Quand le Chili indiqua la voie

Comment a-t-on réalisé la réforme du système de retraite par capitalisation au Chili

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Quand le Chili indiqua la voie

Publié le 21 juillet 2024
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Il y a 28 ans, l’ancien ministre du Travail et des Retraites Jose Piñera revenait sur la révolution libérale qu’il avait lancée au Chili en 1980.

Un spectre hante le monde : celui de la faillite du système de retraite de l’État. Le système de retraite par répartition qui règne en suprématie à travers la plus grande partie de ce siècle a un défaut fondamental enraciné dans une fausse conception sur le comportement de l’être humain : il détruit à un niveau individuel le lien essentiel entre l’effort et la récompense. En d’autres termes, entre les responsabilités personnelles et les droits individuels. Chaque fois que cela se produit à grande échelle et sur une longue période, le résultat est désastreux.

 

Deux facteurs extérieurs aggravent en plus ce problème :

  1. La démographie globale tend vers la baisse du taux de natalité
  2. Les progrès médicaux rallongent l’espérance de vie

 

Le résultat est que de moins en moins de travailleurs supportent de plus en plus de retraités. Puisque l’augmentation de l’âge de la retraite et des taxes sur salaire ont une limite maximale, ces signes révélateurs de la faillite du système entraîneront tôt ou tard le système à réduire les prestations promises.

Si cette réduction des prestations est faite à travers l’inflation, comme dans la plupart des pays en voie de développement, ou à travers la législation, le résultat final pour les retraités est le même : l’angoisse des vieux jours. Celle-ci est créée paradoxalement par l’insécurité inhérente au système de sécurité sociale.

En 1980, le gouvernement chilien décida de prendre le taureau par les cornes. Un système de retraite gouvernemental était remplacé par une innovation révolutionnaire : un système national de Plan Épargne-Retraite privé.

Après 16 ans de fonctionnement, les résultats parlent d’eux-mêmes.

Les retraites du nouveau système sont déjà de 50 à 100 % supérieures à celles du système de retraite par répartition, suivant qu’elles soient allocations vieillesse, d’invalidité ou au dernier vivant. Les ressources administrées par les fonds de retraites privées se chiffrent à 30 milliards de dollars ou aux alentours de 42 % du PNB comme en 1996. Dès l’amélioration du fonctionnement des marchés du capital et du travail, les retraites privées ont été l’une des réformes clé qui ont poussé le taux de croissance économique du 3 % historique par an au 7 % en moyenne durant les 12 dernières années. C’est aussi un fait que le taux d’épargne chilien a augmenté jusqu’à 28 % du PNB, et le taux de chômage a baissé jusqu’à 5 % depuis que la réforme a été appliquée.

Plus important encore : les pensions ont cessé d’être une question gouvernementale. Ainsi on dépolitise un énorme secteur de l’économie et on donne aux individus davantage le contrôle de leur vie. La défectuosité structurelle a été éliminée et l’avenir des retraités dépend du comportement individuel et du développement du marché.

Le succès du système de retraite privé chilien a incité sept autres pays d’Amérique à le suivre. Le Pérou en 1993, l’Argentine et la Colombie en 1994, l’Uruguay en 1995, et le Mexique, le Salvador et la Bolivie en 1997 ont entrepris une réforme similaire. Dans ces sept pays d’Amérique, environ 25 millions de travailleurs ont un compte de retraite privé.

L’expérience chilienne peut être instructive pour tous les pays du monde. Même les États-Unis commencent sérieusement à débattre sur la privatisation de leur plan de pension vieux de 62 ans. Il devrait être souligné que le système de Sécurité sociale américain est à lui seul le plus grand programme gouvernemental au monde qui dépense plus de 350 milliards par an (plus que le budget de défense américain pendant la Guerre froide).

Il est possible qu’avant l’entrée dans le nouveau millénaire, de nombreux pays, incluant tous ceux des Amériques, auront leur système de retraite privatisé. Cela signifierait une importante redistribution du pouvoir de l’État vers l’individu. Et aussi un accroissement de la liberté personnelle, promouvant une croissance rapide de l’économie et la réduction de la pauvreté, particulièrement chez les personnes âgées.

 

Le système chilien

Ce qui détermine le niveau de retraite du travailleur sous le système de retraite par capitalisation au Chili est la somme d’argent qu’il a accumulée pendant ses années travaillées. Ni le travailleur ni l’employeur ne paye de taxe de Sécurité sociale à l’État. Le travailleur ne reçoit pas une retraite du gouvernement. Au lieu de cela, pendant sa période d’activité son employeur dépose automatiquement 10 % du salaire mensuel sur le compte épargne-retraite individuel du travailleur. Ce pourcentage s’applique seulement aux premiers 22 000 dollars de revenu annuel. Par conséquent, à mesure que les salaires augmentent avec la croissance de l’économie, le volume de l’épargne obligatoire du système de retraite diminue.

Un travailleur peut payer 10 % supplémentaire de son salaire mensuel, qui en tant qu’épargne volontaire, est aussi déductible des impôts sur le revenu. Généralement un travailleur payera plus de 10 % de son salaire s’il veut partir plus tôt à la retraite ou obtenir une pension plus élevée.

Un travailleur choisit l’une des entreprises privées d’administration de fonds de retraites (Administradoras de Fondos de Pensiones, AFPs) pour gérer son compte épargne-retraite. Ces entreprises ne peuvent pas s’engager dans d’autres activités et sont soumises à la réglementation gouvernementale dans le but de garantir un portefeuille diversifié et à risque peu élevé afin de prévenir le vol ou la fraude. Une entité gouvernementale indépendante, une Superintendence des AFP hautement technique, assure la surveillance. Bien sûr, c’est la libre entrée à l’industrie des AFP.

Chaque AFP gère l’équivalent du fonds mutuel qu’elle investit en actions et obligations. Les décisions d’investissement sont prises par les AFP. La réglementation gouvernementale détermine seulement les limites du pourcentage maximal, pour les types d’instruments spécifiques et pour la diversification du portefeuille. L’esprit de la réforme est que ces régulations soient réduites constamment avec le temps et avec l’acquisition de l’expérience des AFP. Il n’y a aucune obligation d’investir dans le gouvernement ni dans d’autres types d’engagements. Légalement les AFP et le fonds mutuel qu’elles gèrent sont deux entités séparées. Ainsi les actifs du fonds mutuel, qui sont les investissements des travailleurs, ne sont pas affectés en cas de faillite de l’AFP.

Les travailleurs sont libres de passer d’une AFP à une autre. Pour cette raison, il y a une compétition entre les entreprises afin d’assurer un gain plus important sur les retours d’investissements, un meilleur service clientèle ou une commission moins élevée. On donne à chaque travailleur la libreta, le petit carnet d’épargne-retraite, et tous les trois mois il reçoit un état régulier l’informant du montant accumulé sur son compte de retraite et combien son fonds investi lui rapporte. Le carnet porte le nom du travailleur, il lui appartient, et sera utilisé pour payer sa pension retraite (avec une disposition de versement au dernier vivant).

Comme cela pouvait être attendu, les préférences individuelles au sujet de l’âge diffèrent autant que les autres préférences. Certaines personnes veulent travailler toute leur vie, d’autres attendent la retraite avec impatience afin de se livrer à leur vraie vocation ou leur passe-temps favori comme l’écriture ou la pêche. L’ancien système de retraite par répartition ne permettait pas la satisfaction de telles préférences, excepté à travers la pression collective pour avoir, par exemple, une retraite anticipée pour une puissante circonscription électorale. C’était un plan unique qui imposait un prix au bonheur humain.

D’un autre côté, le système de retraite par capitalisation permet aux préférences individuelles d’être traduites en décisions individuelles qui produiront le résultat désiré. Dans les succursales de nombreuses AFP, il y a des sympathiques informaticiens qui permettent aux travailleurs de calculer la valeur attendue de leur future pension, basée sur l’argent de son compte et sur l’année à laquelle il désire prendre sa retraite. Ou bien le travailleur peut déterminer le montant de la retraite qu’il espère recevoir et demander à l’ordinateur combien il doit déposer chaque mois s’il veut se retirer à un âge précis. Une fois qu’il a la réponse, il demande simplement à son employeur d’enlever ce nouveau pourcentage à son salaire. Bien sûr, il peut ajuster ces chiffres avec le temps par rapport au rendement actuel de son fonds de retraite. Le point le plus important est que le travailleur peut déterminer le montant de sa pension désirée et l’âge de sa retraite aussi simplement que quelqu’un qui commande un tailleur sur mesure.

Comme noté ci-dessus, les contributions du travailleur sont déductibles des impôts sur le revenu. Le rendement du compte épargne-retraite est sans taxation. À la retraite, quand les fonds sont retirés, les taxes sont payées suivant la tranche d’impôt sur le revenu du moment.

Le système chilien de retraite par capitalisation inclut autant les employés du secteur privé que ceux du secteur public. Les seuls exclus sont les membres de la police et des forces armées. Comme dans d’autres pays, les systèmes de retraite sont une part de leur salaire et de leur condition de travail. Selon mon avis, mais pas encore le leur, ils feraient mieux de quitter ce système pour un compte épargne-retraite. Tous les autres employés doivent posséder un compte épargne-retraite. Les travailleurs en nom propre peuvent entrer dans le système s’ils le désirent, ce qui crée un stimulant pour les travailleurs irréguliers afin de rejoindre l’économie régulière.

Une fois l’âge de la retraite atteint et son compte épargne-retraite épuisé, un travailleur qui a cotisé au moins 20 ans mais dont la retraite est en dessous de la pension minimale légale reçoit une pension de l’État. Ce qui doit être souligné ici : personne n’est défini comme étant pauvre a priori. Seulement a posteriori, après que sa période d’activité a cessé et que son compte épargne-retraite soit épuisé, un retraité pauvre reçoit une subvention de l’État. Ceux qui n’ont pas 20 ans de cotisation peuvent demander une retraite de l’État à un niveau beaucoup moins élevé.

Le système de retraite par capitalisation inclut aussi une assurance contre le décès prématuré et l’incapacité. Chaque AFP assure ce service à ses clients en souscrivant un assurance vie et une couverture d’invalidité auprès d’une entreprise d’assurance vie privée. Cette couverture est payée par une cotisation supplémentaire d’environ 2.9 % du salaire qui inclut la commission de l’AFP.

Le niveau d’épargne minimum obligatoire de 10 % était calculé sur l’hypothèse d’un revenu net moyen de 4 % durant la période d’activité. Un travailleur type devrait avoir assez d’argent sur son compte épargne-retraite afin d’obtenir une retraite équivalente à 70 % de son salaire de fin de carrière.

Le soi-disant âge légal de la retraite est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Ces âges de retraite, traditionnels dans le système de retraite par répartition, n’ont pas été discutés dans la réforme de privatisation car ils ne représentent pas un critère fondamental dans le nouveau système. Mais la notion de retraite dans le système par capitalisation diffère de celle du système traditionnel. Premièrement les travailleurs peuvent continuer à travailler après leur retraite. S’ils le font, ils perçoivent la retraite que leur capital accumulé rend possible et il ne leur est plus demandé de cotiser à un plan. Deuxièmement, les travailleurs qui ont une épargne suffisante sur leur compte, afin de percevoir une pension acceptable, peuvent choisir de prendre une retraite anticipée quand ils le veulent (tant que celle-ci est plus élevée que la retraite minimale soit 50 % du salaire moyen des 10 dernières années).

Ainsi, le seuil des 65-60 n’est pas un aménagement rigide du système. À moins qu’un travailleur n’ait choisi de partir plus tôt à la retraite, c’est-à-dire, qu’il ait commencé à retirer son argent comme une retraite mensuelle, il doit continuer à cotiser 10 %  sur son compte épargne-retraite jusqu’à ce qu’il atteigne cet âge. Cependant, le travailleur doit atteindre le seuil de l’âge pour avoir droit à la subvention de l’État qui garantit une retraite minimale.

Mais en aucun cas il n’y a obligation de cesser une activité, quel que soit l’âge, ni obligation de continuer à travailler ou à épargner pour la retraite une fois que vous vous êtes assurés une pension confortable comme décrite ci-dessus.

À la retraite, un travailleur a le choix entre deux options de paiement.

Dans le premier cas, le retraité peut utiliser le capital de son compte épargne-retraite pour acheter une annuité à une compagnie privée d’assurance vie. La pension viagère garantit un revenu mensuel, indexé sur l’inflation, plus les profits destinés aux personnes à charge du travailleur (il y a des obligations indexées disponibles sur le marché capital chilien afin que les compagnies puissent investir en conséquence).

Dans le second cas, le retraité peut laisser ses fonds sur un compte épargne-retraite et effectuer des retraits programmés soumis aux limites basées sur l’espérance de vie du retraité et de ses ayants droit. Dans le dernier cas, s’il meurt, les fonds restant sur son compte constituent une part de son patrimoine.

Dans les deux cas il peut retirer comme une somme forfaitaire le capital en plus duquel il a besoin pour obtenir une annuité ou un retrait programmé équivalent à 70 % de ses derniers salaires.

Le système de retraite par capitalisation résout le problème typique du système de retraite par répartition en respectant la démographie du marché du travail : dans une population vieillissante, le nombre de travailleurs par retraité baisse. Sous le système de retraite par capitalisation, la population active ne paie pas pour la population à la retraite. Donc, en contraste avec le système de retraite par répartition, le potentiel pour le conflit intergénérationel et la faillite éventuelle sont évités. Le problème des retraites qui ne sont pas fondées, auquel fait face un grand nombre de pays, n’existe pas dans le système de retraite par capitalisation.

Le contraste avec les systèmes de retraite privés basés sur les sociétés : généralement ils imposent des pénalités aux travailleurs qui partent avant un nombre donné d’années et qui quelquefois aboutissent à la faillite de leur fonds de retraite. Les travailleurs sont privés en même temps de leur emploi et de leur droit à la retraite. Le système de retraite par capitalisation est lui complètement indépendant de la compagnie qui emploie les travailleurs. Puisque le compte épargne-retraite est lié au travailleur et non à la compagnie, le compte est complètement transportable. Étant donné que le fonds de retraite doit être investi en valeurs négociables, le compte épargne-retraite a une valeur journalière et par conséquent il est facile de le transférer d’une AFP vers une autre. Le soucis du job lock est complètement écarté. La mobilité du travail n’est pas un problème, que ce soit à l’intérieur du pays ou internationalement. Le système de retraite par capitalisation crée une flexibilité du marché qui ni  ne prime ou ni ne pénalise les immigrés.

Un système de retraite par capitalisation est aussi beaucoup plus efficace et facilite une flexibilité du marché du travail. En fait, les individus, tout spécialement les femmes et les jeunes, décident de plus en plus de travailler seulement quelques heures par jour ou d’interrompre leur activité. Dans le système de retraite par répartition, ces manières flexibles de travailler engendrent des problèmes quand il faut combler les contributions manquantes. Ce qui n’est pas le cas dans le plan des comptes épargne-retraite où l’arrêt et la reprise des cotisations ne sont pas du tout un handicap.

 

La transition

Un des défis est de définir le système permanent de retraite par capitalisation. L’autre est de réussir la transition dans le système de retraite par capitalisation pour les pays qui ont déjà un système de retraite par répartition. La transition doit prendre en compte les caractéristiques particulières de chaque pays, bien sûr, spécialement les contraintes posées par la situation budgétaire.

Au Chili nous avons établi trois règles de base pour la transition :

1. Le gouvernement garantit à ceux qui reçoivent déjà leur retraite que leur pension ne serait pas affectée par cette réforme. Cette règle fut importante car les services de la Sécurité sociale ne recevront évidemment plus les cotisations des travailleurs qui sont passés dans le nouveau système. Par conséquent, les autorités ne seront plus capable de continuer à payer les retraités avec ses propres ressources. Mais avant tout, il serait injuste pour les personnes âgées de modifier leur avantages ou leurs espérances à ce moment de leur vie.

2. Le choix de rester ou de passer dans le nouveau système de retraite par capitalisation a été donné à tous les travailleurs qui cotisaient déjà au système de retraite par répartition. Un « bon de reconnaisance » avait été donné et déposé dans le nouveau compte épargne-retraite à ceux qui avaient quitté l’ancien système. Le bon était indexé et porte à un taux de 4 %. Le gouvernement paye le bon seulement quand le travailleur atteint l’âge légal de la retraite. Puis, les bons sont négociés sur un marché secondaire, ce qui leur permet d’être utilisés pour les retraites anticipées. Ce bon réflète les droits du travailleur déjà acquis dans le système de retraite par répartition. De plus un travailleur qui cotise depuis des années n’a pas à repartir de zéro quand il entre dans le nouveau système.

3. Tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail étaient obligés d’entrer directement dans le système de retraite par capitalisation. La porte était close pour le système de retraite par répartition car il n’était pas soutenable. Cette demande assurait la fin complète de l’ancien système une fois que le dernier travailleur avait atteint l’âge de la retraite (à partir de ce moment et pour une période limitée, le gouvernement doit payer seulement les pensions au retraités de l’ancien système). Cette règle est importante car le moyen le plus efficace de réduire l’emprise du gouvernement dans notre vie est de mettre complètement fin aux programmes, et non seulement de les repousser jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement puisse plus tard les ressuciter.

Après plusieurs mois de débat national sur les réformes proposées, une communication et un effort d’éducation pour les expliquer au peuple, la loi sur la réforme de la retraite a été ratifiée le 4 novembre 1980.

Afin de donner un accès égal à la création des AFP à tous ceux qui auraient pu être intéressés, la loi établit une période de six mois durant laquelle aucune AFP ne pouvait commencer d’opérations (ni même faire de publicité). De plus, l’industrie de retraite par capitalisation est unique étant donné qu’elle a un jour de conception précis : le 4 novembre 1980 ; et une date anniversaire précise : le 1er mai 1981.

Au Chili, comme dans la plupart des pays, le 1er mai est la fête du travail. Le choix de cette date ne fut pas une coïncidence, les symboles sont importants, et cette date de naissance permet aux travailleurs de célébrer le 1er mai, non pas comme un jour de lutte des classes mais comme le jour où ils furent libres de choisir leur propre système de retraite et de se libérer des chaines du système gouvernemental de sécurité sociale.

En même temps que la création du nouveau système de retraite par capitalisation, tous les salaires bruts furent redéfinis afin d’inclure la plupart des cotisations de l’employeur de l’ancien système de retraite. Le reste des cotisations de l’employeur fut changé en une taxe transitoire du travail afin d’aider au financement de la transition, et une fois que cette taxe fut éliminée progressivement, comme établie dans la loi de réforme sur les retraites, le coût de l’employeur à l’embauche a diminué. La cotisation du travailleur fut déduite du salaire brut plus élevé. Du fait que le total de la cotisation fut plus faible dans le nouveau système que dans l’ancien, les salaires nets de ceux qui passèrent dans le nouveau système augmentèrent d’environ 5 %.

De ce fait, l’illusion que l’employeur et le travailleur contribuent à la Sécurité sociale, un stratagème qui permet une manipulation politique de ces taux, est terminée. Du point de vue économique, les travailleurs supportent presque l’entière charge des taxes sur salaire car l’offre de travail globale est trop inélastique. Aussi, toutes les cotisations sont payées en fin de compte par la productivité marginale du travailleur et les employeurs doivent prendre en considération tous les coûts du travail lors de leur décision d’embauche et de salaire, tantôt appelée cotisation salariale ou Sécurité Sociale. En renomant les cotisations de l’employeur, le système rend évident que toutes les cotisations sont faites par le salarié. Dans ce scénario, le niveau du salaire final est bien sûr déterminé par le jeu des forces du marché.

Le financement de la transition est une question technique très complexe, et chaque pays doit adapter le problème suivant ses propres circonstances. En 1980, la dette implicite de la retraite par répartition du Chili avait été estimée à environ 80 % du PIB. La valeur de la dette avait été réduite par une réforme du vieux système en 1978, spécialement grâce à la rationalisation de l’indexation, l’élimination des régimes spéciaux et l’allongement de l’âge de la retraite.

Une étude récente de la Banque Mondiale (1994) établit que « le Chili montre qu’un pays avec un système bancaire raisonnablement compétitif, un marché de dettes qui fonctionne bien, et un degré acceptable de stabilité macroéconomique peut financer des déficits considérables de transition sans importantes répercussions sur les taux. »

Le Chili utilisa cinq méthodes pour financer les coûts fiscaux à court terme de la transition vers le système de retraite par capitalisation :

1. Dans le bilan de l’État, dans lequel chaque gouvernement devrait montrer son actif et son passif, les dettes des retraites de l’État furent compensées jusqu’à un certain point par les ventes des entreprises publiques et autres actifs. La privatisation n’était pas le seul moyen de financer la transition mais avait de nombreux atouts supplémentaires tels que l’augmentation de l’efficacité, le développement des propriétés et la dépolitisation de l’économie.

2. Étant donné que la cotisation nécessaire, dans le système de capitalisation pour financer les niveaux de retraite adéquats, est généralement inférieure aux taxes salariales en vigueur, une toute petite différence entre elles peut être utilisée comme taxe transitoire temporaire sans réduire les salaires nets ou augmenter le coût du travail chez l’employeur.

3. En utilisant les dettes, le coût de la transition peut être partagée par les générations futures. Au Chili, environ 40 % du coût a été financé par l’émission des obligations publiques avec des taux d’intérêt du marché. Ces obligations ont été achetées en majeure partie par les AFP comme part de leur portefeuille d’investissement et la « dette pont » devrait être complètement remboursée lorsque les retraités de l’ancien système ne seront plus parmis nous.

4. Le besoin de financer la transition fut un puissant stimulant de réduction des gaspillages gouvernementaux. Depuis des années le directeur budgétaire a été capable d’utiliser cet argument afin d’éliminer de nouvelles dépenses ou de réduire les programmes gouvernementaux complètement inutiles.

5. L’augmentation de la croissance économique, promue par le système de retraite par capitalisation, a favorisé substanciellement l’augmentation des revenus des taxes, particulièrement ceux des taxes sur la valeur ajoutée. Seize ans seulement après la réforme des retraites, le Chili s’est trouvé avec un budget fiscal excédentaire.

 

Les résultats

Les comptes épargne-retraite ont déjà accumulé un fonds d’investissement de 30 milliards de dollars, un large regroupement inhabituel de capitaux produits intérieurement pour un pays en voie de développement de 14 millions d’habitants et un PIB de 70 milliards.

Ce capital investi à long terme a non seulement aidé à consolider la croissance économique mais aussi à stimuler le développement des marchés financiers et des institutions efficients. La décision de créer d’abord le système de retraite par capitalisation et en un deuxième temps de privatiser les grandes compagnies publiques eut pour résultat un cercle vertueux. Cela donna la possibilité aux travailleurs de bénéficier librement de l’augmentation collossale en productivité des entreprises privatisées, à travers des prix élevés de la bourse qui a augmenté le rendement de leur compte épargne-retraite, et leur a permis de saisir une grande part de la richesse créée par le processus de privatisation.

Il existe environ 15 sociétés d’administration de fonds de pension. Certaines appartiennent aux conglomérats des assurances ou des banques. D’autres sont des travailleurs indépendants ou liés aux syndicats des travailleurs ou à des associations spécifiques à l’industrie ou au commerce. Certaines incluent la participation de compagnies financières internationales telles que AIG, Aetna ou Banco Santander. Plusieurs de ces grandes AFP sont elles-mêmes publiquement cotées à la bourse chilienne, et récemment, l’une d’entre elles a lancé « American Depository Receipts » à Wall Street, aidé par le récent A- degré de credibilité de l’obligation suprême chilienne.

Un des résultats clés du nouveau système a été l’augmentation de la productivité du capital et ainsi du taux de croissance de l’économie chilienne. Le système de retraite par capitalisation a rendu le marché du capital plus efficace et a influencé sa croissance sur les seize dernières années. Les vastes ressources administrées par les AFP ont encouragé la création de nouvelles formes d’outils financiers en même temps qu’elles rehaussaient les autres déjà existants, mais qui n’étaient pas complètement développés. Une autre des contributions de la réforme des retraites au Chili, vers l’opération d’assainissement et la transparence du marché du capital, a été la création d’une industrie nationale à faible taux et l’amélioration de l’administration des sociétés comerciales. Les AFP nomment des directeurs externes dans les compagnies dans lesquelles ils possèdent des actions.

Depuis que le système a commencé le 1er mai 1981, la moyenne du gain effectif sur l’investissement a été de 12 % par an (trois fois plus par rapport aux 4 % du rendement prévu). Bien sûr, le rendement annuel a montré des fluctuations qui sont intrinsèques au marché libre. Elles s’étendent de moins 3 % à plus 30 % en termes réels, mais l’importance du rendement est la moyenne à long terme.

Les pensions sous le nouveau système ont été beaucoup plus élevées que sous l’ancien système, qui en plus nécessitait une taxe sur le salaire d’environ 25 %. Par rapport à la récente étude de Sergio Baeza (1995), les retraités des comptes épargne-retraite reçoivent en moyenne une pension égale à 78 % de leur revenu annuel le plus important sur les dix dernières années de travail. Comme mentionné auparavant, les retraités peuvent retirer la somme globale de leur « excédent d’épargne » soit, plus de 70 % du plafond salarial. Si la valeur monétaire était incluse dans le calcul de la valeur de la retraite, la valeur totale approcherait le 84 % du revenu de la période active. Les bénéficiaires de pension d’invalidité reçoivent eux aussi, en moyenne, 70 % de leurs revenus.

Par conséquent, le nouveau système de retraite a contribué de façon significative à la réduction de la pauvreté par l’augmentation du nombre des pensions de vieillesse, des bénéficiaires et d’invalidité, et par l’effet indirect mais néanmoins très puissant qui favorise la croissance économique et l’emploi.

Ce nouveau système a aussi éliminé les injustices de l’ancien. Selon la sagesse populaire, les plans de retraite par répartition redistribuent les revenus des riches vers les pauvres. Bien que les études récentes ont montré que certains caracteristiques des revenus spécifiques des travailleurs et de l’opération du système politique sont pris en compte, les projets publics redistribuent généralement les revenus aux riches, et spécialement aux groupes de travailleurs les plus puissants.

 

Conclusion

Il n’est pas surprenant que le système de retraite par capitalisation au Chili se soit démontré si populaire et a aidé à promouvoir la stabilité sociale et économique. Les travailleurs apprécient la justesse du système, et ils ont obtenu à travers leur compte retraite un jalon direct et visible dans l’économie. Puisque les fonds de retraite privée possèdent une part importante des actions en bourses des plus grandes compagnies du Chili, les travailleurs sont actuellement des investisseurs dans les fortunes du pays.

Quand en 1981, le système de retraite par capitalisation a été inauguré au Chili, les travailleurs ont eu le choix d’entrer dans le nouveau système ou de rester dans l’ancien. 500 000 travailleurs chiliens (un quart de la population active) ont choisi de rejoindre le nouveau système dès le premier mois d’opération, bien plus que les 50 000 qui étaient attendus. Aujourd’hui, plus de 90 % des travailleurs chiliens qui étaient dans l’ancien système sont passés dans le nouveau. Dès 1995, cinq millions de Chiliens possédaient un compte épargne-retraite, bien qu’ils n’appartenaient pas tous à la population active, aux travailleurs à temps plein, et bien plus, ils ne contribuaient pas tous les mois.

Le point le plus important est lorsque le choix leur est donné, les travailleurs choisissent de façon accablante le libre marché, même si on touche à un monstre sacré tel que la Sécurité sociale.

À mesure que le système de retraite de l’État disparaît, les politiciens ne décideront plus désormais si les versements de retraite ont besoin d’être augmentés et de quel montant ou pour quelles catégories. Ainsi, les retraites ne sont plus désormais une source de conflits politiques et de démagogie, comme autrefois, pendant les périodes électorales. La pension de retraite d’une personne dépendra de son seul travail et du succès de l’économie et non du gouvernement ni des pressions causées par les groupes d’intérêts spéciaux.

Pour les Chiliens, les comptes épargne-retraite représentent maintenant un réel et visible droit de propriété, et ce sont les premières sources de sécurité pour la retraite. En fait, après seize ans de mise en application du nouveau système, le bien principal du travailleur chilien type n’est pas sa voiture ni même sa petite maison (qui est surement encore hypothéquée), mais le capital sur son compte épargne-retraite.

Finalement, le système de retraite privée a eu une conséquence politique et culturelle très importante. L’accablante majorité des travailleurs chiliens qui choisirent de passer dans le nouveau système le firent plus rapidement que les Allemands de l’Est ne passèrent à l’Ouest après la chute du mur de Berlin. Ces travailleurs décidèrent librement d’abandonner le système de l’État alors que les dirigeants syndicaux et les anciennes classes politiques le leur déconseillerent. Les travailleurs sont très attentifs aux sujets qui touchent leur vie de près, tels que les retraites, l’éducation, la santé, et ils prennent leurs décisions en tenant compte de leur famille et non pas des courants politiques.

En fait, le nouveau système de retraite donne aux Chiliens un jalon dans l’économie. Un travailleur chilien type n’est pas indifférent au comportement de la bourse ou aux taux d’intérêt. Par intuition, il sait qu’un mauvais ministre des Finances peut réduire la valeur de ses droits à la retraite. Quand les travailleurs ressentent qu’ils possèdent une part du pays, non pas au travers des patrons ou du Politburo, ils sont bien plus attachés au libre marché et à la société libre.

Ceci est la petite histoire d’un rêve qui est devenu réalité. La dernière leçon est que seulement les révolutions qui réussissent sont celles qui font confiance aux individus et aux merveilles que ces derniers peuvent faire quand ils sont libres.

Article publié initialement le 11 décembre 2010.

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  • Superbement bien relaté !!! Bravo !!!

  • Pour en savoir plus, voir l’ouvrage que j’ai traduit, publié par les éditions Charles Coquelin (2008): « Le Taureau par les Cornes : comment résoudre la crise des retraites » par J. Pinera.

    • Je l’ai lu, et je confirme que le livre (en tant qu’explication) est limpide et que la méthode de leur nouvelle retraite par capitalisation est excellente! Manque de bol, à la même époque, on avait en france un certain mitterand …pour qui ce genre de retraite signifiait la fin de l’état providence si cher aux socialo-communistes, qui savent bien bien à quel point un tel état est pratique pour tout controler.
      Pour info (et il me semble que c’est dans le livre de pinera que je l’ai lu la 1ère fois), la retraite par répartition francaise ne date pas de 1945 en france, mais du 15 mars 1941… tout comme la « construction » actuelle de l’administration, et le carnet de circulation (toujours en vigueur …pour les nomades seuls maintenant). Le livre de philippe simonot « l’erreur économique » en parle aussi au chapitre 19. Je pense qu’il y en a un certain nombre d’autres qui le disent (et l’explique) mais je ne connais que ces 2 livres-là.

    • 1980… Pinochet !
      Relier un acte libéral important – capitalisation des retraites – à une d.ctature militaire est au mieux inaudible. Au pire stup.de. Sauf à vouloir donner un bâton pour se faire battre.
      J’dis ça, j’dis rien…

  • Pourquoi ne nous inspirons nous pas de ce qui marche bien dans le monde ? pourquoi avons nous des oeillères ? je ne comprendrai jamais ..

    Merci pour ce billet fort instructif .

  • je vous conseille « NOS RETRAITES : RÉPARTITION OU CAPITALISATION ? » de Philippe François

  • 1980… Pinochet !
    Relier un acte libéral important – capitalisation des retraites – à une d.ctature militaire est au mieux inaud.ble. Au pire stup.de. Sauf à vouloir donner un bâton pour se faire battre.
    J’dis ça, j’dis rien…

    • Donc l’argumentaire de 18 minutes et les livres relatant la réussite du Chili sont rejetés parce que Pinochet ? De une on peut relativiser le terme de dictature, à moins d’en appliquer la définition antique car le parlement a appelé légalement à déposer Allende. De deux le retour à la démocratie s’est fait sans révolte par référendum, loin des coups d’état habituels de nos communistes de compagnie. De trois, Pinochet n’a même pas touché à ce système, c’est Piñera qui l’a assemblé et a laissé le choix à la population d’y souscrire.

      • Quand donc comprendrez-vous que le libéralisme (souvent dit neo ou ultra) est vu par une forte majorité de nos contemporains comme un nouveau fascisme, impitoyable et mortifère ?
        Voyez déjà comment le libertarien Milei, qui n’a rien d’un dictateur, est décrit chez nous : ultra-libéral d’extrême-droite !
        Alors Pinochet !!
        Bref donc, oser tirer un trait d’union entre le libéralisme et l’ère Pinochet, c’est ajouter des clous au cercueil du liberalisme. Et les gens ne s’embarrasseront pas de savoir qui a fait quoi exactement.
        Prions le ciel que ce genre d’articles ne dépasse pas le cadre du lectorat averti de CP.

      • Il y a quelques dizaines de pays dans le monde qui bénéficient d’une retraite par capitalisation. Avec succès. Les exemples ne manquent donc pas.

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Michel Barnier vient d’arriver, et avec tout le brio d’un teckel neurasthénique, il forme son nouveau gouvernement qui saura, on n’en doute pas, relever les défis qui l’attendent. Parmi ceux-là, l’établissement d’un budget vaguement crédible.

Eh oui, il va falloir trouver « un pognon de fou ».

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L’Institut économique Molinari publie une étude chiffrant les déficits des retraites françaises en tenant compte des déséquilibres des retraites du secteur public occultés par le Conseil d’orientation des retraites (COR) depuis 2002 (943 milliards de déficits représentant en moyenne 2 % du PIB par an). Construite à partir de données officielles, cette étude quantifie les déséquilibres des retraites des fonctionnaires, qui sont un facteur explicatif du caractère systématique des déficits publics depuis le contre choc du baby-boom.

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