Thomas Jefferson : « La Terre appartient aux vivants »

Une lettre de Thomas Jefferson à James Madison, qui prend un relief particulier avec l’accumulation des dettes et la crise climatique.

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Thomas Jefferson : « La Terre appartient aux vivants »

Publié le 1 août 2021
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Par Gérard Dréan.

Je retrouve cette lettre de Thomas Jefferson à James Madison, qui figure dans un recueil de ses écrits politiques que j’avais eu le plaisir de traduire en 2006. Elle prend un relief particulier avec d’une part l’accumulation des dettes et d’autre part la crise climatique.

Thomas Jefferson a été le troisième président des Etats-Unis (de 1801 à 1809). C’est aussi un grand penseur (libéral) des Lumières et une personnalité fascinante. Il était à l’époque ambassadeur des Etats-Unis en France. Le destinataire était représentant de l’État de Virginie au Congrès, comme Jefferson lui-même l’avait été, et le principal rédacteur de la Constitution et de la Déclaration des Droits. Il succèdera à Jefferson à la présidence.

J’ai un peu abrégé cette lettre pour en faciliter la lecture.

 

À James Madison

Paris, le 6 septembre 1789

La question de savoir si une génération d’hommes a le droit d’en lier une autre semble ne jamais avoir été posée de ce côté de l’océan ou du nôtre. Pourtant c’est une question qui a de telles conséquences qu’elle mérite non seulement une décision, mais aussi une place parmi les principes fondamentaux de tout gouvernement.

Je pars de cette base que je suppose évidente, « que la Terre appartient en usufruit aux vivants » ; que les morts n’ont ni pouvoirs ni droits sur elle. La portion qui est occupée par un individu cesse d’être à lui quand lui-même cesse d’être, et revient à la société. Si la société n’a pas établi de règles pour l’appropriation individuelle de ses terres, elle sera prise par les premiers occupants. Ce sera généralement la femme et les enfants du défunt. Si la société a établi des règles d’appropriation, ces règles peuvent la donner à la femme et aux enfants, ou à certains d’entre eux, ou au légataire du défunt.

Ainsi, ils peuvent la donner à son créancier. Mais l’enfant, le légataire ou le créancier la prennent, non par un quelconque droit naturel, mais par une loi de la société dont ils sont membres, et à laquelle ils sont assujettis. Donc aucun homme ne peut, par droit naturel, obliger les terres qu’il occupait, ou les personnes qui lui succèderont dans cette occupation, au paiement de dettes contractées par lui. Car s’il le pouvait, il pourrait, pendant sa propre vie, consommer l’usufruit des terres pour plusieurs générations à venir, et alors les terres appartiendraient aux morts, et non aux vivants, ce qui serait l’opposé de notre principe. Ce qui est vrai de chaque membre de la société individuellement est vrai de tous collectivement, puisque les droits de l’ensemble ne peuvent pas être plus grands que la somme des droits des individus.

Pour garder nos idées claires quand nous les appliquons à une multitude, supposons qu’une génération complète d’hommes soient nés le même jour, arrivent à l’âge mûr le même jour, et meurent le même jour, laissant une génération suivante sur le point d’atteindre leur âge mûr tous ensemble. Supposons que l’âge mûr soit 21 ans, et leur durée de vie 34 ans de plus, cela étant la moyenne donnée par les états de mortalité pour les personnes qui ont déjà atteint l’âge de 21 ans. Chaque génération successive, de cette façon, entrerait et sortirait de scène à un moment défini, comme actuellement les individus.

Alors, je dis que la Terre appartient à chacune de ces générations pendant sa durée, pleinement, et en propre. La deuxième génération la reçoit libre des dettes et des engagements de la première, la troisième de la deuxième, et ainsi de suite. Car si la première pouvait lui faire supporter une dette, alors la Terre appartiendrait à la génération morte et non à la vivante. Donc aucune génération ne peut contracter des dettes supérieures à ce qu’elle peut payer dans le cours de sa propre existence.Pour rendre cette conclusion palpable par un exemple, supposons que Louis XIV et Louis XV aient contracté des dettes au nom de la nation française pour le montant de 10 000 milliards de livres et que la totalité ait été contractée à Gênes. L’intérêt de cette somme serait 500 milliards, ce qui est considéré comme la totalité des loyers, ou le produit net du territoire de la France.

Est-ce que la génération actuelle des hommes s’est retirée du territoire dans lequel la nature l’a produite, et l’a cédé aux créanciers génois ? Non. Ils ont les mêmes droits sur le sol sur lequel ils ont été engendrés que celui des générations précédentes. Ils tirent ces droits non de leurs prédécesseurs, mais de la nature. Donc eux et leur sol sont par nature libres des dettes de leurs prédécesseurs. Supposons encore que Louis XV et la génération qui lui est contemporaine aient dit aux prêteurs de Gênes : donnez-nous de l’argent pour que nous puissions manger, boire, et nous divertir dans notre temps ; et à condition que vous n’exigiez pas d’intérêt avant que 19 années soient écoulées, vous recevrez alors ensuite pour toujours un intérêt annuel de 12 pour cent. L’argent est prêté à ces conditions, est partagé entre les vivants, mangé, bu, et dilapidé. Est-ce que la génération actuelle serait obligée d’utiliser le produit de la terre et de son travail pour rembourser leurs gaspillages ? Pas du tout.

Je suppose que l’opinion reçue, que les dettes publiques d’une génération se transmettent à la suivante, a été suggérée par ce que nous voyons habituellement dans la vie privée, où celui qui prend la succession de terres doit payer les dettes de son ancêtre ou testateur, sans considérer que cette exigence n’est que sociale et non morale, découlant de la volonté de la société qui a trouvé commode de donner la propriété des terres devenues vacantes par la mort de leur occupant sous condition du paiement de ses dettes ; mais que entre société et société, ou entre génération et génération, il n’y a pas d’obligation sociale, pas d’autre arbitre que la loi de la nature. Il ne semble pas que nous ayons perçu que, selon la loi de la nature, une génération est à une autre comme une nation indépendante à une autre.

Les intérêts de la dette nationale de la France n’étant en fait que la deux-millième partie de son total des loyers, leur paiement est assez faisable, et devient ainsi une simple question d’honneur ou de convenance. Mais quant aux dettes futures, ne serait-il pas sage et juste que cette nation déclare, dans la Constitution qu’ils sont en train de préparer, que ni le corps législatif ni la nation elle-même ne peut de façon valide contracter plus de dettes qu’ils ne peuvent payer dans leur propre époque, ou dans une durée de 19 ans ? Et que tous les contrats futurs seront réputés nuls pour ce qui restera impayé à l’issue des 19 années de leur date ?

Cela mettrait les prêteurs, et aussi les emprunteurs, sur leurs gardes. En réduisant aussi la possibilité d’emprunter dans ses limites naturelles, cela mettrait un frein à l’esprit guerrier, à qui un trop libre cours a été donné par le manque d’attention des prêteurs à cette loi de la nature, que les générations suivantes ne sont pas responsables pour les précédentes.

Sur des bases similaires, on peut prouver qu’aucune société ne peut établir une Constitution perpétuelle, ou même une loi perpétuelle. La Terre appartient toujours à la génération vivante. Ils ont alors le droit de la gérer, et ce qui en provient, comme il leur plaît, pendant qu’ils en ont l’usufruit. Ils sont aussi maîtres de leurs propres personnes, et par conséquent ils ont le droit de les gouverner comme il leur plaît. Mais les personnes et la propriété composent la totalité des objets du gouvernement.

La Constitution et les lois de leurs prédécesseurs s’éteignent, dans leur cours naturel, avec ceux dont la volonté les a fait naître. Celle-ci pourrait en conserver l’existence jusqu’à ce qu’elle-même cesse d’exister, et pas plus longtemps. Chaque Constitution, donc, et chaque loi, expire naturellement au bout de 19 ans. Si elle est appliquée plus longtemps, c’est un acte de force et non de droit.

Retournez ce sujet dans votre esprit, mon Cher Monsieur, particulièrement quant au pouvoir de contracter des dettes, et développez-le avec cette perspicacité qui vous caractérise. Votre place dans les conseils de votre pays vous donne l’occasion de le soumettre à la considération publique, et de l’introduire dans la discussion. À première vue, on peut le railler comme une spéculation théorique ; mais à l’examen il se révèlera solide et salutaire. Il fournirait la matière d’un bon préambule à notre première loi sur l’appropriation du revenu public ; et il exclura, au seuil de notre nouveau gouvernement, les erreurs contagieuses et ruineuses de cette partie du globe, qui ont armé des despotes avec des moyens non autorisés par la nature pour enchaîner leurs congénères.

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  • ça ne signifie surtout rien du tout de sensé..

    « la terre ne nous appartient pas » a pour conséquence que l’humainté n’est en rien légitime à changer quoique ce soit..et donc qu’elle doit disparaitre.. ou à la rigueur , en omettant les crimes des aïeux, vivre en ne changeant RIEN…

    la nature ne nous appartient pas signifie toujours…TOUJOURS, elle m’appartient à moi plus qu’à toi.. c’est une façon de taxer le travail des autres de les asservir … sous prétexte que la nature serait notre richesse à tous…

    nous sommes sous un arbre nous avons faim…je monte dans un arbre cueille des fruits puis je fabrique un filet pêche du poisson….

    et voila un paresseux qui m’explique qu’il je lui DOIS des fruits et du poisson…
    plus une taxe pour la fabrication du filet…
    m aisc curieusement il ne les rendra pas à la nature..

    • @Jacques je suppose que vous êtes simple baby-boomer et donc comme toute votre génération non seulement vous ne supportez pas la moindre contrainte mais vous ne supportez pas qu’on vous en fasse le moindre reproche

      • quel reproche me fais tu???

        de dévaster la terre? le climat? ou autre de vous voler votre dû?

        oh mon pauvre chéri…comme la vie dans un pays développé est difficile..je te plains..
        quand je songe aux enfants qui ont la chance de vivre dans une nature intacte..

        notez que vous n’adressez en RIEN mon argument.. car il est simple..(et non simpliste) …

        tes enfants philippe quoique que tu fasses pourrons te faire le même reproche….  » tu as changé la nature » et bien entendu j’aurais préféré la nature d’avant…

        quand je peux être critiqué quoique je fasse , je m’en tape…

        donc tu aurais voulu quoi? plus d’oiseaux? moins de pollution…? et tu aurais accepté de sacrifier quoi contre cela??? vas y commence qu’on rigole.. quel pays prends tu comme modèle?

      • je vois que tu es un simple ingrat.

    • Un baby-boomer
      Le raisonnement de Jefferson est extrêmement pertinent et parfaitement logique il a le seul défaut d’obliger chaque génération à payer ses dettes au lieu de vouloir les reporter sur la suivante et donc de vivre au-dessus de ses moyens

      • non…. des babys boomers FRANCAIS se sont aussi fait entuber par des baby boomers…let le remboursement des dettes des babys boomers français profiteront à des gens de ta génération… si elles sont remboursées…

        si elle ne le sont pas..tu ne sera pas le plus perdant…si tu perds quoique ce soit…

        pas ok boomers…. ok keynesien ok socialiste ok bureaucrate…

        à présumer que celui à qui tu parles te fois quelque chose du fait de son âge tu vas de prendre un coup de poing dans la figure..

        en somme si toi fils de député de gauche tu vois un clodo de 6O berges tu lui cries rend moi mon argent ou ma planète… c’est bien ça?

        théorie victimaire. être jeune ne fait pas de toi une victime..loin de là.

      • C’est plus profond que cela.
        Il dit que ce n’est pas possible, que cela ne se peut.
        Donc quelqu’un en fait les frais AVANT.
        Quelqu’un de faible par exemple, des sans-dents, ceux qui ne peuvent prendre les fourches et lancer des pavés. Car pour ceux-là, tapis rouge.

      • Les décisions du gouvernement ne sont pas prise par les citoyens, vous ne pouvez les reprocher à ceux-ci. C’est aux hommes politiques qu’il faut vous en prendre. Les citoyens eux ont bossé plus que vous, payé leurs cotisations sociales et les impôts et taxes décrétées par la mafia au pouvoir qui les a rackettés sans merci.

  • @ Jacques Lemière
    BIzarre … J’ai l’impression que vous avez compris exactement le contraire de ce que dit Jefferson. Lequel de nous trois (après tout, j’ai pu mal traduire) se trompe ?

  • L article pourrait être intéressant mais comment faire pour l appliquer alors que la dette repose sur au moins 5 générations et qu elle ne sera probablement jamais payé
    N oublions pas qu en politique l héritage est le maître mot

    • Une dette est toujours payée. Il y a toujours un pigeon pour en faire les frais ❗
      Ne croyez donc pas qu’une dette n’est jamais payée. Ce sont toujours les plus faibles qui en font les frais. C’est la loi du plus fort, la loi de la sauvagerie habillée en costard-cravate, passant chaque semaine au journal de 20 heures pour montrer combien il est autoritaire et juste en même temps, combien il fait de belle phrases et en même temps combien ses concurrents sont nuls.
      Toute ressemblance avec un PR actuel ou passée est fortuite, bien entendu…

  • Adapté à aujourd’hui époque où 4 générations de vivants cohabitent sur Terre, on peut en faire de la dette.

    • Contrepoints a supprimé un passage important où après un calcul reposant sur les tables de mortalité de l’époque, Jefferson conclut :
      « 19 ans est la durée au-delà de laquelle ni les représentants d’une nation, ni même toute la nation elle-même assemblée, ne peuvent prolonger une dette de façon valide ».

      Le même raisonnement refait avec les chiffres actuels devrait donner à peu près 30 ans au lieu de 19.

      • Merci ! C’est possible de diffuser le dit passage en commentaire ?

        • Oui. Voici le passage en question (toujours ma traduction)

          À l’âge de 21 ans, ils peuvent se lier, eux et leurs terres, pour 34 années à venir : à 22 ans, pour 33 ans ; à 23 pour 32 et à 54 ans pour une seule année ; parce que telles sont les durées de vie qui leur restent à ces époques respectives. Mais il faut noter une différence pratique entre la succession d’un individu et celle de toute une génération. Les individus ne sont que des parties d’une société, sujets aux lois d’une totalité. Ces lois peuvent donner la propriété de la portion de terre occupée par un défunt à son créancier plutôt qu’à tout autre, ou à son enfant à condition qu’il donne satisfaction à son créancier. Mais quand toute une génération, c’est-à-dire toute la société meurt, comme dans le cas que nous avons supposé, et qu’une autre génération ou société lui succède, elle forme un tout, et il n’y a pas de supérieur qui peut donner leur territoire à une troisième société, qui peut avoir prêté de l’argent à leurs prédécesseurs au-delà de leur faculté de payer.
          Ce qui est vrai d’une génération où tous arrivent à l’autonomie le même jour, et meurent tous le même jour, est vrai de celles qui ont un rythme constant de déclin et de renouvellement, avec cette seule différence. Une génération qui arrive et part dans sa totalité, comme dans le premier cas, aurait un droit dans la première année de son autorité à contracter une dette pour 33 années, dans la 10ème pour 24, dans la 20ème pour 14, dans la 30ème pour 4. puisque les générations qui changent quotidiennement, par des morts et des naissances quotidiennes, ont un terme constant qui commence à la date de leur contrat, et finit quand une majorité de ceux qui sont majeurs à cette date seront morts. La durée de ce terme peut être estimée à partir des tables de mortalité, corrigées par les circonstances de climat, d’occupation etc. propres au pays des contractants. Prenez, par exemple, la table de M. de Buffon où il fait état de 23 994 décès, et des âges auxquels ils sont survenus. Supposons une société où 23 994 personnes naissent chaque année et vivent jusqu’aux âges indiqués dans cette table. Les conditions de cette société seront les suivantes. Premièrement, elle sera constamment constituée de 617 703 personnes de tous âges. Deuxièmement, de ceux qui sont vivants à chaque instant, la moitié mourra dans 24 ans et 8 mois. Troisièmement, 10 675 arriveront chaque année à l’âge de 21 ans révolus. Quatrièmement, il y aura constamment 348 417 personnes de tous âges au-dessus de 21 ans. Cinquièmement, la moitié de ceux de 21 ans et plus qui sont vivants à chaque instant mourront dans 18 ans et 8 mois, ou disons 19 ans, le nombre entier le plus proche. Donc 19 ans est la durée au-delà de laquelle ni les Représentants d’une nation, ni même toute la nation elle-même assemblée, ne peut prolonger une dette de façon valide.

  • Ce magnifique texte, que je ne connaissais pas alors que j’ai tendance à me prétendre Jeffersonien en toutes choses, est extrêmement important pour comprendre plusieurs questions. La première est bien évidemment le conflit intérieur angoissant qu’a vécu Thomas Jefferson lorsqu’il eut à acheter la Louisiane avec, hélas, l’apport financier de nouvelles dettes publiques. La seconde est le conflit qui l’opposera toute sa vie aux perversions financières du nuisible sieur Alexander Hamilton qui voulait créer une sorte de banque centrale qui aurait accru l’offre de monnaie pensant comme nos apprentis-sorciers actuels – qu’on nomme à tort « experts » – que le crédit fait l’accumulation du capital alors que la causalité est purement inverse.

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