Quels défis au Sud-Soudan ?

Pas d’État de droit, ni normes claires concernant la propriété, ni justice indépendante

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Quels défis au Sud-Soudan ?

Publié le 29 janvier 2011
- A +

Article paru originellement sur UnMondeLibre.org.

Les Sud-Soudanais ont dit « oui » à la sécession lors du référendum prévu dans l’accord global de paix signé en 2005 qui mettait fin à une guerre civile de vingt-deux ans. Le moment tant attendu est arrivé : tous les électeurs l’accueillent comme le début de leur liberté, d’une vie meilleure. Toutefois, le nouvel État ne va-t-il pas rester lié au Nord, pour le pire plutôt que pour le meilleur ? Est-il préparé à garantir les conditions pour le bien-être de son peuple ?

La question des ressources

Une nouvelle page dans l’histoire du plus vaste pays d’Afrique s’ouvre : le Sud-Soudan, en majorité chrétienne et animiste, avec 8 millions d’habitants, va se séparer du Nord d’Omar Al -Bashir, arabe et musulman. Le premier est couvert de végétation et riche en pétrole, le deuxième est en grande partie désertique mais avec le débouché sur la mer.

Les trois-quarts des ressources pétrolières du pays se trouvent dans le Sud mais sont exportées avec les pipelines qui traversent le Nord jusqu’à Port Soudan ; le secteur de l’énergie garantit 45% des revenus du Nord et 98% du Sud. Trouver un accord de coopération est une des questions les plus urgentes. La répartition paritaire actuelle des profits énergétiques (50% à chacun) va changer, comme le Dr. Atabani, conseiller du président Al-Bashir, l’a confirmé : « le partage sera de 70-30 ou 80-20 en faveur du Sud-Soudan car le pétrole appartient à son sol ». Mais le Nord, où se trouve les raffineries et le port pétrolier, va imposer des droits de passage sur les pipelines : un sujet de discorde potentiel.

Même si la négociation sur le partage de la manne pétrolière se déroule sereinement, une telle richesse naturelle pour le sud risque de provoquer le syndrome hollandais, déjà veçu par certains États africains comme le Nigéria et ou le Congo : la forte exploitation du pétrole et l’afflux des rentes dérivées des exportations produisent une appréciation du taux de change réel qui réduit la compétitivité des autres secteurs d’exportation (la culture du coton par exemple). Cette maladie économique empire en présence d’investissements directs étrangers massifs et ici la Chine entre en jeu, soit en qualité d’acheteur que celle d’investisseur, ayant en projet un nouvel oléoduc qui arrivera au Kenya.

Par ailleurs, il y a un risque réel de malédiction des ressources. Les institutions économiques ne sont pas en place, et la rente pétrolière pourrait aiguiser les convoitises de certains, asseoir la mauvaise gouvernance et le maintien d’institutions juridico-économiques défaillantes qui empêcheront le développement d’une des régions les plus sous-développées de la planète.

Le Sud-Soudan devra aussi faire face au défi de l’or bleu du Nil. Le partage actuel essentiellement entre Soudan et Égypte à 87% (55,5 milliards de m³ à l’Égypte et 18,5 au Soudan), est source de contestation de la part de l’Éthiopie, la Tanzanie, l’Ouganda, le Kenya, et la République démocratique du Congo, concernés par le bassin et qui réclament une répartition plus équitable. Le Sud-Soudan va logiquement demander sa part et peut-être faire des accords avec les autres États, ce que l’Egypte craint. Le projet de centrales hydroélectriques est déjà sur la table pour des tractations avec l’Ouganda : au détriment du flux hydraulique vers le territoire égyptien.

Questions de territoires

La démarcation de la frontière Nord-Sud, dont 20% demeure contestée, est un sujet sensible qui augmente le danger des conflits locaux (notamment à Abyei, le Haut-Nil, et le Unity) : les violences tribales, du fait de l’Armée de résistance du Seigneur et de l’émergence de nouvelles milices, ont fait plus de 900 morts et 215.000 déplacés l’année dernière.

Le pastoralisme nomade, saisonnier et déterminé par les besoins en eau et en plantes fourragères, est déjà source de tensions avec les fermiers sédentaires. La région d’Abyei par exemple, est revendiquée à la fois par la tribu sudiste d’agriculteurs Dinka Ngok et par celle nordiste, pastorale des Misseriya. Les nomades passeront-ils la frontière dans les deux sens sans heurts ?

Enfin, des milliers de Sud-Soudanais qui vivent au Nord vont retourner sur leur terre. La constitution du Sud-Soudan consacre le principe de restitution par rapport à celui de l’occupation : un Sud-Soudanais habitant au Nord qui revient à sa terre ou son habitation a le droit de la récupérer, même s’il y a quelqu’un dans les lieux. Malheureusement, la situation est compliquée par deux facteurs. Ces terres, abandonnées pendant la guerre civile, ont été occupées par des individus très souvent victimes d’autres expulsions. Ensuite, le cadre foncier substantiellement informel rend difficile de prouver les titres légitimes de propriété. Or, 120.000 personnes sont revenues depuis le mois d’octobre et on en attend 250.000 autres d’ici février.

Défis institutionnels

Le Sud-Soudan c’est aussi 85% d’adultes analphabètes, moins de 50 km route goudronnée, un système sanitaire quasi-inexistant (face à l’une des plus importantes épidémies de kala-azar, 75% de la population n’a pas accès aux soins de santé les plus élémentaires). La malnutrition est chronique et, même si la situation globale de la sécurité alimentaire s’est considérablement améliorée en 2010 par rapport à l’année précédente, la hausse des prix alimentaires due à la réduction des flux commerciaux et le retour des rapatriés menacent les progrès accomplis, selon la FAO.

Pour remédier durablement à de tels problèmes, il faut un État « fort » capable de mettre en place un projet courageux, et non des actions exclusivement de soutien. Cela passe par l’établissement d’une infrastructure juridique permettant de poser durablement les conditions du développement. Or, depuis 2005 le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) qui gouverne le Sud-Soudan a peu fait pour le peuple et il n’a pas jeté les bases d’un État de droit, n’a pas développé de normes claires concernant la propriété, ni une justice indépendante. Si les éléments potentiels de conflits et de malédiction des ressources se concrétisaient, l’avenir du Sud-Soudan ne serait pas rose.

Voir les commentaires (0)

Laisser un commentaire

Créer un compte

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
Fameux pataquès que celui déclenché le week-end dernier par le tout nouveau ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau (LR) à propos de l'État de droit. Dans un court entretien avec les journalistes du JDD dans lequel il confie d'abord son chagrin et sa colère face à l'effroyable meurtre de la jeune Philippine survenu au moment où il prenait ses nouvelles fonctions, il conclut crûment, crânement, en affirmant que : "L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. (…) La source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain."... Poursuivre la lecture

Après les élections du 28 juillet 2024, Nicolas Maduro pense pouvoir rester au pouvoir malgré l’exil forcé de son opposant en Espagne. En dépit des critiques, rien de concret n’a été fait pour assurer la transparence des élections.

 

Même les États-Unis envoient des signaux contradictoires. La saisie, le 2 septembre, de l’avion du dictateur en République dominicaine par les États-Unis a semblé être une mesure concrète, bien que largement symbolique. Dans le même temps, le Trésor américain a délivré des licences à plus de di... Poursuivre la lecture

Contrepoints a publié le 8 août 2017 un article de Samuel Furfari intitulé « Venezuela : malédiction du pétrole ou du socialisme ? ». Sept ans plus tard, cet article est malheureusement toujours d’actualité. L’auteur l’a adapté pour prendre en compte les changements intervenus depuis, mais le même constat s’applique : la malédiction du socialisme perdure au Venezuela.

 

Les élections du 28 juillet rappellent le désastre économique que les politiques socialistes infligent au peuple vénézuélien. Depuis l’arrivée au pouvoir de... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles