Le jeudi 6 janvier, la France a effectué sur les marchés obligataires son premier placement de l’année. La bonne nouvelle est que l’adjudication a rencontré un franc succès auprès des investisseurs : près de €9 milliards ont été alloués alors que la demande s’élevait au double.
La mauvaise nouvelle réside dans les rendements exigés. S’ils sont, au regard des niveaux historiques, à un niveau raisonnable, ils traduisent tout de même un mouvement perceptible de hausse qui a débuté fin août et qui va très certainement continuer. À cette époque, le taux 10 ans se traitait aux alentours de 2,50%, contre 3,38% actuellement.
Cela est d’autant plus inquiétant que le programme d’émission de dette moyen-long terme de la France est assez important cette année. En effet, pas moins de €187 milliards vont venir alimenter les marchés, moitié pour renouvellement des emprunts arrivant à échéance, moitié à cause du déficit.
Les experts de RBS estiment depuis plusieurs années les besoins de refinancement des pays de la zone euro. En 2011, ce sont €853 milliards qui devront être levés.
Ces trois dernières années, les émissions de dettes souveraines des principaux pays de la zone euro s’étaient élevées à €660, €935 puis €933 milliards. Et RBS prévoit le franchissement de la barre des €1.000 milliards pour 2012. L’année 2011 devrait donc voir un léger reflux des encours collectés.
Mais, comme pour la stabilité entre 2009 et 2010, il faut y voir le signe non d’une moins mauvaise gestion mais des difficultés d’accès au marché de pays comme la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Ces derniers ont en effet utilisé des circuits parallèles comme le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF), le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) et le FMI à hauteur de €142,5 milliards.
On remarquera également au passage que la France va avoir un besoin de refinancement quasi-identique à celui de l’Allemagne. Sans doute la fameuse convergence dont parlait Nicolas Sarkozy… Le problème étant que les deux pays ne sont pas tout à fait de la même taille et que les marchés ont plus confiance dans la (relative) rigueur allemande face à la crise que dans le laxisme français mêlé de relance keynésienne. En effet, au niveau des rendements demandés par le marché, il y a plutôt divergence.
Le spread (écart) entre le Bund 10 ans et l’OAT 10 ans, qui était régulièrement sous les 20 points de base (0,20%) depuis l’introduction de l’euro, s’est nettement accru depuis début 2008. Il dépasse désormais les 50 points de base.
Reste que les montants à lever de manière « classique » sont colossaux. L’appétit des investisseurs va-t-il suffire à combler ces gigantesques besoins. Vont-ils être capables d’absorber plus de €1.000 milliards chaque année ? Vont-ils en avoir la volonté si, comme le souhaitait Christine Lagarde, des clauses d’action collective permettant de restructurer la dette sont instaurées pour les emprunts émis dès mi-2013. La question se pose avec encore plus d’acuité pour la France dont beaucoup d’emprunts vont arriver à échéance dans les années à venir : €95 milliards en 2011, puis €110 et e101 milliards en 2012 et 2013. A cela se rajouteront les déficits budgétaires à venir puisqu’aucun équilibre n’est en vue.
Pour éviter un goulot d’étranglement, la solution retenue est non pas de réduire les déficits, mais de rallonger les maturités des obligations émises. La France est ainsi le seul pays a émettre à 50 ans. La problématique du refinancement interviendra donc plus tard et reposera sur les épaules déjà bien chargées des générations futures. On peut donc s’attendre à voir la durée de vie moyenne de la dette française, à 7 ans actuellement, continuer à augmenter.
Les conditions sont par ailleurs opportunes puisque la courbe des taux est assez plate actuellement, c’est-à -dire que les rendements exigés pour les maturités très longues diffère peu des maturités longues (3,85% pour le taux 20 ans contre 3,90% pour les taux 30 et 40 ans).
Mais il s’agit là de moyen-long terme, alors qu’il est loin d’être acquis que les refinancements prévus les prochaines années puissent se faire, étant donnée notre forte dépendance des investisseurs étrangers (70% de la dette est détenue par des non-résidents). En cas de problème, les « spéculateurs » et les « marchés financiers » seront alors évidemment jetés à la vindicte populaire, mais la ficelle commence à être usée et l’incurie budgétaire des différents gouvernements successifs finira par apparaître. La Chine devra-t-elle jouer les sauveurs ? Ou alors faudra-t-il se tourner vers la BCE, qui en est déjà à €73,5 milliards d’obligations d’État achetées (toutefois encore loin des $1.000 milliards estimés d’emprunts US de la Fed). On comprend dans ces conditions que les nouvelles réglementations financières telles que Solvency II ont pour but inavoué de détourner les investissements des assureurs des actions vers les obligations d’Etat. Et ce au détriment de la croissance future.
Les marchés vont décidément être extrêmement sollicités dans les années à venir. Au-delà des besoins des états, Solvency II et Bâle III vont solidement pomper dans l'épargne. J'ai participé à un séminaire de la European Banking Federation, et Bâle III à lui seul demanderait de lever 650 milliards d'euros. Je ne connais pas les chiffres Solvency II, mais ça ne doit pas non plus être triste.