Mohamed Bouazizi et nouveau monde arabe

Vu de loin, l’économie ne semble pas au cœur des révolutions arabes

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Mohamed Bouazizi et nouveau monde arabe

Publié le 6 mars 2011
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Vu de loin, l’économie ne semble pas au cœur des révolutions arabes ; vu de près, c’est bien d’économie qu’il s’agit. Rappelons le point de départ : le 17 décembre dernier, un marchand de fruits ambulant, Mohamed Bouazizi, dans la ville de Sidi Bouzid, fut arrêté par la police tunisienne. On lui confisqua sa roulotte ; il s’immola par le feu et les Tunisiens qui se reconnaissent en Bouazizi se soulèvent. Mohamed Bouazizi était l’un de ces nombreux micro-entrepreneurs de l’économie informelle dans un monde arabe où l’esprit d’entreprise est aussi réprimé que la liberté d’expression. En Égypte, il faut cinq cents jours de démarches administratives pour obtenir le droit d’ouvrir une modeste boulangerie : chaque coup de tampon se monnaye avec les bureaucrates. Dans ce même monde arabe, sous couvert de la privatisation, les proches des présidents déchus ou à déchoir et leur garde prétorienne se sont constitués des empires industriels. Ces prébendes sont protégés de la concurrence interne et externe  par un arsenal réglementaire et tarifaire. En Égypte, un tiers de l’économie est étatisé, un relief du socialisme arabe des années 60, un tiers aux mains des militaires et du capitalisme des copains, et le solde privé est généralement informel : pour échapper aux gendarmes et au fisc, les micro-entrepreneurs bricolent et survivent.

Dans le même temps et même lieu, des vastes universités du Caire, de Tunis ou d’Alger, sortent chaque année des dizaines de milliers de diplômés. Dans ces économies fermées, ils n’ont guère de perspectives, hormis la servilité envers les puissants, le sous-emploi ou l’exil. Tous ensemble, ces jeunes diplômés du monde arabe constituent ce que l’on appelle une lumpen intelligentsia, des intellectuels prolétarisés. L’islamisation de la société n’est pas du tout leur priorité et Israël est le cadet de leurs soucis. Comme le marchand ambulant de Tunisie, ils aspirent à la dignité et à la prospérité. Pour que l’on ne se méprenne pas sur leurs aspirations, ils nous le disent par Internet et souvent en anglais.

On voulait croire en Europe et en Amérique du Nord que les Arabes rêvaient de califat : c’est plutôt à la mondialisation qu’ils aspirent, lassés d’être abandonnés depuis cinquante ans sur les bas côtés de l’Histoire. Comment passe-t-on de la révolution à la démocratie libérale ? Les militaires seraient peut-être disposés à lâcher du pouvoir politique, mais ils s’attacheront à leurs privilèges économiques. La démocratie libérale n’est pas cependant hors d’atteinte, car elle a déjà existé : jusque dans les années 50, le monde arabe était entreprenant avant que Nasser en Égypte, puis ses émules n’exterminent les entrepreneurs et se convertissent au modèle soviétique, à la mode en ce temps-là. Le monde arabe ayant connu l’économie de marché pourrait y retourner, à la manière de l’Europe centrale après les révolutions de 1989. Et la Turquie est un exemple, pas arabe mais musulman, d’une croissance possible de l’ordre de 7 %. Un taux de croissance indispensable pour intégrer dans une vie décente la jeunesse nombreuse, éduquée ou non. Les républiques arabes n’auront pas de futur sans un marché libre. C’est seulement quand un Égyptien sera libre de créer une boulangerie que l’on pourra parier sur la république d’Égypte. Ce qui est vrai pour l’Égypte, le phare de cette civilisation, vaut pour toute la région.

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