Les manifestations en Israël contre la vie chère de ces derniers jours ont débuté fin juillet par un rassemblement contre les coûts du logement dans les grandes villes. Comme partout, la bulle immobilière de ce pays est provoquée par une gestion socialiste du sol.
Par Vincent Bénard
Avant de devenir un vaste rassemblement de la gauche pro-État providence, les manifestations qui ont animé les rues d’Israël ces derniers jours ont débuté comme une protestation des plus jeunes contre les coûts du logement dans les grandes villes.
Accusé libéralisme, levez-vous !
Naturellement, vu de l’Hexagone, cette bulle a été l’occasion de découvrir combien, dans la presse comme dans les milieux politiques, une posture antilibérale constitue un bon substitut à l’intelligence et à la réflexion pour pondre facilement du mauvais papier.
Par contre, pour ce qui est de contribuer à alimenter le débat de réflexions constructives, c’est un autre problème. Bref, la cause est entendue, ce sont les politiques ultra libérales de Benyamin Netanyahu qui sont en cause.
Je ne connais pas vraiment ce monsieur, je ne suis pas son parcours de près, j’ignore si c’est une Margareth Thatcher mâtinée de Winston Churchill en costard cravate, comme il aime à se présenter sur son site, ou si l’exercice du pouvoir en a fait un mollasson à la David Cameron dont les timides écorchures contre l’État providence sont présentées comme ultra libérales par la gauche parce que c’est pratique, et que cela évite d’avoir à approfondir l’argumentaire.
Notons tout de même que, comme le dit l’article cité plus haut, les manifestations se déroulent « alors que l’économie israélienne est en bonne santé, le chômage bas, le shekel fort, l’investissement étranger élevé et la croissance ferme ».
Je suppose que les politiques (ultra libérales ?) dénoncées par nos analystes de choc doivent y être un peu pour quelque chose.
La réglementation du sol en Israel : ultra planifiée
Là n’est pas le problème. Sur la question du logement, il est clair qu’Israël est et reste un État socialiste, et que la bulle immobilière de ce pays est, comme partout, provoquée par une gestion socialiste du sol.
Pour des raisons historiques que je n’aborderai pas(*), Israël fut conçu par ses fondateurs comme un vaste État-providence, entre autres caractéristiques. D’ailleurs, nombre de primo-migrants fondèrent des kibboutzim au fonctionnement communautaire. On peut dire qu’avec les premières communautés des 13 colonies de nouvelle Angleterre au XVIIe siècle, l’État d’Israël fut à l’origine une des deux seules expériences de mise en place d’un communisme volontaire.
Comme en Amérique, cette expérience fut un échec cuisant, et Israël est devenu graduellement une sociale démocratie fondée sur un développement du capitalisme corseté par un État-providence assez tentaculaire. Et il est exact que Benyamin Netanyahu, lors de ses différents passages au gouvernement, soit en tant que Premier ministre, soit aux finances, a réformé de nombreux pans de cet État- providence, ce qui a permis au pays de sortir d’une crise économique assez dure au tournant du millénaire, malgré les coûts très élevés entraînés par sa situation géopolitique particulière.
Vestige quasi soviétique de cet État-providence, en Israël (hors territoires contestés), le sol est toujours géré de façon quasi totalement publique : 93 % sont gérés depuis la création de l’État hébreu par une administration, l’ILA (Israel Land Administration), dont environ 75 % en propriété étatique directe. Le reste est possédé par des entités para-étatiques.
Au cours du temps, seule une toute petite partie de ces terres ont été vendues (7 % au total).
En Israël, être propriétaire signifie généralement être détenteur d’un bail emphytéotique de 48 à 98 ans sur une parcelle. L’influence britannique, sans aucun doute… En outre, les « ventes » sont conditionnées à des « plans de développement » qui doivent faire l’objet d’un processus de validation long, mêlant démocratie « participative » et bureaucratie, tout comme dans le cas des PLU français.
L’État spéculateur foncier
Comme dans de nombreux cas où le sol est propriété de l’État, ce dernier a joué au spéculateur foncier pour maximiser ses revenus lorsque la baisse mondiale des taux d’intérêts et les indiscutables réussites économiques des politiques ultra libérales sus-mentionnées ont enrichi la population, et donc augmenté la demande de logement.
Ce phénomène de rétention foncière publique en période de boom économique a pu être également observé en Arizona, au Nevada, mais aussi en Chine ou en Espagne.
Au contraire, dans les États américains où le crédit était aussi folklorique qu’ailleurs (cf. foreclosure gate etc.) mais où les réglementations foncières sont plus libérales (exemple : le Texas), il n’y a pas eu de bulle sur les prix, il y a eu excès de construction.
Le quotidien de centre gauche Haaretz, peu suspect de complaisance pour Benyamin Netanyahu, publie une tribune qui met en cause la bureaucratie de l’ILA dans la formation de la bulle :
« The first and most important thing that must be done is to dismantle the Israel Lands Administration. We must get rid of this dinosaur, which is the primary reason for the rise in land and apartment prices. The ILA, an archaic monopoly, controls 93 percent of the country’s land and releases it in a miserly fashion in order to get the highest possible price.
Rather than continue this profiteering, the ILA should be forced to sell all the state lands it controls to the public – that is, to privatize the land and turn it into a freely marketed commodity. If the ILA merely announced such a new policy, we would immediately see land prices come down, and apartment prices as well. »
Cette assertion est-elle fondée sur des arguments solides ? Eh bien oui.
Cette synthèse du Global property guide nous apprend que, comme partout, les taux d’intérêt ont chuté en Israël dans les années 2000, de plus de 6 % à moins de 4 %. En corollaire, la croissance entre 2002 et 2007 a affiché un robuste 4-5 % de moyenne, et l’inflation (hors immobilier), galopante au début des années 1990, a été vaincue. Ajoutons qu’Israël reste un pays de forte immigration, et que la population y est beaucoup plus jeune que dans les pays occidentaux du monde chrétien occidental (voir Wikipedia).
Il en a résulté une recrudescence de la demande de logements. L’offre a-t-elle suivi ?
Eh bien non ! Malgré cet environnement économique hyper favorable, le nombre de mises en chantier et de logement livrés est resté étale dans les années 2000, et nettement inférieur à ce qu’il était dans les années 1990 !
La cause ? C’est « Buy it in Israel« , une entreprise d’aide à l’installation de nouveaux arrivants qui nous la donne :
« Currently, the apartment planning stage in Israel takes five to seven years on average because of the bureaucracy in the planning institutions and delays in the approval of building permits, compared with an average of one year only in other western countries. Even without any special requests, the approval of planning construction permits can take a minimum of two years. If changes or corrections are needed to be made to construction plans, the process can take between three to four years. »
Comme en Grande-Bretagne ou en France, entre la décision d’ouvrir un terrain à la construction et la livraison, 5 à 7 années en moyenne sont nécessaires.
Et voilà pourquoi à Tel Aviv, le coût médian des appartements atteint 12 fois le salaire médian dans le même bassin d’emploi, soit autant qu’en Californie au sommet de sa bulle. Et voilà pourquoi l’offre ne réagit pas à la demande : malgré les signaux de marché très forts, les promoteurs doivent tenir compte du risque que leur production arrive à la vente à contretemps, dans une phase de retournement. Au prix où ils ont été obligés de payer le droit de construire à l’ILA, une surproduction serait suicidaire. Alors, ils tendent à maintenir leurs projets dans une enveloppe très conservatrice.
Conséquences politico-économiques de la bulle
Il y a là danger pour M. Netanyahu et son gouvernement.
La relative décennie de prospérité vécue par Israël grâce à la libéralisation de son économie risque de se finir en eau de boudin, parce que l’argent va là où les signaux laissent entrevoir les meilleurs profits, et qu’il y a très clairement une bulle immobilière qui s’est formée en Israël.
A priori, cette bulle n’est pas aussi potentiellement dangereuse pour l’économie israélienne qu’elle ne l’a été pour les USA : malgré la bulle, l’encours du crédit immobilier dans l’État hébreu ne dépasse pas 20 % du PIB, contre 90 % aux USA au plus fort de la bulle, signe qu’en Israël, les banques ne prêtent pas à n’importe quelles conditions.
Toutefois, tout ce malinvestissement immobilier, qui constitue un double transfert antisocial de richesse du groupe des acheteurs de logement vers, d’une part, celui des vendeurs (généralement mieux nanti) et d’autre part, vers l’État et l’ILA, constitue une perte pour l’économie, dont Israël aurait pu se passer.
Il n’empêche que la bulle immobilière donne des ailes aux nostalgiques de l’État « corne d’abondance », et que s’il est trop tôt pour savoir si la coalition au pouvoir va en faire les frais, cela ne rend pas sa position plus confortable.
Face à cette situation, B. Netanyahu semble avoir résisté aux sirènes interventionnistes prônant plus de logement social et de subventions, et pris de bonnes décisions : réforme de l’ILA, privatisation accrue des terres, débureaucratisation de la gestion des sols. Mieux eut valu qu’il décidât cela quelques années auparavant, mais enfin, mieux vaut tard que jamais.
Mais l’on se dit que si la gauche avait été au pouvoir, le prétexte à plus d’interventionnisme aurait été tout trouvé.
Les leçons de la bulle israélienne
Économiquement, la situation de l’État hébreu peut se résumer en une formule :
Au-delà des réactions de politique politicienne qui tendront toujours à incriminer le libéralisme là où l’État est manifestement coupable des dysfonctionnement observés, notons qu’en Israël comme ailleurs, les bulles immobilières sont susceptibles de créer de nombreux désagréments économiques et sociaux, et que tout politicien cherchant à libéraliser l’économie « productive » de son pays ne devrait jamais oublier d’en faire autant de sa gestion foncière, sous peine de voir l’enrichissement des plus dynamiques devenir le cauchemar de ceux qui ne peuvent pas monter dans le train de la croissance en même temps que les autres.
La libéralisation foncière est, d’abord, une exigence d’équité sociale.
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Note
(*) Cet article se veut purement orienté sur des question d’économie politique et ne traite pas des questions de litiges de propriété entre les différentes communautés qui se disputent le territoire d’Israël. Merci à ceux que cela démangerait de nous épargner tout commentaire polémique sur le conflit Israélo-arabe. Il y a d’autres forums pour cela.
Sources pour cet article
– Haaretz : Tel aviv protesters are missing the point
– Global property guide : Israel House Price inflates further
– Israel Mortgage Blog
– Buy it in Israel : the cost of bureaucracy
Lire également
– Essai de loi de formation des bulles immobilières
– L’échec du kibboutz en Israel, preuve ultime de la faillite du communisme
– Pourquoi l’Amérique est elle devenue capitaliste plutôt que communiste au XVIIème siècle ?
– Bulles immobilières et foncier, comment ça marche
– Réglementation foncière et crise du logement, problèmes et solutions
– Les causes foncières de la crise financière
– Dossier « logement » d’objectif liberté
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Sur le web
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