Quels droits la société a-t-elle sur nous ?

Quand l’extrême-droite et de l’extrême gauche se rejoignent et s’opposent au libéralisme

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Quels droits la société a-t-elle sur nous ?

Publié le 28 janvier 2011
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S’il est un thème sur lequel une partie de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche  se rejoignent et s’opposent au libéralisme, c’est bien sur le refus de reconnaître le caractère universel des valeurs occidentales, comme de tout autre système de valeur. Des motivations propres à chaque courant politique expliquent cette position commune : l’extrême-gauche veut se montrer tiers-mondiste ; l’extrême-droite y trouve un moyen de récuser l’idéologie des Lumières et de justifier des actes violents ou xénophobes. Les premiers prétendent prendre partie pour le faible et l’opprimé, les seconds espèrent rendre acceptable la loi du plus fort. Les uns comme les autres s’accordent cependant pour proclamer ce principe : les valeurs issues des Lumières n’ont pas à être imposées à des sociétés s’appuyant sur d’autres valeurs, tout aussi légitimes dans leur contexte.

L’exemple de l’attitude de la Chine au Tibet et des critiques occidentales qui y sont associées donne un bon aperçu de cette manière de voir et de ses limites éventuelles.

Les défenseurs du relativisme culturel, contestant aux Occidentaux tout droit à imposer aux Chinois d’agir selon les valeurs occidentales fondées sur les droits de l’homme, leur interdisent de s’opposer à l’action de la Chine au Tibet.

Toute affirmation de ce genre doit cependant reposer sur un principe plus général et plus fondamental qui peut être découvert et dont la maxime « aucune culture n’a le droit d’imposer ses valeurs à une autre » pourrait rendre compte ici. De manière paradoxale, appliqué non plus aux critiques de l’Occident contre la Chine,  mais aux relations de la Chine et du Tibet, ce principe conduirait à condamner la manière dont celle-ci tente d’éradiquer la culture tibétaine. Dès lors, des tiers pourraient légitimement prendre la défense du Tibet confronté à une agression chinoise. L’absence de droit des occidentaux de critiquer l’action de la Chine au Tibet est donc injustifiable au vu même du principe sur lequel cette idée est fondée.

Débarrassée de telles incohérences, le relativisme culturel conduirait à considérer les cultures comme des sujets de droit susceptibles de s’opposer aux atteintes qui pourraient leur être faites.

Dans la mise en pratique d’une telle philosophie, la difficulté est de déterminer la dimension la plus petite de ce qui peut encore revendiquer le titre de « culture » et les droits qui y sont liés. Une minorité  souhaitant, au sein d’un groupe plus étendu, s’opposer à ce qu’une norme lui soit imposée, devra faire reconnaitre son statut de culture à part entière. Quelle que soit la limite choisie aucune ne semblera incontestable et suscitera les critiques des groupes plus petits auxquels la qualité sera refusée, à moins de consacrer les droits de l’individu lui-même dont les choix seront  alors considérés comme l’expression d’une culture propre et « unique ». Même si la limite devait correspondre à un groupe relativement plus important, il est rare qu’un comportement individuel ne puisse être rattaché à une forme culturelle donnée. Les choix individuels pourraient donc être protégés, non pour eux-mêmes, mais en raison de leur lien avec des cultures déterminées.

Selon une conception plus modeste du relativisme culturel, les normes qui régissent les relations entre les individus ou entre ceux-ci et la société sont valables dans une culture donnée mais il n’est possible de rien conclure sur les relations entre les cultures (par exemple elle ne permet pas de juger l’action de la Chine au Tibet … sans interdire de le faire pour autant !)

Cette approche dont les adeptes critiquent les prétentions universalistes du libéralisme adopte en réalité une logique interne assez proche de celui-ci.

Dans un cas comme dans l’autre, concernant il est vrai des objets différents, le comportement individuel dans le cas du libéralisme, les rapports entre individus, entre l’individu et l’état ou la société dans le cas du relativisme culturel, sont appliqués des principes assez semblables :

1° relativisme à l’égard du contenu du comportement individuel ou de la norme socio-juridique appliquée, amenés à varier en fonction de l’individu ou de la société qui les adoptent,
2° application d’une règle générale lorsqu’il s’agit de déterminer la source légitime (individu ou société) de ce comportement ou de cette norme.

Autrement dit, le principe selon lequel la société détermine ce qui est permis, moral ou immoral relève bien de l’universalisme, même si les normes appliquées en raison de ce principe diffèrent.

Or l’individu qui pense et qui ressent n’est-il pas une source de droit plus pertinente qu’une entité abstraite comme la société ?

En pratique, bien sûr, c’est toujours la société ou plus exactement la majorité de ses membres (sauf cas de dictature d’un petit groupe) qui déterminera quelles valeurs seront appliquées en son sein. Ce constat factuel n’implique rien sur le fond et n’est pas la preuve du bien-fondé du relativisme culturel. La puissance n’est pas le droit. D’ailleurs, ce mécanisme ne signifie pas qu’une société ne reconnaisse ces valeurs pour vraies que dans la mesure où elle les acceptées comme telles.  Pour une société religieuse, les droits du ou des dieux ne dépendent pas de leur acceptation par les hommes et les droits de l’homme de 1789 étaient simplement « reconnus et déclarés » par l’Assemblée Nationale, leur existence étant indépendante de cette déclaration.

De manière plus fondamentale, l’examen critique du relativisme culturel exige d’en déterminer les fondements et les invariants.

Dans tous les cas, cette doctrine a pour corollaire la conviction que la société a des droits sur l’individu (ou, ce qui revient au même que l’individu a des obligations à l’égard de la société) : les deux propositions  « toute société produit légitimement ses propres normes » et «  l’individu a des obligations vis-à-vis de la société » seront toujours vraies ou fausses en même temps.

Or, la légitimation des contraintes exercées par la société sur l’individu imite les justifications des obligations entre individus. Elle repose parfois sur une logique proche du contrat avec la maxime : « vous avez accepté les règles de la société dans laquelle vous vivez » et d’autrefois sur le devoir de reconnaissance  ainsi exprimé « vous devez rendre à la société ce qu’elle vous a donnée ».

Le contrat est, avec la responsabilité, l’une des principales sources d’obligations entre individus dans le droit civil français. En revanche, le devoir de reconnaissance n’est pas reconnu en tant que tel dans notre droit et relève davantage d’une obligation morale non applicable juridiquement. Il est important de le noter pour la question qui nous occupe car on sera tenté d’en conclure que cette justification est a priori moins forte que la première. Toutefois, les principes de la gestion d’affaire peuvent dans une certaine mesure s’approcher d’une formulation juridique particulière du devoir de reconnaissance et la possibilité de révoquer des donations pour cause d’ingratitude n’en est pas éloignée.

Dans tous les cas ce sont de fortes sources d’obligations morales entre les personnes même si le caractère d’obligation juridique n’est admis que dans le premier cas.

Ces deux principes peuvent-ils s’appliquer à la relation de la société et de l’individu pour justifier, au nom de celle-là, que l’on exerce une contrainte sur celui-ci ?

Nous examinerons successivement la valeur des deux légitimations des droits de la société sur nos vies « vous avez accepté les règles de la société dans laquelle vous vivez » et « l’individu a des obligations vis-à-vis de la société ».

(À suivre)

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  • En quoi utiliser la force de l’état pour imposer la liberté à un pays étranger est libéral ?
    C’est un non-sens typiquement néo-con.

  • L’intention de ce texte est de ceux qui vont suivre n’est pas de justifier les guerres et les interventions extérieures, je pense que vous le constaterez facilement.

    Pour répondre à votre remarque, je suis par moi-même hostile à des interventions extérieures ayant ce but mais pour des raisons opposées à celles que vous mettez en avant.

    Vous utilisez d’abord le terme « imposer la liberté » qui est un oxymore. Il n’y a pas un pays qui ne veut pas de la liberté et à qui on l’impose contre son gré mais un état qui opprime son peuple ou des minorités.

    Transposé dans une famille dont le père et mari terrorise les siens par la violence, votre commentaire deviendrait :  » pourquoi imposer la liberté à une famille qui n’en veut pas ?  »

    Je pense que vous saisirez que le non-sens est le même dans les deux cas.

    Et me direz-vous, si la majorité de la population est hostile à cette liberté ? J’espère montrer au long des textes qui vont suivre que cette majorité n’a pas de légitimité à porter atteinte à la liberté individuelle.

    Il faut donc rejeter en principe tout droit qu’aurait un pays quelconque, au nom de « sa liberté » à attenter aux libertés.

    Il reste que je suis comme vous hostiles aux interventions extérieures destinées à imposer les libertés pour les raisons suivantes :

    1°) Les interventions militaires font toujours des morts innocents. Ceux-là se voient privés de la vie au profit de liberté d’autres personnes.

    2°) Quand certaines atteintes aux libertés découlent de préjugés largement partagés dans la population, l’intensité de répression nécessaire pour faire respecter ces libertés aboutira de ce point de vue plus à une perte qu’ à un gain.

    3°) Les pays qui interviennent à l’extérieur ne sont pas les bras armés d’une justice abstraite. Ils ont aussi leurs passions et leurs intérêts. Si une intervention donnée peut-être juste, légitime et appropriée, ne seront-ils pas conduits à les multiplier en oubliant ces considérations ? L’histoire l’a suffisamment montré.

    Dans mon texte, je voulais donc montrer qu’on ne pouvait défendre l’attitude de la Chine au Tibet ou de tout état dictatorial ou totalitaire vis à vis de sa population, sans appeler à une intervention extérieure :  » L’absence de droit des occidentaux de critiquer l’action de la Chine au Tibet est donc injustifiable au vu même du principe sur lequel cette idée est fondée. »

    Il est vrai que j’ai écrit maladroitement :  » Dès lors, des tiers pourraient légitimement prendre la défense du Tibet confronté à une agression chinoise.  » Je me situais sur le plan des principes en imaginant une intervention qui n’aurait presque aucun coût.

    Dans les faits, je suis hostile à ce type d’intervention.

    Merci de m’avoir permis en tout cas d’exprimer ma position sur ce point et d’éviter à d’autres lecteurs de faire un contresens sur ce texte.

  • Merci pour votre réponse.
    Il s’agit là, en effet d’un argument complexe et subtil qui peut être effectivement détourné ou mal interprété par des commentateurs simplistes si on ne prend pas soin de lire le développement jusqu’au bout.

  • Moi aussi je suis totalement favorable au relativisme culturel, sans quoi imposer à la planète entière les valeurs universelles revient à « mettre l’action du libéralisme en contradiction avec les valeurs qu’il défend » ! En effet une contrainte quelle qu’elle soit « reste une contrainte », dans la mesure où elle s’applique « contre le consentement des personnes ou de l’une des parties à qui elle s’adresse ». Personnellement je serais pour fonctionner sur « la valeur unique du CONSENTEMENT » : « aucune chose n’est illégitime, immorale, cruelle……..dans la mesure où la (les) personne(s) qui la subit (ssent) y consent(ent) de son plein gré ». C’est « précisément sur cette unique valeur » que fonctionne les courants les plus radicaux du libéralisme : le libertarianisme et l’anarcho-capitalisme, du moins dans son courant « utilitariste » qui prévoit au sein de toute société le regroupement des individus en « communautés d’affinités ». Ainsi dans ce système « islamistes, pédophiles et sado-masochistes » (pour prendre l’exemple de modes de vie respectant le moins les droits individuels. A bien préciser que je désigne par islamisme la branche la plus « intolérante » de l’islam et non l’islam « normale » agissant en parfaite conformité avec la loi coranique !) forment trois communautés distinctes dans lesquels ils pratiquent l’islamisme, la pédophilie et le sado-masochisme exclusivement sur « les membres de leur communauté », sans du tout l’imposer aux autres membres du pays. Je ne vois pas de quel droit un Etat ou des individus choqués par ces pratiques s’opposeraient à leur exercice dans de telles conditions, si la possibilité est laissée à ces individus de « quitter ces formes de communauté quand bon leur semble » ! S’opposer à ces pratiques sur le seul argument qu’elles sont « contraires à la nature humaine » ne peut à mon sens que conduire à la tentation de pousser « jusqu’au bout ce principe » et en revenir au système actuel qui est bientôt sur le point « d’interdire la vente de tout aliment sucré » ! En effet, l’abus de sucrerie à bien y regarder est « contraire à la nature humaine » dans la mesure où, même tardivement (après l’âge de 50 ans) elle provoque en général un diabète ou des problèmes cardiaques : il s’agit donc bien d’une « atteinte au corps de l’être humain » ! Soit mais alors ce raisonnement implique d’office la question : si interdiction d’absorber des aliments sucrés il doit y avoir, « qui » à vocation à me l’interdire ? D’autres individus plus « raisonnables » que moi ? Oui mais alors dans ce cas je pourai toujours leur échapper en me réfugiant dans la protection « d’autres individus qui parce que comme moi cèdent à cette tentation prendront ma défense » ! Alors moralité : la « collectivité » est la seule et unique à même de m’imposer cette interdiction !

    « Le devoir de reconnaissance n’est pas reconnu en tant que tel dans notre droit et relève davantage d’une obligation morale non applicable juridiquement. »

    MERCI ! Surtout « dites-le haut et fort », c ‘est en effet le principe par excellence invoqué de manière « systématique » tant par la société (et notre Etat) que les individus pour justifier « les comportements les plus coercitifs qu’ils peuvent exercer sur d’autres individus », et tout principalement « les plus faibles », ceux qui précisément ont le plus besoin du « secours des autres » ! Cet argument « t’as besoin de moi , alors ferme-là » est d’une « idiotie simpliste » (« bête et méchant », dit-on et ça va vraiment ensemble !) poussant à son paroxysme le principe ultraconservateur de la loi du plus fort ! Preuve en est que c’est « le principe systématiquement invoqué par les parents d’enfants majeurs (bien français et non musulmans !) n’ayant pas encore trouvé d’emploi », pour leur faire passer en force la poursuite de leur autorité parentale qu’ils prétendent justifier dans ces conditions ! (Et bien malheureusement combien de prétendus « libéraux » partagent totalement ce point de vue ?!…….).

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