En complément de l’article d’Aurélien Véron, Contrepoints republie un article de Vincent Bénard de juin 2010, qui garde toute son actualité aujourd’hui, grâce à la capacité de compréhension et d’apprentissage de ceux qui nous gouvernent.
Que ce soit sur les forums, les interviews de certains politiciens, ou même les commentaires de mon blog, certains pensent dur comme fer qu’il suffirait de faire payer les riches pour, comme par magie, redresser les comptes de la nation, sauver les retraites, etc.
Cette affirmation ne résiste pas à un examen sommaire.
Les riches paient déjà !
L’INSEE livre dans ce document (PDF) une étude statistique des plus hauts revenus en 2007.
L’étude est difficilement exploitable seule, car elle moyenne les revenus par unité de consommation(1) selon la définition de l’INSEE, ce qui ne facilite pas les comparaisons, et non par personne dans le foyer, mais en la croisant avec les statistiques des déclarations de revenu de la même année, publiées par le ministère du budget.
J’ai pu tirer le tableau suivant avec quelques arrondis grossiers, les pourcentages des colonnes en italique sont à +/-10 % près (un pourcentage indiqué à 8 % se situera entre 7,2 et 8,8 %).
* Tous revenus confondus, 2007
** Mon estimation du nombre de déclarants peut être faussée par des doubles comptes que je n’ai pas les moyens de détecter. Environ 48 millions de déclarants individuels, dont 25 millions déclarant en couple. Voir également note en bas de page.
*** Précaution de lecture : les moyennes d’une ligne incluent les gens des lignes situées en dessous. Les lignes ne s’additionnent donc pas.
À noter : produit fiscal IRPP 2007 # 49 milliards d’euros, total des revenus déclarés, environ 820 milliards, mais il s’agit du revenu fiscal de référence incluant certaines déductions, qui n’est pas le revenu exact (Source WP). Les chiffres sur le site de Bercy, qu’il faut additionner soi-même à la main, donnent plutôt 870 milliards.
Quelques remarques
Tout d’abord, savoir que le seuil pour appartenir aux 10 % des meilleurs revenus est de 3000 euros par mois en dit long sur la nullité des salaires, et la platitude de leur échelle, dans ce pays. Et le seuil des 1% se situe à 7000 euros par mois prouve qu’à l’évidence, la France n’est pas un pays où beaucoup peuvent s’enrichir.
Et c’est très dommage, car les enrichis sont un bon indicateur du dynamisme de l’économie : des entrepreneurs et cadres supérieurs riches en grand nombre indiquent qu’il y a davantage d’entreprises qui marchent, et donc de cadres moyens, d’employés très qualifiés, de commerciaux bien commissionnés, etc.
Ensuite, s’il est connu que seuls 50 % des ménages (environ) paient la totalité de l’impôt sur le revenu, le fait que les 10 % les mieux dotés en paient à eux seuls 47 % (soit 4,7 fois plus que leur part de la population adulte), ou que les 4800 super-riches paient 3,1 % du total, soit 310 fois plus que leur part de la population, montre que l’impôt sur le revenu est extrêmement progressif.
Et encore les chiffres ci-dessus ne concernent que l’IRPP et donc n’incluent pas l’ISF.
Notez au passage que les 0,01 % (super riches) réussissent à ne pas augmenter leur pression fiscale moyenne par rapport aux 0,1 % (très riches) : les niches fiscales leur sont certainement très familières…
Un matraquage fiscal supplémentaire des « riches » ne rapporterait rien
Enfin, si on doublait l’imposition des 10 % les plus riches (soit toute personne à plus de 36 000 euros/an… ce qui donne une définition particulièrement basse de la « richesse »), ce qui serait énorme, en supposant que miraculeusement, aucun d’entre eux ne partirait de France, ou ne diminuerait son revenu malgré ce matraquage, le surcroît de produit fiscal serait de 23 milliards, soit à peine plus de 1,1% du PIB.
Notre déficit 2010 devrait tourner autour de 150 (8 %), et les prochaines années verront les déficits de l’assurance vieillesse exploser bien au-delà de ce niveau si rien de significatif n’est entrepris pour stopper l’hémorragie. On voit donc que même dans le cas « idéal » totalement utopique où l’augmentation de pression fiscale n’inciterait pas les plus aisés à échapper à tout prix au fisc, faire payer les riches ne ferait rentrer dans les caisses que un sixième du déficit actuel de l’État, ou même uniquement la moitié des déficits constatés avant la crise : faire payer les riches ne résout rien.
Mais surtout, l’effet Laffer, déjà largement commenté dans mon blog, et empiriquement souvent vérifié (exemple) jouerait de façon négative dans ce cas.
Même un chercheur peu suspect de sympathies libérales comme Thomas Piketty reconnait qu’une hausse des taux marginaux supérieure à 10 % sur les très hauts revenus provoquerait un effet Laffer négatif (exode fiscal – également ici, moindre appétence au travail rentable) tel que le surcroît de rentrées fiscales résultant serait au mieux très décevant, au pire… négatif.
Des recherches indépendantes ont montré que l’ISF coûte sans doute 4 à 8 fois plus que ce qu’il rapporte à cause de tous les impôts non perçus sur les revenus des capitaux délocalisés à l’étranger depuis son instauration.
Enfin, à long terme, des taux marginaux trop élevés tueraient tout espoir de croissance en décourageant l’investissement productif, l’esprit d’entreprise et la formation de capital. Il y aurait moins de très riches, mais aussi et surtout moins de « petits » riches, alors qu’une société fonctionnelle devrait au contraire donner au plus grand nombre la possibilité d’atteindre une certaine aisance matérielle.
Et une société qui encourage l’égalité dans la médiocrité n’est en rien préférable à une société permettant un bon espoir d’élévation individuelle au fur et à mesure que la vie avance.
Notre classe politique doit cesser de considérer celui qui s’enrichit comme un accapareur à qui il faut faire rendre gorge, mais un symptôme de réussite dont la multiplication est non seulement un signe, mais une condition sine qua non de bonne santé économique et d’harmonie sociale. Punir le succès est le plus sûr chemin vers une société de la médiocrité.
Conclusion
Faire payer les plus riches (2) plus qu’ils ne le font déjà ne permettra pas de résoudre nos déséquilibres budgétaires, et accentuera à long terme des effets tout à fait désastreux déjà observables pour l’économie de ce pays, à commencer par un exode massif des meilleurs diplômés, les plus mobiles, qui manqueront cruellement pour apporter au pays le sang neuf et les gains de productivité dont il a tant besoin.
Notes :
(1) Le « revenu par unité de consommation » est obtenu en divisant le revenu du foyer par le nombre d’UC du foyer, qui n’est pas égal au nombre de personnes. En effet, l’INSEE considère que la seconde personne consomme la même salle de bains, la même télé, etc… et donc elle pondère le second membre du couple à 0,5 UC, ainsi que les ados. Puis elle compte les enfants pour 0,3 UC. Le revenu par personne « non à charge » dans chaque foyer est donc différent du revenu par UC, mais on peut considérer que les ordres de grandeur sont assez proches. En effet, en auscultant les données du fisc, on peut approcher le nombre d’unités de consommation de la population française entre 46 et 47 millions, or, le nombre de personnes déclarant un revenu est de l’ordre de 47 à 48 millions. Assimiler revenu moyen par UC et revenu moyen par personne déclarant un revenu est donc, faute d’accès à des données plus détaillées, une approximation acceptable, que par conséquent je m’autorise.
(2) Pour être clair, je précise que je ne fais pas partie du top 1 %, de très loin. Je suis à des années lumières de l’ISF, et je ne défends donc pas ici ma situation personnelle.
———-
Lire également :
- Une courte liste de grandes entreprises dont les fondateurs sont expatriés fiscaux
- Comment l’ISF concourt à augmenter l’impôt des classes moyennes
- L’erreur conceptuelle des adeptes de l’impôt progressif
- Rubrique Fiscalité d’Ob’Lib’
Et ailleurs :
Une bien belle histoire que de se limiter à l’impôt sur le revenu pour comparer les taux d’imposition et de taxation.
Il est vrai que l’étude d’un impôt qui représente moins de la moitié des impôts directs, moins de 20% des recettes fiscales nettes, et moins de 10% des prélèvements obligatoires est parfaitement pertinente pour en conclure que les riches sont trop taxés (c’est bien cela, non?) et qu’il faudrait au contraire supprimer leurs impôts pour libérer les forces créatrices de ce pays et créer un choc de confiance.
Ou alors, on pourrait réfléchir à se demander quel est leur taux marginal d’imposition global sur l’ensemble de leurs revenus, quelle est la progression du reste à vivre par euros supplémentaire gagné, et rechercher un taux d’imposition « optimal », soit progressif, soit flat compensé par un impôt négatif, soit sur la consommation d’énergie, bref il y a des choses à dire et à réfléchir, autre que le cri d’alarme « PAS PAYER D’IMPOTS§§§ »