Qu’est-ce que l’homme ? – Qu’est ce que le Droit naturel ? – La vie en société fonde-t-elle des droits innés ?
Par Raoul Audouin
L’homme primitif pillait la nature partout où il le pouvait et nous faisons encore de même, là où elle n’est pas propriété de quelqu’un d’autre. Lorsque ses migrations le conduisaient au contact d’un autre clan, il pillait aussi bien la provende que les occupants eux-mêmes. Au siècle dernier, les ethnologues ont remarqué que les peuplades restées à l’âge de la pierre se désignaient partout elles-mêmes par le mot qui, dans chacune de leurs langues, signifie « les hommes ». Les Spartiates se nommaient les « égaux » ; et les Grecs appelaient tous ceux qui ne parlaient pas leur langue, « les barbares ».
La littérature homérique montre, toutefois, comment le fait de connaître personnellement un étranger qui voyage et demande asile, le transforme d’ennemi (en latin : hostis), en hôte (hospes), avec lequel on échange des cadeaux et un serment d’amitié, et que l’on protège contre ses propres concitoyens (à titre de réciprocité quand on sort de la cité). La Bible nous montre, dans Sodome, Lot le juste risquant sa vie pour défendre deux voyageurs (Genèse 19, 1 à 9), « Ne faites rien à ces hommes puisÂqu’ils sont venus s’abriter sous mon toit ». Ces « Lois de l’hospitalité » sont la première assise — non écrite, mais respectée comme « sainte » — d’un droit humain internaÂtional. Le rôle civilisateur du contact avec l’Étranger n’est pas moindre en ce qui concerne la vie économique. Dans le clan patriarcal chacun apporte et puise à la masse, sous l’administration, plus ou moins prévoyante du chef, et non selon la règle du donnant-donnant. Il en est encore largeÂment de même dans la famille moderne : les codes napoÂléoniens précisent qu’il n’y a pas de vol entre parents vivant au même foyer.
Tout change dès lors qu’on sort de l’optique autarcique du petit groupe. Sous peine de guerre permanente, qui ruine tantôt l’un, tantôt l’autre, l’on ne peut indéfiniment prélever sur le voisin sans fournir une contrepartie. S’y obstiner appauvrit tout le monde. Un exemple historique récent nous le montre : les oasis sahariennes, razziées périodiquement par les nomades guerriers au détriment des sédentaires, se dépeuplaient irrémédiablement avant la colonisation. Ce fut le grand bienfait des empires — depuis les Perses, les héritiers d’Alexandre et les Romains, jusqu’aux ensembles politiques d’hier : portugais, espagnol, hollandais, anglais, français et russe — que de supprimer dans leur domaine les luttes tribales et ethniques, et de remplacer le pillage par le commerce.
Quand il faut remplacer ce qui est consommé, donner en même temps que l’on reçoit, il s’ensuit la nécessité de mettre en valeur ce qui est possédé, donc de cultiver pour vendre, d’épargner, d’investir et de se spécialiser selon ses meilleures aptitudes. Alors apparaissent les notions de capital, de monnaie, de crédit. L’autorité politique formule et sanctionne des règles juridiques connues de tous les sujets, et frappe une monnaie capable de circuler tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de ses frontières : la darique des Perses, la drachme des Hellènes, le denier des Romains, le ducat des Vénitiens… Le luxe suit, avec les arts, les lettres, les sciences. En un mot la civilisation s’étend par les routes des marchands. La ruine et la barbarie reviennent avec les conflits des empires. Alors ceux-ci se disloquent par l’impossibilité de tout administrer du centre quand la société se raffine et se diversifie. Pour les nations, l’hisÂtoire de Lacédémone, comme celle des Aztèques, montre que les sociétés fondées sur l’esclavage, ou la domination d’une ethnie belliqueuse, finissent toujours par s’effonÂdrer, d’un coup et sans retour. Avec l’effondrement de l’empire soviétique, la fin du siècle nous a apporté une superbe confirmation de ce que l’histoire aurait dû nous permettre de deviner.
(À suivre : Quels sont les principes d’un droit humain ?)
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