Désir de Providence et servitude volontaire

Beaucoup reportent sur l’État leur besoin infantile de Providence. D’autres deviennent adultes.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Providence

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Désir de Providence et servitude volontaire

Publié le 25 mai 2011
- A +

Comme tous les animaux supérieurs, chacun d’entre nous naît infiniment faible et totalement dépendant de ses parents, au moins jusqu’à son adolescence.

Au début, c’est instinctivement que nous nous en remettons à eux et que nous cherchons à attirer leur sollicitude.

Puis, au fur et à mesure que notre conscience s’éveille, nous prenons l’habitude de penser qu’ils sont là pour subvenir à tous nos besoins et résoudre tous nos problèmes. Et comme par définition ces problèmes nous dépassent, nous pensons qu’ils ont des pouvoirs que nous n’avons pas.

L’expérience venant confirmer et conforter ce sentiment, nous nous forgeons l’intime conviction qu’il existe quelqu’un qui est à la fois bienveillant à notre égard et doté de pouvoirs surnaturels. En contrepartie nous acceptons de nous plier à des décisions que nous ne comprenons pas, et nous cherchons désespérément à plaire à ceux dont nous attendons tant. C’est l’origine de notre tendance à la « servitude volontaire » que relevait Etienne de la Boétie dès 1549. Ce besoin de croire à une puissance supérieure toute-puissante et bienveillante, ce désir de Providence en quelque sorte, est acquis dès nos premières années et restera toute notre vie une composante de la nature humaine.

Mais nous grandissons. Et petit à petit, nous sommes confrontés à des problèmes qui échappent à la sphère familiale, ou dont nous préférons que nos parents ne se mêlent pas. Nous commençons alors à chercher à satisfaire notre besoin de Providence par d’autres moyens. Beaucoup vont alors nous proposer des parents de substitution : les chefs de bande nous promettent leur protection en échange de notre obéissance et de quelques menus services ; les prêtres nous garantissent l’existence d’un être tout-puissant et bienveillant, qu’ils appellent Dieu, et à qui nous devons nous soumettre.

En même temps, nous prenons conscience des limites de nos parents. Nous nous apercevons que ce sont des gens comme nous et que nous sommes comme eux, et nous mesurons nos propres limitations, notamment face aux attentes de nos propres enfants. Comprendre et accepter les limites des êtres humains que nous sommes, ça s’appelle devenir adulte. Mais il reste toujours quelque chose de cette croyance fondatrice dans le rôle protecteur de nos parents, à tel point que, quand ils finissent par disparaître, nous ressentons ce sentiment d’être désormais en première ligne, comme s’ils avaient de fait continué à nous protéger jusque-là.

Nous voilà maintenant adultes, sans la protection de nos parents. Mais plus nous sommes conscients de notre propre faiblesse, plus nous avons besoin de croire qu’une puissance supérieure viendra nous secourir en cas de besoin. Notre besoin de Providence reste bien ancré en nous, et les chefs de bande, les politiques, les gourous et les prêtres vont s’ingénier à l’exploiter pour acquérir, avec notre confiance et notre soumission, une position de domination.

Pour eux, la partie est plus difficile que pour nos parents, qui existaient avant nous et n’ont rien eu à faire pour que nous leur prêtions a priori notre confiance. Après l’avoir d’abord méritée, ils ne peuvent plus ensuite que la décevoir ou la décourager, ce qui à la fois nous fait devenir adultes et nous précipite vers les alternatives.

Les candidats à leur remplacement, eux, doivent faire miroiter leur puissance et leur bienveillance. Et comme ils sont en concurrence, ils vont utiliser des argumentaires différents. Puisque nous sommes de plus en plus conscients des limites de nos congénères, la stratégie initialement la plus sûre est d’exploiter directement notre besoin de croire en affirmant l’existence de puissances surnaturelles bienveillantes, ce qui a l’avantage d’être invérifiable. C’est ce que font les prêtres. Les prétendants au pouvoir temporel ont d’abord exploité cette même stratégie, puis se sont mis à la remorque des prétendants au pouvoir spirituel en se présentant comme les représentants de Dieu sur terre, en même temps que les religions prétendaient régir la totalité de notre vie.

Mais dans nos sociétés, Dieu est moins populaire qu’il l’a été, beaucoup ont commencé à douter de son existence et la religion est devenue une affaire privée. Mais tous ou presque ont reporté leur besoin de Providence sur l’État en le parant de ces vertus de toute-puissance et de bienveillance. Après Dieu le Père, voici la Mère Patrie et le Père des peuples.

Les politiciens essaient de nous convaincre que, pour que l’État par définition bienveillant soit aussi tout-puissant, nous devons lui accorder des pouvoirs supérieurs aux nôtres, ce que nous sommes a priori conditionnés pour accepter. A l’autorité parentale ou à la volonté divine, ils substituent l’intérêt général et la volonté générale. C’est ainsi que la majorité d’entre nous croit en la nécessité d’un pouvoir fort. Nous avons commencé par croire que nos parents pouvaient guérir nos bobos en soufflant dessus, puis que les prêtres avaient le pouvoir de nous laver de nos fautes, et que les rois guérissaient les maladies par simple contact en « touchant les écrouelles ». Voilà maintenant que nous croyons les États capables de résoudre les problèmes de la société en manipulant la monnaie et le crédit.

Et puis nous commençons à entrevoir, comme nous l’avons fait pour nos parents, qu’ils n’ont pas ces pouvoirs, et qu’ils échouent plus souvent qu’ils ne réussissent. La plupart d’entre nous s’en accommodent, ne voyant pas de substitut à leur rêve d’un être omnipotent et bienveillant, et ne pouvant pas supporter l’idée qu’ils ne peuvent compter sur personne d’autre qu’eux-mêmes et leurs proches, mais que ces derniers, quelle que soit leur bienveillance, n’ont pas d’autres pouvoirs que nous. Quand l’État ne répond pas à nos attentes, nous croyons naïvement qu’il suffit de changer de titulaires actuels du pouvoir.

Beaucoup en restent là, et reportent jusqu’au bout sur l’État leur besoin infantile de Providence. Quelques-uns finissent quand même par devenir enfin adultes en politique, c’est-à-dire libéraux.

Mais il arrive à certains de retomber en enfance…

Article repris depuis le site de l’Institut Turgot, avec l’aimable autorisation d’Henri Lepage

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • très bon article,
    mais alors d’après vous, comment peut-on faire pour justement devenir nos propres parents, être indépendant mais tout de même solidaire?

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
Un appel au sursaut face aux politiques du déni et de la facilité monétaire et budgétaire

Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France et ancien directeur général du FMI, nous alerte très régulièrement sur l’état de l’économie française et des égarements dont elle est l’objet depuis 40 ans, pour reprendre le thème d’un ouvrage de 2021 que nous avions présenté ici-même.

Un constat global accablant

Les constats sont, de fait, toujours les mêmes : endettement public incontrôlé et démesuré, appareil d’Etat tentaculaire, p... Poursuivre la lecture

3
Sauvegarder cet article
Après les Trente Glorieuses (Jean Fourastié) et les Trente Piteuses (Nicolas Baverez), voici venues, depuis 2005, ce que l’on pourrait appeler selon Olivier Babeau les Trente Paresseuses.

 Après l’euphorie qui a suivi les guerres mondiales, puis l’indifférence un peu blasée une fois les acquis de la modernité considérés comme allant de soi, voici maintenant l’ère de la déprime.

La lutte multimillénaire contre les efforts physiques et contre les contraintes du groupe a en effet abouti à un degré de confort jamais atteint durant les diff... Poursuivre la lecture

 Ancien ami de Philippe Tesson, qui l’encourageait à écrire comme Guitry, et polytechnicien, Jean-Marc Daniel a foulé de nombreuses scènes au cours de sa carrière : l’estrade des amphithéâtres puis, plus tard, celle du théâtre du Poche-Montparnasse. Devoir enthousiasmer des jeunes étant sans doute la meilleure école pour apprendre à jouer. En homme passionné par les chiffres et le verbe, il lui fallait trouver un pont entre les deux ; enseigner l’économie, mais celle de la liberté

Dans son nouveau spectacle, « Économie : à quoi faut-il... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles