La troisième mort de Keynes

Les plans de relance et le déficit permanent depuis trente ans ont mis les États au bord de la faillite. Quand enterrera-t-on enfin Keynes?

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La troisième mort de Keynes

Publié le 8 août 2011
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Retour sur un article d’Emmanuel Martin à propos du keynésianisme. Un an après la publication initiale de l’article, la faillite des politiques keynésiennes est chaque jour plus visible: les plans de relance et le déficit permanent depuis trente ans ont mis les États occidentaux au bord de la faillite. Quand enterrera-t-on enfin John Maynard Keynes?

Par Emmanuel Martin
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre

Dès octobre 2008 nous prédisions que les mesures de sauvetage et de relance proposées par les divers États ne traitaient pas la racine du problème et ne feraient que l’empirer: elles prépareraient en réalité de nouvelles bulles en générant de nouveaux « faux droits » au sens de Jacques Rueff, faux droits qui étaient précisément à l’origine de la crise. L’histoire nous a malheureusement donné raison. Aux États-Unis (chômage, endettement) comme en Europe (endettement, crise de l’euro) la crise s’amplifie de manière dramatique.

Alors que nombre de médias faisaient leurs choux gras en étalant des inepties sur une soi-disant crise d’un capitalisme ultralibéral, nous tentions de rappeler toutes les politiques interventionnistes qui avaient modifié les incitations des acteurs sur les marchés immobiliers et financiers, et qui empêchaient justement la discipline de marché : politique monétaire laxiste et annonces que la banque centrale US injecterait des liquidités en cas de problème (le fameux « Greenspan put » déresponsabilisant) ; politique sociale US du logement abordable (via les stratégies délirantes de Fannie Mae et Freddie Mac suivant les objectifs de l’administration américaine, et la réduction drastique de l’apport personnel décidée par G.W. Bush avec l’American Dream Downpayment Act, ou encore effets de l’affirmative action en matière d’octroi de prêt bancaire via le Community Reinvestment Act) ; politiques de restriction foncière (les smart growth policies) qui ont accentué la bulle spéculative. Quant à la réglementation financière infantilisante et à la tradition des bail-outs déresponsabilisant les acteurs de la finance… on ne voit pas trop où se trouvait la discipline de marché.

À l’automne 2008 Michel Rocard pouvait se lamenter que Milton Friedman soit décédé : il l’aurait volontiers traîné devant la justice internationale pour crime contre l’humanité du fait de son idéologie malfaisante. Le soi-disant président libéral Nicolas Sarkozy lui emboîtait le pas en rappelant que « l’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance publique est morte ». Hugo Chavez l’avait félicité, c’est un signe. Le quotidien économique et financier Les Échos consacrait encore fin 2009 un numéro de son magazine Les Enjeux à Keynes, ressuscité en « homme de l’année », enterrant ainsi les principes du libéralisme. Parmi d’autres, le Professeur Sandye Gloria-Palermo, pourtant spécialiste de l’économie autrichienne et (pourrait-on penser) de son analyse du fonctionnement des marchés fondée sur la responsabilité entrepreneuriale, chantait la mort du cygne néolibéral et faisait les louanges du pragmatisme keynésien : il fallait lui rappeler que c’était précisément le pragmatisme interventionniste qui avait généré l’irresponsabilité et donné la crise.

« Crise de (mauvaise) foi ? » nous demandions-nous. Qu’un énarque socialiste ne comprenne pas les mécanismes du marché, passe encore. Mais que des économistes oublient que la déresponsabilisation des acteurs par divers filets de sécurité, garanties publiques, et autres subventions, ne permet pas de parler de « marchés libres », voilà qui était plus difficilement compréhensible. Le petit détail qui caractérise des marchés libres, c’est qu’il soient effectivement… libres, ce qui implique des acteurs responsables – et responsabilisés. L’autre petit détail était que pour la France par exemple, les niveaux de dépenses publiques et d’endettement avant la crise, ne permettaient absolument pas de parler de système ultralibéral (52% du PIB en dépenses publiques…) : l’État n’avait jamais « disparu », bien au contraire.

Malheureusement ce message n’était pas vraiment vendeur. Il est vrai que les excès scandaleux de quelques PDG de la finance n’ont pas aidé. Quoi qu’il en soit le débat s’est focalisé sur le retour de Keynes, le « retour » de l’État, de la dépense publique, de la dette, de la sacro-sainte « relance » et même sur la remise en question des odieux critères de Maastricht. Le diagnostic étant erroné, le traitement ne pouvait qu’être totalement inapproprié.

La cause de la crise américaine d’hier et de la crise européenne d’aujourd’hui (et la nouvelle crise américaine de demain !) est en réalité la même, bien qu’à des niveaux différents : l’endettement irresponsable encouragé et promu par le politique obsédé par le crédo keynésien : il faut de la demande, de la consommation pour la croissance. Exactement comme la crise américaine était celle de la dette des ménages, la crise actuelle est celle de la dette des États.

Hier l’endettement des ménages US avec des taux d’intérêt très bas, des prêts à taux variables dont M. Greenspan faisait la promotion, des subventions et garanties tout azimuts pour consommer du logement ; aujourd’hui l’endettement d’États aux politiques budgétaires irresponsables, incapables de se réformer et d’en donner pour leur argent à leurs citoyens, si ce n’est leurs « clients » (le cas de la Grèce est instructif à cet égard), et engouffrant des ressources de manière improductive, acculés à s’endetter pour rembourser leur dette. Cette crise de la dette des États ne date pas d’hier, mais les investisseurs réalisent enfin que les États sont allés trop loin : au-delà d’un certain seuil d’endettement un État ne rend plus service à ses citoyens, il détruit de la valeur, des ressources, comme une entreprise qui produit des biens dont personne ne veut.

La prise de conscience est-elle arrivée ? Les annonces de « bonne gestion » de la part des gouvernants ne sont-elles pas que de la poudre aux yeux pour rassurer les investisseurs (de moins en moins dupes) ? En effet parallèlement, on crée des nouveaux fonds de sauvetages qui permettront toujours plus d’aléa moral et d’irresponsabilité. « L’urgence de la situation l’impose »… comme depuis des années.

Au-delà de l’aspect strictement économique, il faut lire ici les signes d’une crise de la démocratie : la démocratie des faux droits et de l’irresponsabilité. Sans doute une fin de régime: celui de la démocratie keynésienne. Qu’on se le dise : Keynes est bien mort, une troisième fois. Il est temps que nos décideurs lisent Jacques Rueff pour revenir au seul principe qui guide une société ouverte : la responsabilité.

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  • « Aux États-Unis (chômage, endettement) comme en Europe (endettement, crise de l’euro) la crise s’amplifie de manière dramatique. »

    Vous auriez pu rajouter « chômage » à l’Europe juste entre l’endettement et la crise de l’euro. Pourquoi s’en cacher ?

  • Excellent article! Dommage que cela ne passe pas dans les médias traditionnels de type les Echos qui ne diffusent que des messages keynesiens ou presque depuis 2007! Les imbéciles!

  • En direct : l’effondrement des Etats-providence…

    Les historiens, dans quelques années, compareront la chute du communisme (9 novembre 1989 pour le Mur de Berlin) et l’effondrement des Etats-providence oligarchiques.

    Ils feront remarquer, dans les deux cas, qu’il s’agisait d’apprentis sorciers, qui se croyaient si intelligents qu’ils pensaient pouvoir oublier les règles élémentaires du bon sens et des principes issus de l’expérience et de l’histoire de l’humanité. Des constructions artificielles. Des vues de l’esprit projetées dans un monde auquel on croyait pouvoir commander. Du pur constructivisme…
    S’agissant du communisme, de type soviétique, son échec a démontré l’inanité d’un système prétendant réguler les prix, remplacer la concurrence par la planification, imposer la propriété collective. Avec la dictature et les hyper-inégalités en prime…
    S’agissant des Etats-providence, leur échec résulte, si l’on peut dire, de leurs succès initiaux. Tout s’est passé comme si, jusqu’à un certain niveau de redistribution du produit intérieur brut (20 ou 30% peut-être…), les avantages sociaux de celle-ci étaient, au moins dans l’instant, supérieur à ses inconvénients. Ce qui n’a pas empêché quelques économistes lucides et clairvoyants – comme Frédéric Bastiat, dans la première partie du XIXème siècle, alors que les prélèvements obligatoires étaient encore largement inférieurs à 10% du PIB !… – de prévoir que la mutualisation des risques sociaux aboutirait inéluctablement à l’irresponsabilité des citoyens, avec les conséquences qui résultent toujours de cette dernière.
    L’évolution a somme toute était rapide : moins de 10% en moyenne de prélévements publics au tournant du XIX ème siècle, et 54% en France aujourd’hui. On est passé de l’assistance aux pauvres non seulement à la spoliation des riches, mais encore à l’accaparement de tous les pouvoirs (le monde de l’entreprise libre mis à part) par une classe oligarchique presque exclusivement issue de la sphère publique.
    Comme cette évolution à été quasiment générale dans le monde occidental, un équilibre funeste mais durable était probablement possible. Avec 50% de prélèvements obligatoires, la croissance économique est réduite, les emplois créés souvent insuffisants. Mais «ça» peut tenir des décennies, voire des siècles.
    Pour que les Etats-providence s’écroulent, moins de 25 ans après le communisme, il a fallu que les oligarques qui nous gouvernent s’emparent de deux autres leviers : l’endettement et la création monétaire (avec l’appui déterminent de leur armée «privée» d’économistes stipendiés)
    L’endettement public – qui aujourd’hui, en tenant compte des dettes sociales au titre des retraites non-financées, représentent en moyenne trois à quatre années de production nationale… – s’analyse comme un multiplicateur de prélèvements publics. Qui permet de taxer par avance enfants et petits enfants.
    L’affaire de la création monétaire public, à partir du XIXème siècle, pour aboutir à compter de 1971 à des monnaies totalement déconnectées de toute référence métallique, c’est à dire réelle, est plus complexe. Simplifions en disant qu’avec une création de signes monétaires deux à tois fois supérieure en moyenne chaque année à l’augmentation de la production et des revenus, on provoque de l’inflation, on génère des bulles, mais surtout, on permet aux Etats de financer leurs dettes (vrai juqu’à ce jour) et on favorise la partie de l’oligarchie la plus proche des guichets de distribution de monnaie des banques centrales, en particuliers les cadres dirigeants des banques.
    C’est cet ensemble, reposant sur trois piliers, qui s’écroule sous nos yeux (peut-être même ce week end…)
    Keynes pire que Marx
    On observera que le système soviétique, évidemment globalement plus brutal, au regard des piliers 2 et 3 du système d’Etat-providence (dette publique et création monétaire) demeurait très «classique» : pas de dette publique et référence du rouble fort à l’or. Comme Marx l’aurait préconisé. Tandis que les social-démocraties eurent le malheur d’engendrer un certain Keynes…
    Et on remarquera que ce sont les mêmes bénéficiaires de la bulle financière, qui hier permettait le financement sans limite de la dette publique, qui aujourd’hui vont mettre les Etats-providence au tapis…
    Les Etats-providence ont eux-mêmes creusé leurs tombes. Mais c’est nous, citoyens contribuables, qui allons payer la cérémonie…
    On se réjouirait beaucoup d’avoir le privilège d’assister en direct à un tel événement historique. Parmi les faits uniques de l’histoire de l’humanité. Sauf que ce sont bien sûr nous, les citoyens-contribuables, qui vont payer la noté très salée. Tant il est vrai qu’il n’est de richesses réelles et légitimes que privées. Que l’argent public se prend toujours dans les poches des individus.
    Comme ce sont toujours les mêmes qui trinquent, il serait temps de leur demander un peu plus souvent leur avis.
    Par exemple demander aux Français s’ils sont d’accord pour alourdir de 15 milliards d’euros leur dette nationale afin de financer celle de la Grèce… Demander aux Américains s’ils sont OK pour relever le plafond de la dette publique, avec augmentation concomitante des impôts pour crédibiliser une baisse de l’accélération… Demander aux citoyens de tous les pays s’ils sont prêts à se serrer un peu plus la ceinture pour «sauver» «leurs banques»…
    La démocratie directe est une partie de la solution de la crise financière.

    sur dumait.fr

  • Exact !
    Merci de votre commentaire
    EM

  • Est-ce qu’il serait possible de publier le texte d’Alain Dumait cité par Jeanbarre sur Contrepoints ?

    • On a pas d’accord pour ce qui est publié sur son site directement (et non sur lecri.fr). Je peux mettre le début et un « lire la suite sur »

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