« Au-delà de leur remarquable solidarité, les agents du service public ont d’autres qualités : leur force d’inertie, leur réactivité et leur inventivité que la majorité d’entre eux ont choisi de mettre au service d’une grande cause : leur intérêt. »
Voilà une description résumant fort bien le propos de l’ouvrage, qui est de dénoncer les travers d’une caste bien de chez nous : les fonctionnaires. L’auteur déboulonne un à un les mythes qui masquent la réalité peu reluisante de la fonction publique.
Il suffit de lire les titres : « Le sabotage de l’intérêt général », « Au service de tout… sauf du public ! », « Ils vivent au-dessus de nos moyens », et j’en passe.
Quelques vérités qui fâchent
En France, la fonction publique est parée d’une aura de sacralité : elle serait au service de l’intérêt général, d’un dévouement absolu, d’un désintérêt complet… C’est en tout cas ce que répètent à longueur de temps les syndicats. Agnès Verdier-Moulinié montre largement en quoi tout cela est faux.
Il serait fastidieux de reprendre les nombreux exemples du livre. Je signalerai uniquement le sort malheureux des contractuels, ces précaires du service public. Il faut bien compenser l’hyperrigidité du statut des uns, par l’hyperflexibilité du statut des autres. Et c’est finalement ce qui est passionnant, c’est que cette histoire de la fonction publique est l’exact reflet des tares du prétendu modèle français : tout pour les happy fews, et des miettes pour les autres.
La fonction publique telle qu’en elle-même
Finalement, le livre montre la fonction publique pour ce qu’elle est : une aristocratie nouvelle. Comme toute aristocratie, elle fait tourner l’État à son profit. Certes, ses privilèges ne sont plus héréditaires (quoique : 41 % des enfants de fonctionnaires deviennent à leur tour fonctionnaires), mais ils sont tout aussi illégitimes. Effectivement, en quoi un concours, même brillamment réussi, peut-il déterminer à jamais la valeur professionnelle d’une personne ?
Sans compter que ces concours n’ont que peu à voir avec les qualifications effectivement requises pour assurer convenablement la fonction candidatée. Étant enseignant moi-même, je peux témoigner de l’inadaptation consternante des concours avec la réalité de l’enseignement…
Les responsabilités
Elles sont nombreuses. À la source, il y a le marchandage entre les gaullistes et les communistes, en 1946-1948, grâce auquel ces derniers purent imposer un statut de la fonction publique taillé sur mesure. Le début des années Mitterrand ne fut pas triste non plus…
Mais pour qu’une situation aussi dégradée perdure aussi longtemps, il faut des responsabilités davantage partagées. Et nous trouvons pêle-mêle : les syndicats hypocrites, les couards politiques, les agents obnubilés par leur statut. Le livre donne cependant une image plus positive de Nicolas Sarkozy, dont certaines citations montrent qu’il a clairement conscience des problèmes, mais il me semble trop brouillon pour être efficace. Pour s’atteler avec succès à la tâche, il faudrait un mélange de dynamisme à la Sarkozy, de gravité à la Jospin et de rouerie à la Mitterrand… Et beaucoup de volonté, à la Thatcher.
Un ouvrage recommandé
Bien sûr, on peut faire quelques reproches au livre d’Agnès Verdier-Moulinié. Son style un peu léger donne l’impression d’un ouvrage vite écrit. L’inconvénient, c’est ainsi de prêter le flanc au reproche de la démagogie anti-fonctionnaire primaire. La faiblesse de l’introduction et de la conclusion trahit un défaut de problématisation et de mise en perspective, lesquelles auraient pu donner davantage de corps et de poids à l’ouvrage.
Mais l’avantage de ces défauts, c’est que le livre est court et d’une lecture facile, il n’assomme pas par une avalanche de statistiques (même si elles sont inévitables) ou par un jargon technocratique. Il est donc à recommander à ceux qui aimeraient une vue synthétique du désastre (mais on n’apprendra rien de spécialement nouveau). On peut aussi y renvoyer un contradicteur qui n’aurait pas, de bonne foi, conscience de ces réalités… pour l’initier en douceur.
On regrette aussi que le dernier chapitre, qui donne un aperçu des réformes faites à l’étranger, soit si bref. Or, pour les Français, trop habitués à se regarder le nombril, il est urgent de montrer qu’ailleurs, ça fonctionne autrement. Il faudrait méditer l’exemple de la Suède où, au départ, la situation ressemblait furieusement à la nôtre.
Pour aller plus loin, on trouve une petite bibliographie à la fin. On peut aussi lire les ouvrages de Bernard Zimmern, comme La Dictature des syndicats, ou, plus technique mais totalement à l’abri du reproche de démagogie populiste, le bon Service public, sortir de l’imposture, de Michel Brulé et Michel Drancourt.
La capacité de nuisance et le potentiel d’abus de pouvoir de la caste des fonctionnaires et assimilés (EDF, SNCF, etc.) étant sans limite, il est indispensable d’opposer à cette caste une réaction d’ampleur similaire, c’est-à -dire absolue et totale. A ce titre, la démagogie anti-fonctionnaire primaire est tout sauf un défaut.
La lutte contre le « conflit d’intérêt » est à la mode. Et bien il n’est que trop évident que les fonctionnaires sont en situation de conflit d’intérêt entre leur intérêt d’employeur (contribuable, électeur) et leur intérêt d’employés. Il faudrait rendre incompatible le vote et l’état de fonctionnaire pour la collectivité (ville, département, région…) concernée par le vote.
Je trouve toujours excessive, donc paradoxalement négligeable, l’utilisation du pronom défini « les ». Les étudiants, les fonctionnaires, les jeunes. Non, non, non. Ce sont toujours DES.
Les fonctionnaires ne devraient pas pouvoir voter, puisqu’ils sont juges et parties ! Mitterrand avait d’ailleurs exploité la faille, puisqu’il a, en créant un million de postes de fonctionnaires, créé dans le même temps la réserve de voix du PS …