Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on s’interroge sur la vraie nature de Dominique Strauss-Kahn.
Le 18 janvier 2010, dans Libération, Jacques Julliard écrivait que la gauche ne saurait être représentée par un représentant de l’establishment financier. Julliard expliquait qu’élire un candidat incapable d’établir un rapport de forces avec les représentants du milieu dont il serait issu conduirait aux mêmes impasses et aux mêmes désillusions que l’alliance centriste.
Ce sociologisme un peu court étonnait de la part d’une des grandes plumes et grandes consciences de gauche. Plus affligeant est le néo-pétainisme larvé de Christian Jacob. Le patron des députés UMP vient d’affirmer que le possible candidat socialiste à la présidentielle n’offrait pas « l’image de la France, de la France rurale, de la France des terroirs et des territoires, de la France qu’on aime bien ». En traitant le directeur du Fonds monétaire international d’« affameur des peuples », Jean-Luc Mélenchon exploite la même veine.
C’est pourquoi nous voudrions rappeler que DSK a été un disciple de l’École de Chicago.
Peut-être cela permettra-il de calmer les esprits et de relever le niveau du débat ?
Il se trouve que la thèse cachée, oubliée, de doctorat ès sciences économiques que Strauss-Kahn a soutenue à la fin de ses études et qu’il a publiée sous le titre Économie de la famille et accumulation patrimoniale (PUF, 1977) est directement inspirée de Gary Becker, comme le révèle Le jour où la France sortira de l’euro (Michalon édition, novembre 2010). L’économiste le plus sulfureux de l’Université de Chicago, théoricien du « capital humain », prix Nobel en 1992, Becker a appliqué le raisonnement économique à des domaines qui jusque-là lui étaient étrangers, par exemple l’éducation, le crime, mais aussi le mariage, ou la « production » des enfants.
Et l’on retrouve sous la plume de DSK des réflexions typiquement beckeriennes, jargon compris. Ainsi le futur époux d’Anne Sinclair pouvait-il écrire :
« On ne se marie pas avec n’importe qui ; on ne souhaite pas indifféremment beaucoup ou peu d’enfants et nous pouvons dire que tout se joue comme si des motivations économiques résumaient une bonne part des variations observées dans les attitudes des ménages » (p. 277).
Une prémonitoire auto-psychanalyse économique de l’amour !
Au-delà de ce mystère privé que nous nous garderons bien de scruter, force est de reconnaître que l’École de Chicago, dont s’inspire le docteur Strauss-Kahn, n’a pas beaucoup de points communs avec le socialisme ni même avec la social-démocratie. La foi dans l’efficience des marchés y est aussi entière que la détestation de l’État.
Les strauss-kahniens qui se gardent bien de rappeler la source néo-libérale d’inspiration de leur champion, mettent en avant à tout bout de champ comme brevet de gauche, le fait qu’il serait l’« inventeur des 35 heures ». On n’a rien entendu de la bouche de DSK sur ce thème depuis fort longtemps. C’est Martine Aubry qui a fait les lois réduisant à 35 heures la durée légale du travail en France, les célèbres et justement nommées lois Aubry, Strauss-Kahn restant dans une prudente réserve, fort critique dans les coulisses, quand la « Dame des 35 heures » se battait en première ligne.
Une autre fortification, derrière laquelle Strauss-Kahn s’abrite quand il s’exprime (rarement) sur ses convictions est que son socialisme à lui, c’est « le marché plus la justice sociale », que pour répartir des richesses, il faut d’abord les produire, etc. C’est ce qu’il a répété lors de son dernier passage à Paris. Mais Sarkozy ne dit pas autre chose. Même l’extrême droite ne dit pas autre chose. Comme l’a déclaré récemment le patron du FMI en personne à propos de la Grèce : la plupart des gens comprennent qu’il n’y a pas d’autre voie que celle que je préconise.
La plupart des gens, c’est suffisant pour gagner une élection, non ?
Article paru sur La vraie nature de DSK.
Quoiqu’elle soit diabolisée en France, l’Ecole de Chicago n’est pas ce qu’on veut bien faire croire. Je vous renvoie à un livre de Don Patinkin, socio-démocrate bon teint, intitulé « Essays On and In the Chicago Tradition…. » dont j’ai eu l’heur de faire un compte rendu en 1984 cf. http://blog.georgeslane.fr/post/2005/10/01/61-l-e….
Becker et Friedman font deux.
Milton Friedman et ses amis du département de l’Université de Chicago ont donné vie et fait connaître le courant macroéconomiste « monétariste ». Gary Becker n’en faisait pas partie.
Malheureusement, la vulgate françase a identifié dans la foulée l’Ecole de Chicago au courant monétariste. C’est une erreur.
Pas plus que Patinkin (décédé il y a quelques années), Becker, bien en vie, n’est donc monétariste.
Certes, contrairement à Patinkin, Becker n’est pas socio démocrate.
Quant à la thèse de Strauss-Khan, elle est un modèle de pensée sociale-démocrate jouant avec des chiffres de la comptabilité nationale…
En complément, je vous propose de lire pour fixer les idées :
* http://www.facebook.com/note.php?saved&&n…
« La plupart des gens, c’est suffisant pour gagner une élection, non ? »
Non.
Le libéralisme est tellement diabolisé que si DSK avoue qu’il s’y attache ou même seulement qu’il le comprend, il risque de se faire descendre.
Personnellement, je ne parierais pas là dessus. Je préfère qu’il la joue soft, par exemple en focalisant sur le concret plutôt que sur le poid des mots. De toute façon, les Français ne savent pas ce qu’est le libéralisme, et autant ils le haissent, autant pas mal d’entre eux en portent les germes sans en avori conscience. Le tout est qu’ils se rendent compte progressivement qu’ils sont déjà dedans chaque fois qu’ils râlent contre les actions inutiles de l’Etat.
Mais surtout, ne pas parler de ces idées-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Du moins, s’il veut gagner l’élection…
DSK est un pragmatique. Il part de l’idéal, le bien être pour tous et l’augmentation de l’autonomie pour chacun. Ensuite les grands axes, l’Europe, le contrat social et la fin de la misère. Vouloir le rattacher à Becker, pourquoi pas…