Qu’est-ce que l’homme ? – Qu’est-ce que le Droit naturel ? – La vie en société fonde-t-elle des droits innés ? – Comment passe-t-on de la prédation à l’échange ? – Quels sont les principes d’un droit humain ? – Qu’est-ce qu’une économie de services mutuels ? –L’économie n’est-elle pas le champ de bataille des intérêts ? – L’homme est-il captif des phénomènes économiques ? – L’économie au service de qui ? – Peut-on déterminer un juste prix ? – Comment des valeurs subjectives peuvent-elles se traduire en prix objectifs ? –Peut-on donner un prix au travail comme à de simples marchandises ? – Qui a le droit de battre la monnaie ? – L’or n’est-il pas trop rare pour servir de monnaie universelle ? – Le bimétallisme n’a t-il pas échoué historiquement ? – Qui est souverain en matière de monnaie ? – Quelle expérience avons-nous d’une monnaie internationale ?
Par Raoul Audouin
Après l’éclipse profonde du commerce au haut Moyen-Âge, la multiplicité des monnaies féodales fit des changeurs les praticiens de l’étalon-argent et de la monnaie de compte (la livre tournois dans le royaume de France). La souveraineté monétaire était ainsi revenue aux particuliers, malgré les apparences. Ils apprirent vite à rectifier la prétention des monarques rogneurs de pièces, par le gonflement corrélatif des prix. À la même époque, les Lombards, les Juifs et les Templiers fournirent au commerce international, réveillé par les croisades, les moyens de paiement supplétifs nécessaires, par la comptabilisation des titres de créance. Le crédit entrait ainsi massivement dans le circuit.
La mésaventure de Philippe le Bel, volatilisant par son coup de force la fortune de l’Ordre du Temple — qui, justement consistait dans un réseau immatériel de relations et de cautions — montra une première fois qu’une encaisse métallique peut servir de pivot à une circulation scripturale énormément plus considérable, aussi longtemps que, d’un bout du circuit à l’autre, tout le monde ou presque respecte ses engagements.
La formule fut reprise au 18e siècle par le banquier Law, qui put résoudre ainsi pour un temps les embarras fiscaux de la monarchie. Mais le crédit ne peut suppléer longtemps à un manque de productivité : la Compagnie des Indes fit faillite, entraînant avec elle tout l’échafaudage. Même des gages réels, comme les « biens nationaux » confisqués à l’Église et aux émigrés, ne pouvaient donner durablement une consistance aux assignats, pour la même raison : ce papier-monnaie ne servit pas à une production économique accrue, mais à financer l’effort de guerre du Comité de Salut Public. La monnaie de papier reste du crédit. Et la preuve de la productivité du crédit est faite au moment des échéances. Celui qui n’a pas produit assez pour rembourser, doit faire l’appoint sur son capital. La règle doit être la même pour le banquier.
La leçon des assignats fut comprise par Bonaparte : l’émission des billets doit être étroitement liée au volume du « portefeuille commercial » sévèrement sélectionné ; le capital du banquier est garant du remboursement en or des billets qu’il aurait émis au-delà de ses créances effectivement recouvrables. D’où, en 1804, le statut du Franc-Germinal obligeant les banques d’émission (il y en eut plusieurs en province jusqu’à 1848, concurremment avec la Banque de France) à rembourser à vue leurs billets contre des franc-or. Mais en même temps la Banque de France recevait sa pleine autonomie vis-à-vis du pouvoir politique, pour que celui-ci ne puisse l’obliger à financer ses déficits avec de simples reconnaissances de dettes. La Banque d’Angleterre fonctionnant de la même façon, les deux principales puissances politiques et économiques des débuts de l’ère industrielle fournirent le modèle du système de règlements internationaux dit Gold Bullion Standard qui dura jusqu’en 1914.
La liberté laissée aux particuliers de faire monétiser des lingots, ou démonétiser des pièces, assurait la concordance entre le prix industriel du métal (fonction de la production minière et des utilisations diverses de l’or) et le pouvoir d’achat des pièces.
Symétriquement, la convertibilité à vue des billets de toutes les Banques Nationales en pièces d’or, garantissait aux porteurs l’équivalence du pouvoir d’achat de la monnaie papier des divers pays. Un tel système fait reposer la régulation du volume total des moyens de paiement métalliques et supplétifs sur ce qui est le gage véritable de toute monnaie : la production vendue. Le stock d’or n’y joue que le rôle de réserve pour le cas où le volume des moyens de paiement supplétifs (monnaie fiduciaire et scripturale) se trouve accidentellement supérieur à la production. C’est un volant amortisseur des à-coups inévitables d’un régime d’échanges libres.
L’on peut donc considérer que l’expression d’étalon monétaire est mal adaptée à la réalité du rôle de l’or. L’économie moderne tient en équilibre à la façon d’un gyroscope : la force qui fournit son mouvement, c’est la confiance mutuelle des producteurs efficaces et honnêtes. L’or n’intervient alors, à la limite, que comme preuve de cette compétence et de cette honnêteté.
(À suivre : Un État n’a-t-il pas le droit d’édicter le cours forcé de son papier monnaie ?)
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