Au début des secousses financières internationales, les analystes de Goldman Sachs lancèrent l’idée du découplage : les économies émergentes ne seraient pas affectées par la crise. Grosso modo, c’est là leur thèse. Cependant, au plus fort de cette idée, elle fut étendue, par certains, même aux économies africaines, car faiblement intégrées aux marchés financiers. Avec un peu de recul aujourd’hui, quoi en penser aujourd’hui ?
Considérons comment l’économie de la République démocratique du Congo (RDC), le centre de l’Afrique géographiquement parlant, a vécu la crise pour démontrer que cette idée était dès le début insoutenable pour les économies africaines.
Du point de vue macroéconomique, l’économie de la RDC est très vulnérable aux chocs de divers ordres, du fait de sa taille, de sa structure et de son interdépendance au reste du monde ; comme d’ailleurs beaucoup d’autres économies africaines. Ceux qui doutaient en ont eu finalement la preuve avec la récente crise économique internationale. En effet, celle-ci a fait vaciller les équilibres macroéconomiques du pays. L’économie a été plongée en récession au troisième trimestre 2008. Le taux de croissance, qui était de 6,7% au deuxième trimestre, est tombé à -1,8%. La non-résilience de l’économie congolaise a été mise à découvert.
Aussi, les réserves de change, qui représentaient moins d’un mois d’importation durant les premiers mois de 2008, n’ont cessé de se volatiliser au point de ne couvrir qu’un jour d’importation en février 2009. Hormis l’aide publique au développement – elle a augmenté de 1,019 à 1,499 milliard USD en 2008-2009, les autres postes de la balance des paiements étaient également en net recul. Exemple : le montant de l’argent envoyé en RDC par les congolais résidant à l’étranger et qui alimente la demande congolaise domestique est passé à 135 millions USD en 2009, alors qu’il s’élevait à 212 millions USD en 2008 ; l’investissement direct étranger, 1713 millions de USD en 2008, a baissé pour tomber à 626 millions de USD en 2009. Par voie de conséquence, le solde de la balance des paiements s’est fortement dégradé.
Le secteur financier du pays n’a pas été en reste. Les banques commerciales congolaises, loin de posséder les fameux « actifs toxiques », ont été frappées de plein fouet par le passage de la crise. Cela via, entre autres, les dépôts en devises auprès de leurs partenaires étrangers dans le souci de réagir aux besoins de leurs clients. La part des opérations de trésorerie et interbancaires est tombée à 35% à la mi-2009, alors qu’elle se situait à 16 points de pourcentage de plus au début de 2007. Et le taux de dégradation du portefeuille des banques, qui était de 1,3% en 2008, a été multiplié par 2,3 en 2009.
Après cette description, cela tombe sous le sens : la RDC a des ramifications avec le reste du monde qui l’affectent. Cette affectation a suivi un chemin classique. Economie fortement extravertie, il était évident dès le début que la RDC – comme beaucoup d’autres nations africaines – ne serait pas épargnée par la crise, ne serait-ce via la réduction du volume des échanges extérieurs. La balance commerciale en a payé le prix : le solde, qui était de 886 millions de dollars américains en 2007, s’est effondré (-1447 millions de dollars en 2009). 80% de recettes en devises dont dispose le pays sont fonction de ses exportations minières. Avec la baisse de la demande au niveau international, il y a eu naturellement dégringolade des exportations, conjuguée tant aux faibles transferts des revenus des émigrés qu’à une diminution des Investissements Directs Etrangers – qui pour la majeure partie arrivent dans le secteur minier. L’activité des mines et hydrocarbures a connu une grande contraction en 2009 (-11%). Intuitivement, cette sensible baisse de l’activité minière ne pouvait qu’affecter d’autres pans de l’économie qui lui sont attachés directement comme indirectement.
Alors que les exportations baissaient, les importations devraient être maintenues à un certain niveau, étant donné le fait les congolais consomment majoritairement des biens non produits par eux-mêmes. Cette situation mettait donc une pression sur le cours de la monnaie (taux de change) : le franc congolais a subi une nette dépréciation de l’ordre de 22,4% au premier trimestre 2009. Cette perte de la valeur externe de la monnaie congolaise s’est traduite également par une hausse de l’inflation au sein de cette économie fortement dollarisée.
Ce portrait de la crise vue de la RDC peut être extrapolé à d’autres économies africaines, avec des légères modifications. L’Afrique n’est pas seulement liée au monde par les marchés financiers, d’autres liens existent. C’est le cas par exemple du commerce, qui est le cordon ombilical. Sans commerce, le Congo démocratique, comme d’autres nations africaines, est étranglé. Hélas ! ignoré par les tenants de l’idée du découplage dans sa version extrême.
Ainsi toute crise importante, ayant pour origine la plus grande économie mondiale, et, qui affecterait d’autres nations a une probabilité non nulle de contaminer l’Afrique, la RDC en particulier. Au paroxysme du « triomphalisme aveugle », on a même oublié cette évidence. La trajectoire empruntée par la crise dans l’économie congolaise nous met bien en garde pour la prochaine catastrophe économique planétaire, si jamais elle devrait surgir. C’est bien là une leçon que nous sommes censés intérioriser : dans une économie mondialisée, le « découplage » tient du miracle.
Article paru originellement sur UnMondeLibre.org.
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