Chaque année, la République populaire de Chine affiche des taux de croissance affolants, supérieurs à 7,6 % par an avec des pointes à 14 % depuis 1992. Au point que l’admiration pour le modèle chinois d’économie capitaliste dirigée est patente chez de nombreux commentateurs.
La Chine, capitalisme dirigé, un modèle à suivre ?
Comme le disait Benjamin Disraeli, « il y a trois types de mensonges : les mensonges, les foutus mensonges, et les statistiques ».
Il n’est pas question ici de nier que la Chine a connu un remarquable décollage économique depuis la fin du règne de Mao. Les idées circulent rapidement, les capitaux aussi, et le gouvernement chinois a rompu avec la plupart des dogmes de l’époque rouge, ouvrant son économie aux échanges extérieurs : tout ceci a suffi à créer une dynamique de rattrapage qui n’est pas négligeable, même si, avec 4800 dollars de PIB/habitant, la Chine a encore beaucoup de chemin à parcourir pour devenir un pays au niveau de vie occidental pour toute sa population.
Toutefois, il convient de se demander si les chiffres de croissance du PIB chinois ne pourraient pas être sciemment enjolivés, et quelles en seraient les conséquences économiques.
Le PIB
Comment calcule-t-on le PIB ? Il est la somme de toutes les valeurs ajoutées produites sur un territoire donné pour une période donnée. Il existe trois formules pour le calculer, chacune devant évidemment conduire au même résultat (sans quoi, la comptabilité a un problème…). Le PIB est un chiffre de compte de résultat, c’est-à-dire qu’il mesure des flux monétaires. Il n’est pas un chiffre de bilan, c’est-à- dire une valeur reflétant la variation de l’actif total d’un pays, par exemple.
L’une des trois formules les plus régulièrement utilisées pour son calcul est celle-ci :
PIB = CF + FBCF + VS + X – M
Soit PIB = consommation finale des ménages et des administrations publiques + investissement (en jargon, Formation Brute de Capital Fixe) + Variation des stocks + Exportations – Importations.
Le mal investissement gonfle le PIB…
Par conséquent, un pays qui investirait énormément verrait sa FCBF (investissement brut) augmenter considérablement. C’est justement le cas de la Chine.
Ainsi, en 2009, le PIB Chinois a été de 35 mille milliards de RMB (5000 milliards de dollars) dont… 22 480 milliards de renminbis d’investissement et seulement 12 500 milliards de renminbis de consommation finale. Autrement dit, la consommation ne représente que 35 % du PIB chinois, contre 70 % aux USA, par exemple.
Un tel niveau d’investissement est-il concevable sans distorsion publique ? Est-il possible que l’investissement en Chine soit tellement rentable qu’il anesthésie toute envie de consommation dans la population ? Qu’il soit permis d’en douter.
En effet, de nombreux auteurs signalent que l’une des caractéristiques de l’investissement chinois est qu’il génère des surcapacités dans tous les secteurs d’activité, et en premier lieu dans l’immobilier. Je vous ai déjà longuement entretenu de l’existence de villes presque fantômes, de quartiers fantômes… Le journal australien SBS a réalisé un stupéfiant reportage sur les villes fantômes de Chine : reportage TV, localisation Google Maps, etc.
Je vous avais déjà parlé d’Ordos, mais il y en a bien d’autres, Daya Bay, Zeng Zhou… où le taux de logements vacants excède largement 70 %, chiffre officiellement donné par les gouvernements locaux, forcés de reconnaître en partie l’étendue du désastre.
Il existe autour des zones bâties de nombreux ménages entassés dans une pièce ou deux, datant de l’époque antérieure, et qui n’ont pas les moyens d’acheter les logements qui sortent de terre à côté de chez eux, ni de payer un loyer capable d’octroyer un rendement suffisant aux investisseurs. Pour que ces logements trouvent preneur, il faudra que leur prix baisse pour rencontrer la demande solvable de ces ménages, dont les revenus totaux sont inférieurs à 1000 dollars/mois… malgré des flux monétaires artificiellement gonflés par le mal-investissement.
… Mais ne crée pas de valeur !
Quelle est l’étendue du désastre ?
Selon diverses études fondées sur la consommation électrique effective des logements, il y aurait 64 millions de logements vacants en zone urbaine en Chine. Il faut y ajouter des millions de mètres carrés de surfaces commerciales innoccupées. Certes, une partie de ces bâtiments sont sans doute des vieux logements de la période Mao, mais tout porte à croire qu’une grande partie de ces 64 millions de logements sont bel et bien du mal investissement récent.
Allez, petit calcul de coin de table : admettons de façon très conservatrice que la moitié des logements vacants soient de nouveaux logements, et que le prix de revient moyen en ait été de 50 000 dollars par unité (le reportage annonce des prix de vente de 70 à 100 000 dollars à Daya Bay), et que chaque renminbi investi dans un logement a généré 0,5 renminbi dans des surfaces commerciales, équipements publics, infrastructures, etc., soit 75 000 dollars d’investissement total par logement. On arrive à un total très conservateur de 2400 milliards de dollars, dont l’essentiel sans doute investi dans la période 2005-2010. N’accordez pas à ce calcul fondé sur des estimations relativement hasardeuses basées sur des informations trop fragmentaires une trop grande valeur, mais ce serait environ 10 à 15 % du PIB cumulé de la période qui serait constitué par des investissements dont la valeur réelle tend dangereusement vers zéro.
Et ceci ne vaut que pour les surcapacités immobilières. D’autres rapports sur l’économie chinoise se font l’écho de surcapacités industrielles tout aussi importantes.
Keynes disait que pour enjoliver le PIB, il suffisait d’augmenter la masse monétaire et donner l’argent créé à des ouvriers pour creuser des trous et les reboucher. Et bien, construire des villes condamnées à l’inoccupation relève de la même logique que de creuser et reboucher des trous : de l’argent est dépensé (ce qui augmente les flux, donc le PIB) mais ne crée aucune valeur.
Le système bancaire chinois est il solvable ?
Toutes ces villes nouvelles ont été construites sur décision des gouvernements locaux, qui voyaient ainsi un bon moyen de présenter des PIB alléchants (en augmentant la variable investissement dans la formule de calcul), financées à l’aide d’emprunts bancaires, et nombre de logements ont été vendus à des ménages projetant de les mettre en location, ce qui a absorbé l’épargne des Chinois accédant à la classe moyenne, lesquels ont complété leur achat par de la dette… Pour des logements qui n’auront jamais de locataire et des centres commerciaux désespérément vides qui ne feront rentrer aucune taxe locale. Qui paiera pour les emprunts ainsi octroyés ?
Le système bancaire chinois est-il à nouveau insolvable ? Au début des années 2000, cela a déjà été le cas (source : Michael Pettis). La Banque centrale de Chine a résolu le problème en bloquant le taux de rémunération de l’épargne servie aux Chinois, permettant aux banques d’augmenter artificiellement l’écart de taux entre coût de la ressource et prêts octroyés. Mais ce faisant, elle les a détournés de cette épargne et, puisqu’ils ne sont pas totalement libres d’investir hors de Chine (le yuan n’est pas librement convertible…), ils se sont rués en masse sur l’immobilier, provoquant un afflux spéculatif sur ce secteur…
Il y a donc eu un vaste transfert de l’épargne des Chinois vers des offreurs de mal investissement liés aux gouvernements publics locaux. Il n’est donc pas certain que pour résoudre cette crise, l’épargne chinoise pourra être à nouveau mobilisée. Il faut donc s’attendre à une opération de renflouement des banques chinoises par monétisation à outrance. Ce renflouement a peut-être déjà commencé, à en juger par les différents rapports sur l’inflation réelle qui serait très forte, voire hors de contrôle en Chine.
Conséquence pratique : Le yuan renminbi n’est peut-être pas si surévalué que les Américains le disent. De la monnaie a été mise en circulation sans création de valeur : l’argent payé aux ouvriers du bâtiment, aux fournisseur de béton et de ferrailles, de cablage électrique et de bitume, tout cela a irrigué l’économie, mais n’a pas créé de valeur durable. Par conséquent, il est probable que le déflateur de PIB (l’inflation) soit grossièrement sous-évalué, et donc la croissance sur-évaluée.
D’ailleurs, si les Chinois étaient libres de convertir leurs yuans renminbis, n’iraient-ils pas privilégier des investissements plus rentables à l’étranger ? Comme le dit Charles Gave dans cette excellente interview (vidéo, vers la fin), si le gouvernement chinois ne confisquait pas aux Chinois le produit de leur labeur par le contrôle des changes, alors, par le jeu de l’offre et de la demande, le yuan subirait plutôt une pression à la baisse.
Le rendement des investissements d’aujourd’hui est le PIB de demain
Tout le problème de cette politique est que les gens n’investissent pas pour le fun, mais dans l’espoir que cet investissement, qui est une ponction sur leur pouvoir de consommer aujourd’hui, leur offre de meilleures opportunités de consommation demain.
En clair, l’investissement doit produire du rendement, donc alimenter le PIB de demain. Toute économie génère en son sein du mal investissement, mais si ce dernier devient trop important, alors les possibilités de croissance future seront gravement obérées. Et donc, sauf trucages éhontés (les ressources de la comptabilité sont à ce sujet infinies – il suffit de sous-estimer l’inflation…), il faut s’attendre à une forte correction des chiffres de croissance de la Chine dans les années à venir.
Le PIB, variable de flux, a comme défaut de ne pas rendre compte de l’appréciation ou de la dépréciation des actifs du pays considéré. Un investissement immédiatement déprécié y apporte comptablement la même augmentation qu’un investissement qui produira durablement de la valeur dans le temps. Il manque aux comptabilités nationales un véritable outil de mesure de valorisation de bilan, comme cela existe pour les entreprises.
Aussi faut-il considérer avec une certaine circonspection les chiffres de croissance de l’économie chinoise, et surtout ne pas s’en servir comme prétexte pour justifier chez nous, par mimétisme, plus de dirigisme éclairé de la part des élites politiques.
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Lire aussi :
Du même auteur
Chine, l’éclatement de la bulle fera très mal – Ob’Eco
Economie Chinoise et villages de Potemkine – Ob’lib’
Chine : moteur de la reprise ou prochaine bulle ? – Ob’lib’
Chine, USA, un bulletin économique pessimiste – Ob’lib’
Economie Bullaire et fausse richesse – Ob’lib’
Bulles spéculatives, typologies et conséquences – Ob’Lib’
autres auteurs
K. Gentle : China’s growth on an unsustainable path
Michael Pettis : The real cost of Chinese NPLs
Michael Pettis : How Big is chinese GDP
Charles Gave : Europe, Chine, l’interview
Le reportage de SBS : China’s ghost cities
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Repris d’Objectif Eco
Très bon billet.
Dans toutes les dictatures, s’ils n’ont pas été réduits au silence, les statisticiens diffusent les informations conformément aux souhaits de leurs maîtres. C’est pourquoi la question de la fiabilité des statistiques chinoises ne pose même pas. Un indice qui ne ment pas : la rapidité de diffusion des « statistiques », jamais remises en cause par la suite.
Quant aux « investissements », il conviendrait d’approfondir la notion de « propriété » en Chine : il n’est pas pas sûr que cette notion soit parfaitement équivalente à celle qui prévaut dans les pays un peu plus libres…
4èeme paragraphe avant la fin : à la place de » Le Yuan RMB n’est peut-être pas si surévalué que les américains le disent », il faut lire « sous-évalué », non ?