Le mythe sécuritaire, une critique libertarienne

Nul ne remet jamais en doute dans les mass-médias le caractère sacro-saint du monopole de l’État sur la sécurité des individus.

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Le mythe sécuritaire, une critique libertarienne

Publié le 5 septembre 2011
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La sécurité n’est-elle vraiment qu’une question de gros sous ? La sécurité dépend-elle du nombre de policiers que l’Etat est capable de financer ? Alors que les problèmes de la dette vont nous contraindre à repenser les fonctions et le périmètre de l’Etat nous vous proposons de redécouvrir cette magistrale critique libertarienne des politiques sécuritaires publiée en 2002 par François-René Rideau (l’administrateur du site Bastiat.org), sous le titre Des polices privées . Un article republié par l’Institut Turgot.

La sécurité, ou plutôt l’insécurité, est un thème qui revient souvent dans l’actualité, en France, en Grande Bretagne, comme sans doute ailleurs en Europe et dans le monde.

En France, en tout cas, le sentiment d’insécurité croissant est si fort dans l’opinion publique que la sécurité est devenue le thème universellement repris de tous les candidats aux campagnes électorales

Or, que proposent tout aussi universellement ces candidats ? « Davantage de moyens », de policiers, d’auxiliaires (« policiers municipaux » et militaires), de prisons, de programmes de réhabilitations, de campagnes de prévention.

Voilà encore et toujours cette superstition matérialiste que l’argent est la solution magique à tous les problèmes! Voilà ce conte pour enfant attardés, l’État-providence, qui ne considère jamais de cet argent « public » que les effets visibles qu’il a en tant que dépense « publique » forcée, et refuse de considérer les effets invisibles que ce même argent est empêché d’avoir en tant que dépenses privées à la fois diminuées par les recettes publiques et prohibées par les monopoles et réglementations. Voilà ce mythe aveugle du recours au pouvoir politique comme « solution » gratuite et universelle à tous les problèmes, qui néglige les coûts de la compulsion, les coûts du consensus censé guider cette compulsion, les coûts de l’irresponsabilité qu’elle érige en système.

Et si, en matière de sécurité comme ailleurs, les dépenses publiques, la police nationale faisaient partie du problème, et non pas de la solution ? Et si l’augmentation continuelle des fonds consacrés à la répression et à l’oppression ne menait qu’à l’augmentation de la criminalité ? Et si les problèmes de la police nationale, son coût, son inefficacité, ses bavures, sa corruption, étaient des problèmes intrinsèques liés au monopole de la police lui-même ? C’est la thèse que nous allons défendre.

 

La faillite de la police nationale

Nul ne remet jamais en doute dans les mass-médias le caractère sacro-saint du monopole de l’État sur la sécurité des individus. Devant chaque affaire criminelle qui défraie la chronique, c’est l’extension de la police nationale, sa taille, ses pouvoirs, que réclament les publicistes, qu’envisagent les politiciens. Chaque candidat en campagne se plaît à dire comment il va étendre tel service, en créer un nouveau, en redéployer un autre, faire patrouiller des auxiliaires accompagnés d’officiers tamponnés, etc.

Or, pour un authentique libéral, la recherche pour tout problème nouveau d’une solution dans l’élargissement continuel des pouvoirs d’un État auquel on voue une confiance aveugle, ces pouvoirs spéciaux conférés à un monopole de la police et le déni croissant du droit à l’auto-défense des citoyens, tout cela constitue la cause même du problème.

Et c’est bien l’accroissement de cette cause que tous les hommes politiques proposent comme solution — phénomène remarquablement décrit dès 1806 par Benjamin Constant dans ses Principes de Politique.

Si on recoupe les faits d’actualité, plutôt que de lire les discours de propagande des publicistes, on voit que le constat est accablant à l’encontre de la police nationale : ses bavures, ses violences, son racisme, sa partialité, ses détentions abusives et abusivement prolongées en garde à vue, les mauvais traitements qu’elle fait subir aux innocents présumés ; le manque de moyens des policiers, leur démoralisation, voire leur corruption quand ils sont dégoûtés du système, leur absence là où le besoin se fait sentir, leur présence massive pour protéger certains intérêts privilégiés, les lois qui entravent le fonctionnement de l’administration policière quand il s’agit de s’attaquer au banditisme politique ou mafieux, le laxisme judiciaire qui rend inutiles tous les travaux policiers en relâchant dans la nature des coupables identifiés mais impunis, etc.

La conclusion s’impose en effet : le problème n’est pas un manque de moyen — c’est le système lui-même qui est pourri (1). Injecter davantage de moyens dans un système qui mène à tous ces échecs ne fera qu’amplifier le désastre. À tout le moins, il faut reconsidérer ce système, et comparer ce que donnerait l’abolition du monopole de la police.

 

La solution niée : une police privée

Il est de bon ton de justifier l’intervention de l’État ici et là par une prétendue « faillite du marché »: le marché (c’est-à-dire les individus libres d’agir selon leurs buts) serait dans l’incapacité de fournir des services voulus par les individus, et l’État (c’est-à-dire les individus forcés d’agir selon les buts des hommes politiques) devrait pallier ce manque cruel universellement ressenti.(2)

Dans le cas de la police, cela se traduit par ce spectre que font planer les politiciens de l’anarchie (3) qui régnerait si on supprimait la police nationale — alors qu’il s’agit de ne supprimer que le caractère « national » de la police, et non pas la police elle-même, qui serait privatisée, ou plutôt, libéralisée. Or, dans le cas de la police plus que dans nul autre, il est patent que s’il n’y a aucune offre sur le marché libre, c’est au contraire parce que l’État empêche de toutes ses forces l’émergence d’un tel marché.

Toutes les tentatives privées pour suppléer aux manquements de la police sont sévèrement réprimées : les citoyens honnêtes qui défendent eux-mêmes et par les armes leur fonds de commerce sont systématiquement condamnés à de lourdes peines de prison. Les milices sont interdites, et les candidats à leur organisation risquent plus sûrement d’aller en prison et pour longtemps que les malfrats contre lesquels ils voudraient se défendre. C’est à peine si on tolère que des entreprises de sécurité louent des gardes privés, à condition que ceux-ci soient encadrés de près par la police gouvernementale.

Ainsi, l’État fait tout pour préserver son monopole, quitte à combattre bien plus férocement les citoyens honnêtes qui voudraient lui faire concurrence que les criminels qu’il est censé écarter. C’est pourquoi il est impossible de voir dans l’absence de polices privées une « faillite du marché ». Au contraire, le fait que des citoyens votent en faveur de polices municipales lors des élections locales prouve que les mêmes citoyens seraient prêts à mettre l’argent équivalent au supplément d’impôt local correspondant dans une police privée qui patrouillerait en bas de chez eux.

 

Une police privée : le meilleur service public grâce à la liberté des consommateurs

Chez certains « intellectuels », il est de bon ton de dire du mal des vigiles et autres gardes privés, comme d’ailleurs de tout ce qui est « commercial », ou « marchand » — en fait, de tout ce qui relève du libre arrangement des individus. Mais quelle différence entre un vigile privé et un policier ? Certainement pas la transaction monétaire : les policiers étatiques ne travaillent pas pour du vent, mais bien pour de l’argent et des avantages divers (impunité, retraite), avec des ressources qui sont fournies par les citoyens, via les impôts. La différence entre un policier privé et un policier public, c’est que le premier défend vos intérêts, qu’il est présent à l’endroit et au moment où vous en avez besoin, et se recrute aux conditions que vous négociez ; alors que le second défend l’intérêt des politiquement puissants, est présent là où les puissants le veulent pour faire ce qu’ils veulent, aux conditions qu’ils veulent, sans que vous ayiez rien à dire.

Il n’est donc pas surprenant que ceux qui peuvent se permettre de payer à la fois (par voie d’impôt, forcée) la police publique et (par voie directe, volontaire) une police privée fassent davantage confiance à la seconde pour assurer directement la sécurité de leurs biens et personnes. Les policiers publics ne sont pas tenus d’être là où on a besoin d’eux, quand on a besoin d’eux. Les policiers privés, si.

En matière de police comme ailleurs, le service privé est le meilleur service public. Car sur un marché de services privés soumis à la libre concurrence, le client est roi. Chacun achète exactement ce qu’il veut, et en a pour son argent, ou va chercher un autre fournisseur. Les individus, responsables de leur propre sécurité, et libres de s’adresser au fournisseur de leur choix, pourront dépenser exactement les sommes qu’ils sont prêts à dépenser pour avoir exactement la protection qu’ils désirent.

Pour les opérations de police comme pour tout autre service, le public est mieux servi par un marché privé soumis à la libre concurrence, c’est-à-dire à la liberté de choix des consommateurs, que par un monopole public soumis à une administration technocratique dirigée par des politiciens démagogiques. Or, la condition sine qua non pour qu’un tel libre marché existe est que l’on reconnaisse le droit individuel à choisir ses moyens d’autodéfense, et donc le droit de porter les armes soi-même et d’en déléguer l’usage aux personnes de son choix.

D’ailleurs, cette responsabilisation des consommateurs permet non seulement d’apporter leur satisfaction, mais aussi d’en finir avec les gaspillages quand on dépensait trop ou mal, d’en finir avec les agressions quand on dépensait trop peu, d’en finir avec les zones de non-droit désertées par la police nationale, d’en finir avec la protection des privilégiés sur le dos des opprimés, d’en finir avec les vaines querelles politiques et autres lobbies qui dissipaient l’argent et l’énergie de tous au profit de politiques douteuses, de politiciens corrompus, et de leurs courtisans corrupteurs ou parasites.

 

Une police privée : la garantie du respect des droits par la responsabilité des fournisseurs

Un autre atout incomparable du marché libre sur le monopole public est que le fournisseur privé est responsable de ses actes : toute violation des droits par les policiers sera passible de réparations judiciaires. Ces réparations n’empêcheront pas le fonctionnement de polices privées justes et efficaces, augmentant seulement leurs frais d’assurance ; mais elles permettront de mettre un terme rapide à toutes les compagnies privées utilisant trop souvent des méthodes attentatoires aux libertés, tout en dédommageant leurs victimes.

Avec le monopole public, les policiers sont des fonctionnaires irresponsables vis-à-vis des victimes de leurs actes ; qu’ils tabassent un prévenu, qu’ils tuent un innocent par « bavure », qu’ils se livrent à diverses malversations, ou qu’ils négligent leurs devoirs envers ceux qu’ils sont censés protéger, au pire, ils risquent une sanction administrative (4) : quand il s’agit de juger ses propres manquements, l’administration est juge et partie, et préfère laver son linge sale en famille. Quant aux victimes, elles n’ont pas leur mot à dire. Avec une police privée, au contraire, chaque policier étant responsable, il n’y aura pas de bavure impunie, pas de malversations couvertes par une administration opaque, pas de violation des droits d’autrui, pas plus que de rupture unilatérale de contrat avec les employeurs.

Cette responsabilité, qui peut paraître un frein au travail des policiers, n’est un frein qu’à l’arbitraire, à l’injustice, à tout ce qui est mauvais et dangereux dans l’existence d’une police — à tout ce qui fait le danger d’un État policier. Elle est aussi un encouragement à l’émergence de polices intégrées à la population, de polices d’appoint, de milices responsables, et de forces de l’ordre dans tous les endroits délaissés et les interstices qu’une administration irresponsable ne pourra jamais combler. Quel meilleur garant de l’ordre public que l’égalité de tous devant le droit d’user de façon responsable de la force à fin de police ?

 

Une police privée : la fin des zones de non-droit

Il est bien connu que la police nationale abandonne de nombreux quartiers où elle est tellement impopulaire qu’elle ne peut pas mettre les pieds. Ce qui ne l’empêche pas d’arrêter manu militari toute personne qui voudrait la remplacer dans lesdits quartiers — assurant ainsi la domination des criminels sur des citoyens désarmés.

Une police privée ne peut pas se livrer à la moindre injustice, elle ne saurait par de telles injustices systématiques soulever le ressentiment d’une quelconque minorité contre l’ordre public en général. Avec la liberté d’établir des polices privées, les quartiers actuellement difficiles ne seront plus en situation de dépendance vis-à-vis d’une police absente et étrangère à leurs intérêts, mais pourront autogérer leur propre sécurité. Bien loin qu’il y ait des zones de non-droit où une jeunesse « exclue » affronterait un ordre établi exogène, il n’y aurait partout que des zones de droit, droit basé sur l’engagement direct, libre et responsable des propriétaires, des habitants, et de leurs assureurs. Ce seraient leurs propres parents, par police privée interposée ou pas, que les jeunes affronteraient, s’ils voulaient affronter l’ordre. Il n’y aurait plus de jeunes unis dans un « nous contre le système » — il n’y aurait que le calme, et une éventuelle poignée de voyous bien définis s’en prenant à des victimes bien définies, dont les cas seraient facilement réglés par la police locale.

 

Polices privées : la fin de l’extraterritorialité des criminels

La juridiction d’une police privée, c’est le respect des droits de propriété de ses clients — ni plus ni moins. Peu importe que les agresseurs viennent de l’appartement du dessus, de l’immeuble d’en face, du quartier d’à côté, d’une ville proche, ou d’un pays lointain. Chacun peut se défendre, par soi-même ou par police interposée, contre tout agresseur, et aller lui demander des comptes où qu’il se cache. Et ce faisant, chacun est responsable de réparer tout tort causé à des tiers innocents ou des accusés n’étant pas reconnus coupables par une cour de justice indépendante.

Ceci implique qu’il n’y aura plus les problèmes de défaut de juridiction auquel fait face la police de monopole territorial. Si un agresseur sort de la ville de ses victimes, si des groupes d’agresseurs de villes différentes s’organisent pour se renseigner l’un l’autre sur les victimes potentielles de leurs villes respectives, si un notable contrôle la police locale, si un gang se regroupe au sein d’une ville dont il serait la police, cela n’empêchera pas une police privée de faire régner l’ordre et la justice. Ainsi, toutes ces situations de violation patente du droit que sanctionne le monopole de la police disparaîtraient si le marché de la police était libre.

La majorité, constituée de citoyens honnêtes (5), aura toujours intérêt à soutenir l’ordre contre les potentats locaux. Les polices privées et compagnies d’assurances, attachées non pas à un territoire, mais à la satisfaction de leurs clients, ont un intérêt direct dans l’éradication des activités de banditisme, et sont tout à fait adaptées à lutter contre cette forme de banditisme organisé. Un potentat coupable, une cité de malfrats, auraient beau mettre une police locale au service de criminels, ils tomberaient vite sous les coups de l’armée privée réunie de leurs victimes et des citoyens concernés des communes voisines et de leurs compagnies d’assurances, pouvant concentrer momentanément leurs moyens à l’échelle nationale ou internationale. Il est d’ailleurs plus facile de donner un assaut coordonné contre un ennemi localisé que contre des réseaux éclatés, et de telles opérations de police reviendraient moins cher que l’éradication malfrat par malfrat d’une activité criminelle équivalente, tout en conférant aux polices privées qui les mèneraient un bénéfice considérable d’image de marque. Les polices privées rivaliseront donc pour remporter le très rentable marché d’une telle éradication.

Ainsi, l’idée d’une enclave territoriale criminelle échappant au droit et opprimant la population locale ou nourrissant le crime dans les communes voisines est une chimère dans un monde où la police est privée (6). Les polices privées sont capables de réduire toute forme de crime organisé, dès lors que les victimes et les coupables sont identifiés, combien puissants ces coupables pourraient-ils paraître. Plus généralement, pour la réduction de leurs coûts autant que pour leur image de marque, les polices privées auront toujours intérêt à coopérer sur toute affaire où les crimes sont démontrés, et à s’empêcher mutuellement de nuire sur toute affaire où ils ne le seraient pas. La liberté d’organiser sa propre auto-défense est donc la garantie de polices efficaces, collaborant dans l’intérêt des citoyens, et se tenant mutuellement en respect quand cet intérêt est menacé.

 

Polices privées : l’émulation de la concurrence dans la lutte contre le crime

La police monopolistique n’a pas pour critère de survie la satisfaction de la population. Ses fonctionnaires sont inamovibles ; un service existant survivra indéfiniment même s’il n’arrête aucun criminel, même s’il ne contribue aucunement à la sécurité des citoyens, voire ne participe qu’à leur oppression, même si ses actions sont systématiquement des échecs, même si son budget dépasse largement les bénéfices réels de son action, etc.

Au contraire, la police privée dans un marché libre voit son existence directement liée à la qualité de son travail, de par le jeu même de la concurrence (c’est-à-dire de la liberté des consommateurs). La qualité du travail des polices privées contre le crime organisé est directement liée au fait qu’il y ait libre concurrence entre des polices dépendantes de la clientèle volontaire des citoyens honnêtes et de leurs regroupements en communes, mutuelles, assurances, associations régionales ou nationales, réassurances, etc.

Si une police privée n’est pas assez efficace, elle perd ses clients. Si elle abuse de ses clients ou de tierces personnes, elle se fait elle-même attaquer en justice, perd de l’argent, devient plus chère, perd le soutien de ses clients, etc. et disparaît dans la banqueroute, à moins de se ressaisir promptement. Si elle devient elle-même criminelle, elle est poursuivie par ses victimes et détruite par ses concurrentes. Avec la liberté, le gagnant est le citoyen honnête, consommateur de sécurité à prix compétitifs.

Les polices privées ont donc une forte incitation à la fois à coopérer ensemble, dans le cadre d’accords de mutualité, et à rivaliser d’efficacité contre le crime. Dans cette émulation, les policiers eux-mêmes sont gagnants car la concurrence vaut aussi pour les polices en tant qu’employeurs. Les policiers consciencieux et efficaces pourront toujours trouver un cadre de travail agréable, professionnel, correctement payé, où ils pourront épanouir leurs talents, leur passion. Ils ne seront plus jamais enfermés dans une routine abrutissante, dans un univers kafkaïen qui les opprime, dans un système inefficace qui les décourage, dans des compromissions qui leur font perdre le sens du bien et du mal, dans un cadre de lois iniques qui les mettent trop souvent au service du mal lui-même.

 

Une police privée : la garantie que tous seront protégés

Les partisans du monopole font valoir la police nationale comme l’ultime recours pour les déshérités qui seraient sinon sans défense. Les simples faits d’actualité leur donnent constamment tort. Quand les pauvres sont victimes d’agressions, quand se développe la criminalité dans les quartiers défavorisés, la police nationale est absente ; au contraire, elle vient épauler les amis du pouvoir à grands renforts de CRS. Or, les pauvres ne paient en proportion pas moins d’impôt que les autres. S’ils étaient libres de choisir leur police, ils ne choisiraient pas cette police nationale qui ne les défend pas. Ou, quitte à ne pas être défendus, ils économiseraient ce qu’ils paient d’impôts, et seraient moins pauvres.

On peut aller plus loin : un pauvre armé est une victime difficile et peu rentable ; un pauvre désarmé est une victime facile et rentable. En prohibant l’autodéfense, en poursuivant systématiquement ceux qui se dressent contre l’agression, en instaurant et préservant son monopole, c’est avant tout aux plus démunis que nuit la police nationale. L’État désarme le pauvre de la main gauche, et se présente comme son sauveur de la main droite. Mais si on compare ce que prend la main gauche à ce que donne la main droite, on s’aperçoit bien vite que l’État n’est pas l’ami des pauvres.

Avec une police nationale, la protection est un bien privé et un coût public — il n’est pas étonnant qu’elle sera la convoitise de divers lobbies qui obtiendront d’être protégés aux frais des autres. Avec une police privée, la protection est un bien public et un coût privé : chacun sera responsable de sa propre défense, qui sera donc plus efficace. Et cette efficacité conjuguée partout et par tous, en décourageant les criminels, a des retombées positives même sur ceux qui sont trop démunis pour se protéger. Ainsi, les plus riches ont le plus à perdre dans un meurtre, un viol, une agression physique — ils paieront donc davantage pour éliminer le fléau contagieux de la violence criminelle, partout où elle se trouve.

Enfin, une justice rétributive où les agresseurs seraient condamnés, non seulement à dédommager les victimes mais aussi à payer les frais de justice et de police, rendrait tout à fait rentable la défense de ceux-là même qui ne seraient pas capables d’avancer a priori les frais de leur propre défense. Les plus démunis auraient une base financière solide pour emprunter de quoi couvrir leurs frais, quitte à céder une partie de leurs droits à un avocat ou autre entrepreneur spécialisé dans la défense des pauvres et capable de couvrir ces frais dans le cas où l’affaire ne serait pas gagnée ou celui où le coupable ne serait pas solvable.

La police privée, et dans son cas particulier le plus simple, l’autodéfense, sont donc encore une fois les meilleurs garants de la sécurité de tous, y compris les plus démunis. Et si une majorité de français était prête à consentir un effort financier en faveur de ces plus démunis, ce n’est pas la liberté de s’associer qui les empêcherait. Le monopole ne peut que les forcer à payer tantôt trop, tantôt trop peu, toujours mal.

 

Le monopole de la police : source de tous les rackets politiques

Le dernier argument fallacieux de l’argumentation étatiste est qu’un État serait nécessaire pour protéger les individus contre une police privée qui pourrait obtenir un monopole mafieux. Bizarre paradoxe par lequel on justifie un monopole sûr et certain dans l’espoir d’éviter un monopole hypothétique qui dans le pire des cas ne donnerait rien d’autre que la « solution » proposée.

C’est là la théorie dite du « monopole naturel »: prévenir l’incertitude du mal par la certitude du pire!

L’histoire autant que la théorie confirment que la libre concurrence de droit mène toujours à la disparition des monopoles de fait (7). Les seuls monopoles qui ont jamais duré sont ceux qui ont fait appel à l’État, sous forme de chartes, licences, patentes, brevets, copyrights, privilèges, subventions, contrôles administratifs, habilitations, règlements et autres barrières à l’entrée des concurrents : des monopoles de droit.

Ainsi, l’État est la source même des monopoles auxquels il prétend remédier. On agite l’épouvantail de l’hypothétique renard-criminel qui menacerait les poules-citoyens, et pour remédier à cette menace, on instaure un bien certain le fermier-État qui exploitera les poules-citoyens, les enferme dans un poulailler-prison faite de grillages-« lois », et les dépouille de leurs Å“ufs-revenus, jusqu’à l’heure où il les égorgera pour en faire une dîner bien propret-captation d’héritage plutôt qu’un carnage sanglant-cambriolage.

Le monopole de la police est le protecteur d’un racket organisé à l’échelle nationale : le pouvoir politique. Le pouvoir politique consiste à obliger les individus à payer de force à prix décrétés des services dont ils ne veulent pas aux conditions imposées (sans quoi la force étatique serait superflue), plutôt que de les laisser choisir les services auxquels ils tiennent assez pour les payer à prix et conditions négociés.

C’est effectivement la définition même du racket. Des polices privées, n’ayant aucun droit spécial pour violer le domicile d’autrui ni saisir leur bien et leur personne, ne pourraient aucunement faire respecter des fausses lois, elles ne pourraient pas punir quiconque pour des faux crimes sans victimes, car elles n’auraient la juridiction d’aucune victime à défendre. Elles ne pourraient pas imposer des privilèges, monopoles ou rentes qui n’auraient pas été volontairement accordés à titre individuel à leur client par ceux qu’elles voudraient poursuivre, sous peine d’avoir à faire à la défense organisée par leurs concurrentes de ceux qu’elles voudraient dépouiller ; elles ne pourraient pas intervenir auprès de tiers pour prohiber des relations volontaires entre adultes consentants ; elles ne trouveraient aucun financement en faveur de lois injustes ou improductives dont les coûts dépassent les avantages.

L’État, privé de son bras séculier, perdrait son pouvoir de nuisance, il deviendrait incapable de créer des faux droits, d’opprimer à coups de spoliation légale, ni de faire taire la dissidence par le contrôle subtil des médias.

La police privée, comme le port d’arme, qui en est un cas particulier, relève de l’expression du droit naturel d’organiser sa propre défense. De même que le droit de se défendre est le garant de tous les autres droits, son contraire, le monopole de la défense, est la source de tous les monopoles, de toutes les oppressions (8).

NOTES

(1) : À vrai dire, c’est par un tel recoupement d’informations par delà l’incohérence des diatribes des publicistes, c’est en observant cette faillite universellement décrite mais toujours niée (« blanked out », dirait Ayn Rand) de la police nationale, que j’en suis venu à prendre la position des libertariens américains sur le droit de porter les armes (voir ci-haut), après avoir vainement déployé pendant plus d’un an tous les ressorts de ma rationalité pour tenter de diminuer la valeur de leurs arguments, à défaut de pouvoir la nier.

(2) : Sur ce sujet, voir notre article La grande peur de la « défaillance du marché ».

(3) : Il s’agit dans leurs bouches folles d’un slogan désignant ce qui s’appelle plus proprement l’anomie : l’arbitraire et l’insécurité. Les libertariens les plus radicaux ne manqueront pas de remarquer que c’est l’arbitraire du pouvoir politique qui est la source d’anomie et d’insécurité, tandis que son absence (qui serait la chose plus proprement désignée par le mot « anarchie ») s’identifie avec la garantie du Droit.

(4) : On visitera avec effarement des sites comme Injustice Everywhere pour se rendre compte du niveau de corruption universel de la police. Et encore, ce ne sont là que les cas identifiés dans un pays où l’information circule relativement librement. Combien pire est la situation dans d’autres pays où l’opacité de leurs agissements protège tous les malfaisants porteurs d’un badge officiel?

(5) : Jamais les gens malhonnêtes et autres parasites ne pourront être une majorité, car il n’y aurait plus assez de proies pour tous les nourrir. D’expérience historique, les classes privilégiées (noblesse et clergé, nomenklatura communiste, fonctionnariat bureaucratique) ne peuvent jamais atteindre quelque chose comme 30 % de la population sans que le surplus de la classe nominalement privilégiée dusse être transférée du côté des exploités et travailler utilement, les privilèges érodés ne suffisant plus à leur assurer une vie oisive.

(6) : Les enclaves territoriales où règnent des criminels sont au contraire la réalité du monde des polices étatiques, où chaque État et chaque dictateur peuvent à loisir opprimer la population sur « son » territoire tel que reconnu par les autres États, qui se font complices de l’étouffement de toute résistance.

(7) : Lire à ce sujet de Henri Lepage La nouvelle économie industrielle.

(8) : Quand les policiers sont présentés comme défenseurs de l’ordre, il ne faut jamais manquer de se poser ces questions : de quel « ordre » les policiers sont-ils défenseurs ? si tant est qu’un ordre souhaitable est bien défini, les policiers sont-ils toujours dignes de confiance ? Défendent-ils les intérêts des citoyens, ou ceux du pouvoir politique ? Si, circonstanciellement, les agents de l’ordre se trouvent reconnus comme tel par la majorité du public, cela est-il une garantie pour la minorité actuelle ? ou pour la majorité future ? voire même pour la majorité actuelle elle-même, dans son ignorance rationnelle des enjeux politiques ? Cela rend-il plus justes les lois qu’ils défendent, ou contribuent-t-ils à faire appliquer des lois iniques ? Les États policiers et totalitaires commencent toujours par un désarmement de la population : une fois retiré ce frein au pouvoir, plus rien ne prévient son irrésistible croissance — au nom de la punition de coupables de crimes réels ou fictifs que le désarmement lui-même suscite, on enfermera les innocents dans une prison de plus en plus étroite. L’histoire de la police moderne est intéressante, en ce que cette institution n’est absolument pas apparue comme un moyen de lutte contre le crime, mais bien comme un moyen de contrôle de la population par le pouvoir en place. Voir par exemple cet article de Kristian Williams: The Demand for Order and the Birth of Modern Policing.

François-René Rideau est un informaticien français qui vit désormais aux États-Unis. Parmi les sites qu’il anime, Bastiat.org est consacré à l’Å“uvre de l’économiste libéral Frédéric Bastiat, Le Libéralisme, le vrai contient ses essais, et Cybernéthique est son blog apériodique.

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  • Dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le droit à la sûreté, est la protection des individus contre les arrestations et les emprisonnements arbitraires de l’État dans le but d’assurer leur liberté. Aujourd’hui, ce qu’on appelle le droit à la sécurité, c’est plutôt l’instauration d’un État arbitraire et policier, qui va précisément restreindre nos libertés ! C’est le monde à l’envers !

    Le discours sécuritaire permet, aux classes dominantes, de mener une politique d’agression inouïe contre les classes populaires, en se présentant sous un visage protecteur et universaliste. Parler de lutte contre l’insécurité, c’est construire une représentation rassurante du pouvoir en place et justifier toutes les régressions sociales et démocratiques par la nécessité de vaincre les ennemis de la liberté et de la sécurité.

  • Très belle démonstration.
    Cependant, je ne vois pas trop comment pourraient se regler les différents entre différentes polices facilement. J’ai l’impression que les polices privées, ce serait transformé tout le droit civil en quelque chose d’aussi compliqué, procédurier et injuste que le droit international.

  • A la base, la police est issue non pas de l’armée, mais du guet effectué par les différents corps de métiers (corporations). C’était donc une sorte de police privée. Elle n’était là que pour faire régner l’ordre par quartiers, sans centralisation et donc d’une efficacité limitée. De plus, les gardes du guets n’étaient pas des professionnels, mais chaque métiers envoyaient un des leurs a tour de rôle se coltiner la corvée.

    En matière de sécurité, c’est très difficile. Plus on met de contrôle de sécurité, moins on a de liberté mais moins on met de sécurité, plus il y’a insécurité qui créer elle aussi un manque de liberté. Le serpent se mord la queue. Dans une société imaginée type 1984 (G.Orwell), on peut dire que la population vit dans une absolue sécurité (en terme de délinquance), mais en même temps dans un manque tout aussi absolu de liberté.

    Il y’a un équilibre à trouver et cela est très difficile.
    Exemple : des terroristes sont susceptibles d’attaquer à la voiture piégée, donc on vote une loi permettant aux agent de police de fouiller votre coffre de voiture sans mandats. D’un côté on sécurise, certes, mais de l’autre on empiète sur votre liberté. Il faut faire un choix, douloureux parce que c’est un dilemme permanent.

    Voila l’équation de la sécurité. Il n’y a pas de bons choix, dans tout les cas ça fait mal… Albert Jacquard dirait « indécidabilité », comme quand on demande à un enfant si il préfère son père ou sa mère…

    Dire que mettre plus de policiers résorbera l’insécurité est absolument vrais ! Si le corps policiers est en grand nombre partout, forcement la délinquance reculera. MAIS, d’une part il faudrait beaucoup, beaucoup de policiers, et je doute que l’état en ai les moyens, ET d’autre part il y aurait beaucoup moins de liberté. Une sorte de dérive sécuritaire nous étranglerait.

    Faire la police nous même nous dit-on.
    Dire que les états policiers et totalitaires commencent par désarmer la population me semble abusif. C’est le principe de civilisation qui fait que la population se spécialise. Vous avez besoin de déléguer votre sécurité a quelqu’un pour produire et vivre sereinement. C’est comme cela depuis qu’une partie des chasseurs-cueilleurs du néolithique sont devenus agriculteurs…
    Si vous aviez à faire la police vous même, déjà il vous faudrait un certain courage physique (entrez-y dans le centre commerciale la nuit avec l’alarme qui hurle, l’arme au poing et éclairé à la Maglight… situation commune pour un policier lambda) et bon courage pour faire votre activité principale. D’autant plus qu’en face, ce sont des professionnels, eux.

    Alors une police privée nous dit-on.
    OK. Là je ne vois absolument pas quel intérêt par rapport à notre police actuelle !! A part diluer les responsabilités, augmenter la cacophonie,et briser une centralisation des informations. Même si tout n’est pas rose, le fait que la police soit géré par l’état donne tout de même un certain contrôle au peuple. Imaginons une « marque » de police privé je ne sais pas, américaine disons, qui viendrai faire la police en France… quel contrôle ? quelle garantie ? quelle justice ? quelles responsabilités ? Quelle recours pour un citoyen lambda face à une multinationale…

    Si vous étiez vraiment libertaires, ils vous faudrait accepter une certaine part d’insécurité, certainement plus élevée que celle que nous vivons actuellement. L’idée d’une privatisation de la police ressemble fort à un compromis douteux.

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