Belleville, un an après
C’était il y a un an : on découvrait que Belleville, le 20e arrondissement de Paris, n’était malheureusement pas aussi bisounours que le reste du pays. Zut alors, tristesse, étonnement et mine déconfite : les habitants, majoritairement d’origine asiatiques et d’habitude plutôt calmes, protestaient avec véhémence contre les violences à répétitions dont ils sont la cible… Heureusement, nous sommes en France.
Et douze mois plus tard, tout a changé.
Pourtant, les choses étaient claires : puisque l’insécurité est d’abord une question d’impression, un pur sentiments diffus, il suffisait de parler un peu moins des problèmes des différents quartiers chauds de France pour qu’ils disparaissent… Les quartiers chauds, hein, pas les problèmes.
Et cela n’a finalement pas si mal marché : en un an, Belleville a ainsi idéalement disparu de la carte médiatique. Les « problèmes », eux, sont restés, toujours aussi jeunes, toujours aussi festifs, toujours aussi déçus de la vie et déterminés à distribuer une vision alternative de l’économie et quelques bons gros coups de latte aux industrieux habitants de ces quartiers récemment évaporés de Paris qu’on enjoy de moins en moins by night.
Il y a un an, on se souvient que ces habitants, un tantinet excédés de se faire dépouiller, avaient organisé une manifestation qui s’était terminée sur des échauffourées.
Tiens, d’ailleurs, c’est étrange, ne trouvez-vous pas ? cette capacité qu’ont les manifestations parisiennes à terminer en bolossage échauffourées plus ou moins violentes… On dirait que l’expression même de la citoyenneté revendicative attire les joyeux drilles et autres désœuvrés sans le sou, heureux d’extraire un peu d’argent des manifestants, de force et à 8 contre 1 (et ce n’est pas un pari hippique, mais un rapport de nombre, hein).
On aurait pu croire qu’à la suite de cette manifestation et de son dénouement musclé, il aurait été entrepris quelqu’action qui aurait, par exemple, favorisé l’intervention de la police sur place.
Cette dernière, quand elle le peut, appréhende mollement les auteurs des violences. Et comme de juste, les relâche rapidement, car, je le rappelle, pour garder quelqu’un en garde à vue en attendant la condamnation, il faut qu’il y ait un risque réel, comme par exemple avoir 73 ans, une santé fragile et se défendre chez soi. Si vous êtes jeune, en pleine santé et que vous agressez chez les autres, on vous laissera sortir avec l’obligation de revenir pour votre procès, dans six mois. Il ne s’agirait pas que vous soyez mis en danger dans les insalubres prisons françaises, hein.
On aurait aussi pu croire qu’à la suite de ces agitations bellevillesques, la Mairie du 20ème, ou mieux encore, la Mairie de Paris et son emblématique Bertrand se seraient donné le mot pour relever le niveau de sécurité dans le quartier, auraient fait mettre en place des patrouilles, auraient été soutenir les habitants, quitte à aller serrer quelques mains, hein, soyons fous. Après tout, le frétillant maire socialiste parisien n’est jamais en retard d’une idée multiculturelle vibrante d’intégration réussie et se déclare toujours partant pour une ville au vivrensemble exemplaire, plus rose, plus rond, plus doux, plus moelleux !
Car finalement, l’intégration et le multiculturalisme, c’est rigolo, c’est sympa, c’est républicain, mais si ça se passe sans bruit, c’est mieux. Et si ça fait du bruit, cela doit être pour réclamer des moyens vagues, des actions politiques un peu floues, des associations ludiques ou des terrains de basket où l’on pourra placer des douzaines de copains.
En fait, si les intégrés s’intègrent sans moufter, c’est moins intéressant, politiquement. Si, en plus, quand ils mouftent, c’est pour réclamer des choses précises, concrètes, mesurables, là, ça ne va plus du tout.
Le politicien, il n’aime franchement pas le mesurable, le précis et le solide. C’est trop risqué.
Par prudence, il ne va donc absolument rien faire.
Vous avez donc un parfait résumé de la situation : une délinquance en hausse, des violences aux personnes, des vols, des bagarres, des délits voire des crimes commis de plus en plus fréquemment. De l’autre, la police est dépassée, et la Mairie décide de patauger innocemment dans un immobilisme gluant et confortable.
C’est à ce moment qu’interviennent les journalistes. Comme à l’accoutumée, l’article de Libération sur le sujet est un délicieux déglaçage à l’eau froide, en grande quantité, pour obtenir une sauce clairette et un peu fadasse : d’après eux, un petit nombre de personnes étaient concernées, essentiellement des jeunes (une manif de gamins, peuh, quelle importance !). Mieux, on sent dans toute cette agitation des relents méphitiques d’un communautarisme bien louche :
Malgré ce républicanisme ostentatoire, l’assemblée est composée quasi exclusivement de Chinois, essentiellement du quartier de Belleville. De nombreux participants maîtrisent mal le Français ou refusent de s’exprimer
Le journaliste aurait pu insérer un petit « Ah, ces niakoués, incapable de parler notre belle langue et en plus, ils font des manifs pour réclamer la sécurité ! Non mais je vous jure. », cela n’aurait pas trop détoné avec le reste de l’article, tout en inuendos aussi subtils que ça.
J’exagère ? À peine. En fait, ce qui hérisse le bobo qui se tapit derrière chaque journaliste des quotidiens nationaux, affûté au petit livre rouge, c’est qu’en réalité, tous ces gens osent ne pas jouer le jeu de l’intégration et de la gentillesse ouverte d’esprit telle qu’eux, les vrais intellectuels du monde qui sait.
Ces Asiatiques qui défilent montrent une image déplorable d’un quartier parisien pourri par la guerre des clans, d’une ville gangrenée par la méchante violence entre gens de races cultures différentes et c’est très très pas bien. C’est une attaque en règle contre le vivrensemble, la fraternitouille et les bisous républicains.
Et là, vous pensez encore que j’exagère. Mais non.
L’organisateur prend soin de ne désigner personne afin que son propos ne s’inscrive pas dans un conflit communautaire. Avec moins de précautions, certains manifestants pestent contre «les arabes» et «les noirs». Et déplorent les vols d’argent en liquide auprès des restaurateurs ou lors des mariages.
Oh. Des mots très durs ont donc été prononcés « avec moins de précaution » par « certains manifestants ». Bon d’un autre côté, se faire dépouiller lors d’un mariage, ça peut en agacer plus d’un. Mais en tout cas, ce n’est pas une raison pour se laisser aller, hein, monsieur le certain manifestant.
D’autant qu’à ce rythme, et l’article le dit bien, on risque bel et bien de voir se former — hooorreur des horreurs — de véritables milices (ouh, mon Dieu que ce mot pique les yeux et rappelle les heures les plus sombres de notre histoire) prêtes à patrouiller pour assurer une sécurité que les autorités ne sont plus capables de fournir…
On comprend qu’un assaut si complet contre toutes les valeurs degoch ait pu déclencher une petite poussée de socialite chez notre scribouillard.
Pourtant, débarrassée de sa gangue de bisous, la nouvelle est d’une sobre tristesse.
À Belleville, en 2011, des gens, travailleurs, discrets et honnêtes, se font dépouiller, tabasser, et laisser pour morts. La police au mieux est débordée, au pire s’en fiche. La municipalité a perdu la carte des lieux et ne s’y rend plus. Belleville, où ça ?
Quant aux journalistes, ils n’y voient que des bisbilles inter-communautaires.
Rendez-vous à l’évidence : en France, les communautés, ça n’existe pas.
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