Révolution 2.0 en Iran

La jeunesse désire développer ses talents, ses dons reçus et cultivés, dans un état de réciproque tolérance

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Révolution 2.0 en Iran

Publié le 31 mars 2011
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Par Nicolaye Lamy (*)

La chute de Ben Ali et de Moubarak a ressemblé dans une certaine mesure à celle du Shah d’Iran en 1979. La perte des repères religieux, la corruption et une redistribution des richesses perçue comme injuste par les couches les plus populaires sont en effet des vecteurs communs. Vu de l’Iran des mollahs, la situation pouvait être interprétée par ce parallèle simpliste. Et la voie de sortie « islamiste » pour la Tunisie et l’Égypte était tout aussi simpliste. Sauf que la révolution islamique s’essouffle : elle est concurrencée par une autre révolution, de même nature que celles du « printemps arabe ».

En Iran, les obstacles à la réussite individuelle d’une jeunesse de plus en plus éduquée et à l’expression des libertés civiles sont le terreau d’une nouvelle révolution dont les jeunes iraniens de 15-30 ans sont les principaux acteurs. En effet, cette frange de la population, qui n’a connu que le conditionnement politico-économique de la mollarchie, tend invariablement vers une reconnaissance de l’individualité et de la réussite économique, aux antipodes de la vision collectiviste du modèle prôné par la révolution islamique.

Globalement les moins de 30 ans, qui sont nés après la révolution de 1979, représentent près de 57,5% (sources : Nations Unies) de l’ensemble de la population iranienne, soit près de 43 millions de personnes. En effet, 36% des jeunes adultes (source : UNESCO) sont inscrits dans l’enseignement supérieur en 2008 contre 18 % en 2002. Au-delà de cette évolution, les aspirations d’élévation du niveau de vie sont réelles d’autant plus que le chômage touche en priorité la classe d’âge des 15-29 ans : le taux s’élève à près de 26% de celle-ci. Et devant la rigidité du régime iranien, la jeunesse expose son mécontentement au monde entier à travers les nouveaux moyens de télécommunication qui franchissent allègrement les frontières.

(Illustration René Le Honzec)

Leur frustration légitime s’expose à travers internet et ses blogs. Le taux d’utilisation d’Internet a explosé avec une croissance de 13.180% entre 2000 et 2010 (source : Internet World Stats), notamment sous l’impulsion des 15-30 ans. Les quelques 700.000 blogs iraniens sont devenus des micro-laboratoires démocratiques où s’échangent idées socio-politiques et espoirs de changement institutionnel.

Internet a bouleversé les schémas traditionnels du développement des idées en Iran. L’accès à l’information permet ainsi aux concepts nouveaux de franchir les frontières physiques de l’Iran. De même que la toile fournit une ouverture sur l’échange d’idées susceptibles de faire émerger des innovations comportementales, telle que la recherche de la reconnaissance de la citoyenneté politique, comme l’a montré le slogan de la révolution verte : « Where is my vote ? » (Où est passé mon vote ?)

Le canal de l’émancipation de cette jeunesse se trouve donc dans sa capacité à se projeter dans la société de l’information à travers les réseaux sociaux. À son contact, ces 15-30 ans affirment leurs désirs de liberté, de démocratie et d’émancipation individuelle. En un mot, ils deviennent moins fatalistes. Par l’utilisation de la toile, le jeune iranien accroît son stock de connaissances susceptibles de modifier ses schémas d’action et de compréhension de son environnement. Par ricochet, il s’accapare les manières les plus efficaces à la prise en main de sa destinée et à l’amélioration de son existence économique, politique et sociale.

Par ces nouveaux moyens de communications, les regards croisés sur l’extérieur alimentent cette jeunesse de concepts et modèles propices à l’éveil de l’individualisme bien compris du jeune iranien. La capacité de la toile à montrer les opportunités d’une liberté accrue autant dans la sphère individuelle que collective devient un moteur du changement lancinant chez les jeunes iraniens.

Cette part de la population qui a toujours vécu dans le carcan de l’ordre moral de la Révolution aspire à plus d’individualité, dans son sens politique et économique. La poussée de l’individualisme prône une nouvelle reconsidération de l’expression non entravée des opinions et de l’action réalisée dans la sphère privée, comme publique. Autrement dit, cette jeunesse désire développer ses talents, ses dons reçus et cultivés, dans un état de réciproque tolérance. Elle trouve alors dans l’Occident les sources de ses espoirs de liberté.

Au fur et à mesure que le niveau d’éducation progresse et que l’économie iranienne n’offre que peu de débouchés à cette jeunesse, celle-ci se tourne vers l’extérieur pour recouvrer un espoir. Face à l’échec de l’intégration des jeunes diplômés dans le marché domestique du travail, l’étranger est ainsi vu comme une échappatoire. D’ailleurs, la diaspora iranienne, évaluée à 2 à 3 millions de personnes à travers le monde, alimente les rêves d’ascension et de réussite sociale pour cette jeunesse restée au pays. De là, né un clivage profond entre les aspirations à ce bien-être individuel dans son expression consumériste et de liberté civile et les possibilités de l’atteindre, couvant ainsi les antagonismes grandissants entre les ainés protégés (insiders) et la jeunesse délaissée (outsiders).

L’ouverture à l’information de la jeunesse de ce pays sur les réussites de la diaspora iranienne dans les pays Occidentaux, mais aussi la révolte des pays arabophones en quête de liberté politique et économique exercent une pression grandissante sur le fatalisme généré par l’archaïsme du régime actuel. Ce processus met en exergue la profonde mutation en œuvre en Iran à travers une jeunesse avide d’une liberté nouvelle qui pourrait garantir les succès individuels, mais aussi collectifs. En cela, la jeunesse iranienne constitue le véritable moteur du changement vers le chemin long et délicat de la liberté.

(*) Nicolaye Lamy est docteur en sciences économiques, franco-iranien.

Article paru originellement sur UnMondeLibre.org.

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