. Il lui serra la main en disant : « Ainsi, c’est vous l’architecte de tout ceci ? » « J’ai fait très peu. Tout ce que j’ai fait a été de prévenir quelques inconvénients », répondit l’homme qui fut l’artisan de la bonne fortune de Hong Kong.
Fils d’un agent du fisc, John James Cowperthwaite est né le 25 avril 1915 à Édimbourg. Il fit ses classes au sein d’une ancienne et prestigieuse école privée, la Merchiston Castle School, avant de poursuivre des études classiques, d’abord à l’université St Andrews, ensuite au Christ’s College de Cambridge. En attendant d’être appelé sous les drapeaux, il retourna à l’université St Andrews pour y étudier l’économie.
Cette éducation l’imprégnera de l’éthique protestante écossaise et des idées des Lumières, particulièrement de celles d’Adam Smith. C’est ainsi que Cowperthwaite détestera toujours dépenser de l’argent – surtout s’il appartenait à autrui (comme le contribuable) et sera un libéral dans le sens du 19e siècle du terme, croyant fermement que les pays devaient s’ouvrir unilatéralement au commerce afin de prospérer. Il déclarera : « À long terme, les décisions individuelles agrégées des hommes d’affaires exerçant leur jugement individuel dans une économie libre, même si elles sont souvent erronées, sont beaucoup moins dommageables que les décisions centralisées d’un gouvernement, et certainement plus rapidement réparables. »
En 1941, après s’être marié, il intègra le Colonial Administrative Service et fut envoyé, en 1945, en poste à Hong Kong. Là , il commença à travailler au Département du Commerce et des Affaires économiques. En 1952, il fut promu assistant du Financial Secretary, Arthur Grenfell Clarke, le remplaçant lorsque ce dernier quittera ce poste.
Après la Seconde Guerre mondiale, Hong Kong, qui avait fort souffert de l’occupation japonaise, paraissait condamnée au désastre. Sans ressources naturelles – à part son excellent port –, ce petit territoire d’un peu plus de 1.000 km², dépendait de ses importations pour pratiquement tous ses besoins, ne vivant essentiellement que grâce au dépôt de marchandises et ne recevant aucune aide de la métropole.
En 1949, la situation se compliqua encore avec l’avalanche de réfugiés chinois qui fuyaient la Chine communiste (en moyenne 100.000 par mois) et qui commencèrent à vivre dans des bidonvilles, en s’entassant sur une flottille de barques et de bateaux ancrés dans le port ou dans des « appartements » d’une pièce sans façade, dans des immeubles inachevés construits dans l’urgence par les autorités. La population de Hong Kong augmentera ainsi de manière exponentielle, passant de 600.000 habitants au départ des Japonais à 2,2 millions au milieu des années 50, pour s’élever aujourd’hui à 7.000.000 d’habitants. La densité de population de la colonie deviendra ainsi en 1956 une des plus élevées au monde.
Plus grave, en 1951, la colonie britannique vit menacée sa principale source de revenus, le commerce avec la Chine, suite à l’embargo sur ce même commerce décrété par les Nations Unies en raison de la Guerre de Corée. L’économiste Angus Maddison calcula qu’en 1950 les habitants de Hong Kong disposaient d’un revenu par habitant inférieur de 40% à ceux du Gabon, pays africain riche en pétrole ou qui ne représentait que 28% de celui des Britanniques . En 1960, la Banque mondiale considérait Hong Kong comme un cas désespéré et, de manière plus générale, de nombreux économistes comme le Prix Nobel d’économie Gunnar Myrdal pronostiquaient un sombre futur pour l’Asie et, au contraire, la prospérité pour l’Afrique.
C’est donc une tâche insurmontable qui semblait attendre Cowperthwaite lorsque celui-ci, âgé de 46 ans, devint en 1961 le quatorzième Financial Secretary de Hong Kong, le troisième poste le plus important de l’administration coloniale. Assistant directement le Gouverneur et responsable du budget et des politiques financières et économiques devant le Conseil législatif (Legco), Cowperthwaite disposait donc du contrôle total des finances de la colonie. Car même si le Legco avait théoriquement le dernier mot en matière économique, c’est bien le Financial Secretary qui contrôlait l’agenda et le choix des points soumis à l’examen du Comité des Finances du Legco. Cowperthwaite profita aussi de ce qu’il ne devait pas sa position à l’élection et à la popularité et il sera également aidé par le fait que les deux Gouverneurs sous lesquels il travaillera verront d’un œil favorable ses politiques et le soutiendront.
Dès sa prise de fonction, Cowperthwaite fut pressé d’augmenter les impôts et d’appliquer des méthodes keynésiennes de relance de l’économie, à la manière de ce qui se faisait à l’époque en Grande-Bretagne, sous le gouvernement du Premier ministre conservateur, Harold « Supermac » Macmillan – dont la politique sera poursuivie par son successeur, le travailliste Harold Wilson. Mais le Financial Secretary sera bientôt connu pour aimer dire non.
Ainsi, lorsqu’on lui suggéra d’accorder des logements sociaux aux classes moyennes, il refusa en expliquant que ce serait une erreur injuste de subventionner des personnes ayant la capacité de payer leur logement. À des hommes d’affaires qui voulaient que le gouvernement construisît un tunnel à travers le port de Hong Kong, il leur répliqua de le construire eux-mêmes si c’était vraiment une bonne idée. Chose qu’ils feront effectivement par après. Quand on lui proposa de permettre la déduction fiscale des intérêts hypothécaires, il refusa en arguant du fait que ce genre de mesure ne favorisait surtout que les plus nantis. Dans le même ordre d’idée, il refusa jusqu’à la fin la gratuité universelle de l’école primaire, ne voyant pas pourquoi le contribuable devait payer les frais scolaires en lieu et place de l’immense majorité des parents qui en avaient parfaitement les moyens. Il refusa également de taxer, à l’instar de ce qui se faisait en Grande-Bretagne, les personnes sur tous leurs revenus et pas seulement sur leurs salaires. En effet, pour Cowperthwaite, la taxation de tous les revenus ne pouvait qu’immanquablement devenir inquisitoriale et décourager les investissements ainsi que l’esprit d’entreprise. Bien sûr, Hong Kong ne représentait pas un pur cas de laissez-faire. Ainsi, le gouvernement colonial intervenait dans de nombreux domaines comme l’approvisionnement en eau, le service postal, les installations aéroportuaires, la ligne de chemin de fer Kowloon-Canton ou le logement. Mais Cowperthwaite insista toujours pour que le gouvernement gère ces secteurs de manière la plus rentable possible (en augmentant le prix de l’eau pour assainir le marché, en faisant fonctionner poste et chemins de fer selon une logique commerciale qui leur permettra de dégager des bénéfices, etc.)
Mais Cowperthwaite ne se contentait pas seulement de dire « Non, non et non » : durant son mandat, il ne cessera de lutter pied à pied et le plus souvent avec succès aux tentatives de Londres de modifier le système économique de Hong Kong. Soit en opposant une barrière infranchissable, soit en usant avec talent de l’art de la procrastination, il put repousser des réformes qu’il considérait comme dommageables, telle que, par exemple, la législation sur le salaire minimum – alors même que les salaires dans la colonie furent toujours élevés du simple fait du libre marché et de la croissance économique –, ou vider de sa substance d’autres comme la tentative de réglementer le secteur bancaire de Hong Kong, où n’existait pas de banque centrale et où, dans la plus parfaitement concurrence, les banques émettaient leur propre monnaie. Une méthode plus subtile pour limiter l’interventionnisme de l’État dans l’économie de Hong Kong était de ne pas établir de statistiques officielles. À une question posée par Milton Friedman à ce sujet, Cowperthwaite répondra : « Si je les laisse établir ces statistiques, ils s’en serviront pour planifier. » En d’autres mots, il avait bien compris que la connaissance était le pouvoir. C’est donc ainsi que le gouvernement de Hong Kong ne publiait des chiffres ni sur le PIB, ni sur la balance des paiements et que le Département du Recensement fut fermé aussitôt achevé le recensement commandé en 1959.
La raison de cette politique – que Cowperthwaite décrira comme un « non interventionnisme positif » et qui lui valut le sobriquet de Picsou – se trouvait dans sa volonté de maintenir au plus bas les impôts, devinant avant Laffer qu’une taxation trop élevée retardait le développement économique et que, au contraire, une taxation plus faible pouvait même générer davantage de rentrées fiscales (ainsi les taxes sur le tabac rapporteront plus au fisc de Hong Kong dès que Cowperthwaite les réduira de 40%). Il comprenait également que la croissance économique bénéficiait aux plus pauvres car l’augmentation ainsi favorisée de la demande de main-d’œuvre se traduisait par une augmentation des salaires. C’est donc en s’en tenant à ce credo qu’à la fin de son mandat, en 1971, Cowperthwaite non seulement laissa un taux unique d’imposition (flat tax) de 15% sur les salaires, un impôt sur les sociétés très bas et aucune taxe sur les dividendes ou les revenus étrangers, mais également n’imposa qu’un très petit nombre de personnes : sous son administration seulement 2% de la population active payait des impôts sur le revenu (en 1970, les exemptions étaient trois fois plus élevée qu’au Royaume-Uni et le double qu’aux États-Unis) – dans les années 80, ils ne seront encore que 10% à payer un impôt sur le revenu (contre 47% après 1997).
Plus tard, alors qu’il sera à la retraite, Cowperthwaite reconnaîtra avoir commis sa plus grande erreur en 1966. Cette année-là , l’économie se contracta et le gouvernement se trouva en léger déficit. Pour équilibrer les comptes, il décida d’augmenter le taux moyen des impôts de 12,5 à 15%. La récession fut brève et le gouvernement retrouva rapidement ses confortables surplus annuels. Cowperthwaite utilisa les revenus supplémentaires issus de cette augmentation des impôts pour abolir diverses autres taxes et diminuer de moitié l’impôt des successions. Mais il regrettera toujours cette mesure qui, selon lui, permit aux interventionnistes de faire avancer leur agenda. Seul quelqu’un comme Sir John James Cowperthwaite pouvait voir dans l’augmentation du taux d’imposition de 12,5 à 15% un dangereux pas sur la route de la servitude !
Pendant ce temps, au Royaume-Uni, travaillistes et conservateurs ruinaient lentement mais sûrement le pays en construisant un État Providence chaque fois plus intrusif et en multipliant par quatre le poids de l’État dans l’économie par rapport au début du siècle jusqu’à représenter plus de 40%. Tandis qu’à la fin du « règne » de Cowperthwaite, le poids du gouvernement de Hong Kong ne représentait que 11,5% et les fonctionnaires seulement 5% de la population active, et que la dette publique de la colonie ne s’élevait symboliquement qu’à US$3 par habitant. Et tandis que sous Cowperthwaite le PIB par habitant de Hong Kong croissait de 6%, celui du Royaume-Uni, pourtant en plein boom économique des « Trente Glorieuses », faisait pâle figure avec ses 2,3%. Pour illustrer cette croissance, il suffira de dire que dans les années 60, la consommation d’électricité à Hong Kong sera multipliée par quatre, le nombre de postes téléphoniques, par cinq et celui des véhicules automobiles, par trois. Après Cowperthwaite, dans les années ’70, la différence grandira encore plus avec une croissance de 6,5% pour la colonie, contre 1,5% pour une métropole qui était tombée du 5e rang mondial en 1951 à la 18e du PIB par habitant et qui sera réduite finalement, en 1976, à se placer humblement sous la tutelle du FMI en échange d’un prêt de £3,5 milliards. Enfin, en 1992, le PIB par habitant de Hong Kong dépassa celui du Royaume-Uni.
La liberté est indispensable au bonheur des hommes,… et en plus elle permet l’accroissement des richesses.
Comment les faits ne convainquent pas les étatistes de tous poils ?