Faut-il être surpris que des drapeaux de l’Union européenne brûlent ? Alors que la crise de la dette s’emballe à la périphérie du bloc, c’est le « business as usual » au centre de l ‘« empire » – pour paraphraser le président de la Commission, J. M. Barroso. Depuis le sauvetage de la Grèce, un pouvoir économique souverain a été transféré de manière substantielle et sans précédent à une bureaucratie centralisée. Il est inquiétant que peu d’attention soit accordée aux conséquences de ces mesures technocratiques quasi-autoritaires sur la souveraineté et la démocratie.
L’UE se plaint souvent d’être injustement accusée d’être déconnectée de la réalité. Malheureusement les récents discours prononcés par ses présidents (Conseil et Commission) dans le parlement et les discussions concernant les indemnités parlementaires ne pouvaient que renforcer cette perception.
La vision de députés acclamant le président de la Commission – et eux-mêmes – suite à sa proposition du financement de l’UE pour un impôt européen, quand plusieurs États membres sont clairement contre, a été la preuve que le système politique n’a plus les pieds sur terre (1). Ajoutons à cela que les députés européens empocheront un bonus de Noël d’environ €6.300 et qu’ils se sont par ailleurs octroyés une augmentation de 2,3% du montant de leurs indemnités (soit un total de €107.400 pour 2011) sans avoir à présenter le moindre justificatif, et on comprend mieux pourquoi la colère gronde (2). Insensibles à la tempête financière et sociale qui menace, l’euro-élite poursuit ses querelles inter-institutionnelles habituelles et vit au frais de la princesse – les masses laborieuses européennes. Le traité de Lisbonne n’a rien résolu.
L’Union économique et monétaire devait inaugurer une nouvelle ère de stabilité et de prospérité. Deux décennies plus tard, il est malheureusement évident que le contraire est vrai. L’ironie est que la crise était totalement prévisible.
Lorsque l’idée de l’UEM a été réactivée dans les années 1980, les gouvernements avaient été avertis que, sans une gouvernance économique, le projet ne serait pas viable (3). Le pacte de stabilité et de croissance avec ses armes préventives et correctives n’a tout simplement pas joué son rôle de prévention et n’a pas empêché qu’une fois dans l’UEM, les États membres n’accumulent dettes et déficits (4). Selon Eurostat (5), pas moins de 12 des 27 États membres ne respectent pas le critère de Maastricht pour la dette publique (60% du PIB).
En orbite supranationale, les planificateurs planifient toujours davantage, incapables de réévaluer leur élan intégrationniste, sans parler de le changer. Pour sauver l’euro, le bloc semble sur le point de mettre en place un « gouvernement économique » centralisé à Bruxelles. En l’absence de véritable mandat ou des mécanismes de contrôle sérieux, il vise à forcer la convergence de 27 économies qui sont par nature divergentes (6). Pour entreprendre cette mission gigantesque – disons impossible -, un tsar de la gouvernance économique, le président du Conseil de Herman Van Rompuy, doit être sacré. Dans l’intervalle, les gouvernements des pays touchés se battent pour leur survie politique. L’agitation sociale est à la hausse.
L’union monétaire imaginée par les théoriciens de la zone monétaire optimale et les fédéralistes se transforme en un euro-cauchemar de la dette (publique et privée), de la faible croissance économique et d’un chômage élevé.
À la fin des années 1980, la vision politique de la monnaie unique, promue par Jacques Delors – maintenant devenu un sage de l’intégration, a prévalu sur la raison. Il convient de rappeler que l’approbation finale du rapport Delors a eu lieu dans un contexte d’événements extraordinaires : la chute du communisme. En effet, le bond en avant dans la mise en œuvre de l’idéal fédéraliste de l’union économique, monétaire et finalement politique, est directement liée à la désintégration du bloc soviétique. Les vieilles craintes françaises d’une puissante Allemagne ont ajouté un élan diplomatique supplémentaire. Des réalistes diraient que l’euro a été le prix politique que l’Allemagne a dû payer pour la réunification. En 2010, le contribuable allemand supporte le coût croissant du désastre de la dette. La question : pour combien de temps encore ?
Les Irlandais semblent ne pas douter qu’en acceptant le paquet de sauvetage, leur pays a abandonné indépendance politique et souveraineté. Les eurosceptiques ont longtemps soutenu que l’élite de l’UE cherche activement à remplacer la souveraineté par la bureaucratie, les électeurs par des experts. Pour Bruno Waterfield l’enjeu n’est pas la disparition de l’État-nation en soi, mais plutôt la question de la souveraineté, à savoir qui décide : « Lorsque la souveraineté populaire est écartée par les administrateurs », prévient-il, « le peuple devient une menace, ou un problème à ignorer » (7). Comme le rejet de la constitution, puis l’adoption du traité de Lisbonne – un texte quasiment identique selon l’analyse comparative de Open Europe (8), l’a amplement démontré, la souveraineté populaire est profondément impopulaire auprès des dirigeants européens.
Quelle ironie que l’Union luttant maintenant pour sa survie devrait tant à la disparition d’une autre utopie supranationale, l’Union soviétique, avec son propre type de dispositif supranational fortement centralisé et son élite privilégiée. Dans un essai réflexion intitulé L’Union européenne, une nouvelle URSS ? (2005), l’ancien dissident soviétique Vladimir Boukovski évoque les racines soviétiques de l’intégration européenne et explique comment les idées socialistes ont transformé progressivement une zone économique à succès (la CEE) en une nouvelle hégémonie bureaucratique.
Bien sûr, l’Union post-démocratique est constituée d’États démocratiques jouissant de normes élevées de liberté politique. Mais il n’est plus possible d’ignorer que l’érosion en cours des droits souverains est un pas de géant vers la mise en place d’un gouvernement supranational économique et un Leviathan bureaucratique. L’économiste autrichien F. Hayek nommait cela La route de la servitude en 1944.
Article paru originellement sur www.UnMondeLibre.org.
Notes :
(1) EU plan self-funding despite member states fears: http://euobserver.com/9/31335/?rk=1
(2) http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/eu/8199572/MEPs-award-themselves-91000-tax-free-expenses-a-year.html
(3) Daily Telegraph, The Horrible truth starts to down on European leaders: http://blogs.telegraph.co.uk/finance/ambroseevans-pritchard/100008667/the-horrible-truth-starts-to-dawn-on-europes-leaders/
(4) Verdun, A. in European Union Politics, p331, chapter 20: “ Economic and Monetary Union”.
(5) http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/2-22042010-BP/FR/2-22042010-BP-FR.PDF
(6) Institut Turgot, “ Union Monétaire: en route vers l’eurodrachme”: http://blog.turgot.org/index.php?post/Dryancour-EMU
(7) EU Observer, blog: http://blogs.euobserver.com/waterfield/2010/11/15/the-eu-versus-irish-freedom/
(8) Open Europe: http://www.openeurope.org.uk/research/comparative.pdf
Accuser l'Europe d'être socialiste alors même qu'elle force l'économie française à se libéraliser (plus ou moins bien selon la volonté souveraine du gouvernement), n'est-ce pas un peu étrange ?…
La gouvernance européenne est en concurrence directe avec les États-nations et n'a de cesse de phagocyter leur politique intérieure pour qu'ils cessent d'exister. La centralisation du pouvoir politique et la bureaucratisation est bel et bien une forme de socialisation rampante, que les mesures préconisées soient libérales ou non.
L’UE est un monstre de bureaucratie, un producteur de réglementation, et un haut lieu de la corruption.
Moins socialiste qu’autoritaire, elle est tout simplement étatiste.