Contrepoints avertit depuis longtemps sur les risques liés au déficit public et à la dette – y compris lorsque ces craintes étaient jugées fantaisistes. En guise de rappel, nous vous proposons un article de Jean-Louis Caccomo, qui date de 2007, et déjà publié par Contrepoints.
À l’heure où intellectuels, experts, journalistes, responsables syndicaux ou politiques polémiquent sur la réalité du déclin de l’économie française, je voudrai rappeler quelques enseignements de l’histoire économique particulièrement intéressants.
L’histoire nous enseigne beaucoup de choses pour peu que l’on médite ses leçons. Aveuglés par l’idéologie, nombreux sont ceux qui refoulent l’histoire pour la réécrire à leur convenance. Dans cette entreprise, les régimes collectivistes furent les plus doués mais en même temps les plus suicidaires : ils s’approprient l’éducation et l’information pour distiller parmi les esprits une science et une histoire officielles dont le rôle est de glorifier le régime plutôt que de transmettre des connaissances. À certains égards, l’agonie du système universitaire français ne s’explique pas autrement. Mais quand on trafique un baromètre, ce dernier perd toute son utilité pour le plus grand malheur de celui qui voulait s’en servir.
Contrairement à la croyance keynésienne naïve – qui veut que l’État sera toujours là et qu’il peut donc s’endetter sans limite pour répondre aux sollicitations du moment -, il y a de nombreux exemples de faillites étatiques dans l’histoire humaine qu’il convient de méditer aujourd’hui pour nous aider à mettre en perspective la situation française. Bien sûr, je ne m’associe nullement aux grandes âmes socialistes qui font le même constat aujourd’hui alors qu’ils ont contribué, dès les années 80, aux transformations structurelles qui ont décroché le pays de son sentier de croissance « naturel ». Ils ont beau jeu d’ironiser sur le déclin français auquel ils ont grandement participé à force de vouloir imposer au pays une improbable « troisième voie » qui défie toutes les lois de l’économie. Mais ils ont aussi fait croire aux français, par l’intermédiaire des médias et de l’Éducation nationale sur lesquels ils exercent une influence considérable, que la France était le seul pays au monde qui pouvait échapper – au nom de l’exception culturelle et de la défense des services publics à la française – aux lois de l’économie marchande.
Les États ne sont pas des entités immortelles. Même les plus invincibles se sont écroulés. Même les plus redoutés se sont effondrés. Alors même qu’il n’avait plus d’ennemis extérieurs, l’empire romain s’est effondré sous son propre poids. Ainsi, la chute de l’empire romain ou de l’empire soviétique, l’effondrement de la république de Weimar ou la faillite de l’argentine ont, par delà leur diversité nécessaire, quelques points communs significatifs que l’on résumera en l’énoncé de phases critiques qui sont autant de signaux d’alarme qu’il convient de bien interpréter.
Notons déjà que ce sont toujours des États qui s’effondrent entraînant dans leur chute une économie, une nation et dans certains cas un empire. De ce point de vue, un marché ne peut pas s’effondrer puisqu’un marché est justement le négatif de l’organisation étatique : soit on l’empêche de fonctionner par toutes sortes d’interdiction imposées par les États ; soit il fonctionne spontanément du fait des comportements humains libres. Certes un marché est soumis à d’incessants chocs et sa capacité d’absorption des chocs est liée à la possibilité qu’ont les prix et les quantités de pouvoir s’ajuster aussi librement que possible. De ce point de vue, le marché est une forme d’organisation spontanée motivée par la recherche de l’intérêt qui s’oppose aux organisations bureaucratiques et administratives motivées par l’obéissance à des règlements et l’allégeance à l’autorité.
Alors que la faillite d’une entreprise est un événement salutaire qui permet une ré-allocation d’actifs initialement mal gérés, l’effondrement des États peut être dans certains cas si violent qu’il devient fatal aux processus de marché eux-mêmes. Faire fonctionner une économie de marché en Russie après 70 ans de communisme étatique relève d’un miracle.
Pourtant, la liberté et la motivation peuvent souvent réussir là où la terreur et l’inhibition échoueront inexorablement. Le cas du récent décollage de la Pologne en est le meilleur exemple : la Pologne affiche des taux de croissance économique qu’aucun plan soviétique n’aurait autrefois pu espérer. Le fait est que le marché n’est pas parfait alors que l’État prétend l’être, en se présentant comme l’agent correcteur des défaillances et des imperfections supposées inhérentes aux processus concurrentiels. Cependant, la réalité dément le dogme : les États sont loin d’être les « planificateurs bienveillants » et omniscients mis en scène par les modèles économiques naïfs.
L’histoire des grandes chutes d’empire peut être résumée à la succession de quelques phases critiques cruciales, pour peu que l’on isole la dimension économique du phénomène. Le déroulement de ces phases permet de mettre à jour l’implacable logique du déclin.
Phase n° 1 : Le dérèglement des finances publiques
Cette phase est caractérisée par le fait que les pouvoirs publics s’avèrent incapables de stopper la dérive des finances publiques, ayant épuisé les différents moyens de rééquilibrer les comptes (principalement hausse des prélèvements, baisse des dépenses publiques, recours à l’emprunt). Généralement, plus un État étend son emprise au-delà de ses frontières géographiques (colonialisme) et institutionnelles (« colonialisme intérieur ») naturelles, plus le coût de son fonctionnement devient exorbitant, ce qui est la caractéristique même des régimes collectivistes et impérialistes. Non seulement l’économie en souffre dans ses structures mêmes, mais les comptes publics sont peu à peu complètement faussés.
Cette situation budgétaire est en elle-même le symptôme d’une crise plus grave qui montre que ceux qui se proclament les « représentants du peuple » sont devenus incapables de gérer l’argent commun – le fameux « bien public » -, c’est-à-dire celui qui a justement été prélevé sur le travail de ce même peuple. Cette dérive des dépenses publiques, qui témoigne d’une emprise de pouvoirs administratifs occultes sur le système, se nourrit d’une tendance à l’augmentation inexorable des prélèvements fiscaux.
Phase n° 2 : L’âge de l’inflation
Quand la taxation ne suffit pas à assouvir les appétits d’une administration qui ne veut pas se réformer, alors les gouvernements manipulent la monnaie. C’est inévitable. C’est devenu impossible, nous dit-on, en Europe avec une Banque Centrale indépendante. Mais le fait que la France et l’Allemagne ne se sentent pas liés par le pacte de stabilité, qui leur imposait pourtant de respecter les critères de gestion définis à Maastricht, revient d’une certaine manière à mettre les autorités monétaires devant le fait accompli (sans compter toutes les pressions qui s’exercent sur une jeune BCE qu’on a pourtant voulu indépendante).
Si la France et l’Allemagne diffèrent sans cesse la mise en œuvre des réformes de leurs appareils étatiques respectifs, la Banque Centrale européenne se trouvera dans une obligation de créer de la monnaie pour venir au secours des finances publiques des deux poids lourds européens. Devant cette perspective aisément prévisible, considérant notamment l’incapacité de la France à anticiper la moindre réforme, on comprend l’hésitation de certains pays, sans aucun doute géographiquement, historiquement et culturellement européens, à cependant intégrer la monnaie unique européenne dont rien ne garantit la stabilité intrinsèque.
À l’époque de la Rome déclinante, on manipulait sans scrupule la monnaie car il n’y avait pas de séparation des pouvoirs : l’empereur était tout puissant. Mais la puissance illusionne : l’empereur pouvait certes créer de la monnaie mais il ne pouvait créer de la richesse pas plus qu’il ne décrétait la valeur. Cette création monétaire n’était qu’un instrument de spoliation déguisée, l’inflation qu’elle nourrissait jouant le même rôle confiscatoire qu’un impôt caché. L’inflation est toujours un impôt déguisé qui permet de reprendre ce qui a été indûment distribué (notamment quand la progression des revenus salariaux est supérieure à la progression de la productivité du travail).
À quelques siècles d’intervalle, dans l’Allemagne de Weimar, la planche à billet tournait sans mesure engendrant l’hyper-inflation la plus fatale que l’Allemagne ait jamais connu.
Phase n° 3 : L’emballement
Quand l’inflation se déchaîne, dégénérant notamment en hyper-inflation, les pouvoirs publics en viennent à des mesures drastiques de contrôle des prix. De telles mesures finissent par briser le fonctionnement des marchés, les prix perdant toute leur valeur informationnelle. Et quand on ne connaît plus le « prix des choses » (puisque les prix sont devenus fous), on ne peut plus prendre les bonnes décisions.
Les comportements spontanés sont neutralisés, ce qui paralyse l’économie qui résulte toujours et seulement des décisions librement prises par des agents motivés par la recherche de leur bien-être. L’État, observant cette paralysie et feignant de n’être qu’un observateur neutre au-dessus de la mêlée des intérêts individuels alors qu’il est précisément à l’origine du problème, propose de se substituer à l’initiative individuelle.
Phase n° 4 : La remise en « ordre »
Vient alors le temps de la remise en « ordre ». La société va se fonder sur la mise en place d’ordres ou de castes : c’est la politisation extrême de la société. En effet, la monnaie a tellement été pervertie par les manipulations et dévalorisée par l’inflation que les agents n’ont plus confiance aux unités monétaires. Le peuple va assimiler le symptôme (la monnaie dévalorisée) au mal lui-même (la manipulation par les dirigeants qui ont outrepassé leurs pouvoirs légitimes). C’est le temps de la diabolisation de l’argent.
Et comme il faut bien vivre, une économie en nature se met en place. C’est le règne de l’économie souterraine en U.R.S.S. ou de la dollarisation en Argentine. Et c’était l’époque de la « fiscalité en nature » au moment de la chute de l’empire romain. Par ce dernier procédé, chacun est affecté à un service fixé : on travaille pour l’État gratuitement et gare aux mauvais citoyens qui voudraient se soustraire à cette œuvre éminemment solidaire.
Notons que le gouvernement français ne faisait pas autre chose quand il préconisa de supprimer un jour férié pour « sauver le système de retraite » : comme on ne peut pas indéfiniment augmenter le poids des charges en monnaie et comme on s’obstine à ne pas vouloir changer de système, alors on augmente le poids des charges en nature !
La société féodale s’est constituée progressivement sur les ruines de l’empire romain, plus précisément sur une remise en ordre(s) (dans tous les sens du terme) de ces ruines. Elle a fondé une société basée sur l’existence de trois grands ordres qui allait durer près de dix-huit siècles en Europe. Dans le système féodal, chacun s’est vu attribué une place précise dans un ordre en échange d’un service rendu : le serf assurait la fonction économique de production en échange de sécurité (mais il y a perdu progressivement sa liberté) ; le noble assurait la fonction de défense, en échange il conservait sa liberté ; et l’église assurait les missions de gouvernement, d’école et de charité.
À défaut d’existence d’un marché et d’une monnaie stable (l’un étant la condition de l’autre), à défaut d’institutions garantissant le respect des droits individuels, une économie libre ne peut jamais s’épanouir sur laquelle un ordre spontané de la société s’organiserait. C’est quand on est sorti de l’ordre féodal, en abolissant les ordres anciens et les privilèges inhérents à ces ordres, que l’économie de liberté a pu s’épanouir à nouveau. Dans toutes sociétés, les ordres ou les castes sont le seul substitut au marché, assignant de force une place à chaque élément de la société.
Voilà une des grandes leçons de l’histoire. L’effondrement de l’empire romain et de ses structures étatiques a produit l’ordre féodal européen. La ruine de Weimar a permis l’avènement du Reich. La débâcle du Chili d’Allende a amené le Chili de Pinochet. Dans quelle aventure nous entraînera l’explosion de la dette de l’État français ?
Sachons interpréter en France les nombreux symptômes du déclin pour éviter de nous étonner des remises en ordre qui ne manqueront pas de tomber à défaut de savoir réformer ce qui ne marche plus.
Quel dommage que ce brillant universitaire se fasse si rare.
C’est la lecture de son blog qui m’a pleinement ouvert au libéralisme il y a quelques années. Il devrait publier sur Contrepoints de nouveaux billets, il est d’une rare pédagogie, c’est un vrai plaisir que de lire ses écrits.
Je n’approuve pas ce genre d’article tirant à tout va sur l’état. Comme le laisse entendre l’auteur il s’agit de 2 systèmes complémentaires.
« un marché ne peut pas s’effondrer ». Ah bon? Et qui empêche les situations de monopole de se créer? lorsqu’il y a monopole il n’y a plus de marché. Par ailleurs, que ce serait il passait en 2008 si les Banques Centrales n’étaient pas intervenu?
« organisations bureaucratiques et administratives motivées par l’obéissance à des règlements et l’allégeance à l’autorité » c’est sur que dans une entreprise tout le monde fait ce qu’il lui plait! L’auteur oublie que l’état est démocratique pas l’entreprise il me semble ni le marché.
etc… bcp de points sont discutables
« l’état est démocratique pas l’entreprise »
La famille non plus. Et alors ? Faut faire une loi pour que le repas du soir soit décidé à la majorité des voix, y compris par ceux qui n’ont pas le droit de vote en temps normal ?
Une entreprise n’a pas être démocratique ni citoyenne ni responsable. Ce n’est pas une institution politique mais une entité juridique fondé sur des contrats librement consentis.
« Et qui empêche les situations de monopole de se créer? »
Sûrement pas l’Etat, qui les encourage.
« que ce serait il passait en 2008 si les Banques Centrales n’étaient pas intervenu? »
Les banques qui ont merdé auraient fait faillite, auraient disparu et auraient été remplacées par de nouvelles. Besoin des banques centrales pour cela ?
[…] place, dans un terrible retour de balancier, à la tyrannie, comme l’explique l’économiste Jean-Louis Caccomo : « L’effondrement de l’empire romain et de ses structures étatiques a produit l’ordre […]
[…] place, dans un terrible retour de balancier, à la tyrannie, comme l’explique l’économiste Jean-Louis Caccomo : « L’effondrement de l’empire romain et de ses structures étatiques a produit l’ordre […]