Vous reprendrez bien un doigt d’emprunts toxiques ?
Si la vie est un long fleuve tranquille, la crise que nous traversons est un large Niagara aux multiples remous : on connaît la destination finale, on sait que la chute sera rude, mais chaque jour apporte son lot de petites surprises. Aujourd’hui, nous allons parler Franc Suisse…
Dans un précédent article de ce blog, j’évoquais les petites turpitudes de minus habens de la droâte et de la gôche, pour noter que pendant que la presse, toujours aussi fine, précise et pointue, continuait de s’occuper d’eux, elle passait sous un silence gêné l’orage de caca économique et financier qui continuait de s’abattre sur le reste du monde.
En gros, et pour reprendre l’image d’un voyage mouvementé sur un fleuve turbulent dont le parcours est parsemé de cascades aux dénivelés très très photogéniques, le service de presse embarqué dans le frêle esquif prend consciencieusement des notes sur les habitudes alimentaires des petits singes qui font les cons sur les bords, sans remarquer les bancs de piranhas affamés qui parcourent l’onde claire et grignotent les poutres du bateau, ni l’épaisse brume et le bruit caractéristique d’une chute mémorable, de moins en moins loin devant.
Evidemment, dans l’excitation des pisse-copies qui dissèquent les comportements rigolos de la faune au sec, il y a bien quelques remarques sur cette vapeur qui s’accumule bizarrement sur les objectifs photos. Il y en a aussi pour noter que la barcasse prend l’eau (c’est humide et pas très pratique pour conserver ses chaussettes propres).
Cela donne quelques croustilles apéritives qu’on découvre au détour d’un article ou l’autre, planquées dans les méandres des barbantes pages centrales de la presse nationale, ou dans des brèves relatées chichement sur un web à l’affût des petites phrases de DSK ou de Chirac.
Alors, oui, certes, on n’atteint pas avec ces articulets le palpitant de l’interview Pulvar / Aubry, mais quand on remet dans le contexte, on commence à former une mosaïque dans des tons malheureusement sombres.
Prenez les emprunts toxiques. J’en avais parlé il y a six mois, alors que Claude Bartolone rouspétait contre les méchants emprunts que les banques lui avaient obligé à contracter dans des conditions indécentes, un revolver sur la tempe et sa famille en otage.
Pour rappel, le Bartolone, c’est ce malheureux handicapé qui n’a qu’un faible bras gauche pour diriger tout un département, son autre bras ayant été greffé à son oreille droite pour y tenir accroché un téléphone qui ne le quitte plus
A l’époque, on découvrait donc qu’un certain nombre de collectivités territoriales étaient virtuellement en faillite, leurs gestionnaires, toujours aussi malins, ayant trempé leurs doigts dans les pots d’outils financiers qu’ils étaient incapables de comprendre.
Oh, certes, on pourra toujours arguer du fait que ces emprunts permettent de faire tourner la boutique, de financer (pourquoi pas) de magnifiques monuments culturels (Frêche, si tu m’entends, respect, bro !) et bien sûr, les quelques indemnités des élus d’un pays qui nage dans le pognon.
Mais voilà .
Ces jolies dettes utiles et bien conçues s’empilent à hauteur de 143 milliards d’euros, dont 7 (ou un peu plus, un peu moins, on ne sait pas trop) sont libellés … en Franc Suisse (CHF). Et le problème du CHF, c’est qu’il attire les gens lorsqu’il y a du vent dans les voiles.
Ce qui veut dire qu’en quelques semaines, la devise helvétique a atteint des sommets, pour le malheur des élus dont la commune ou le département ont signé dans les années 2007-2008 des emprunts avec des taux assis sur des indices de change entre la monnaie suisse et le dollar, et surtout l’euro dont le cours dévisse. Actuellement, les taux d’intérêts, au départ modestes (quelques %), ont grimpé pour s’accouder mollement autour de 20 %, et comme les échéances de remboursement tombent au dernier trimestre, on peut s’attendre à des soucis de trésorerie … maintenant.
Un banquier nous susurre d’ailleurs ceci :
« Pour casser la structure de tous ces emprunts, il faut payer des indemnités que les collectivités se refusent à payer quand les taux sont à leur avantage. Tant que le danger n’est pas avéré, beaucoup se refusent à remettre en cause ces montages. Il y a deux ans, personne ne voulait sortir des produits indexés sur la parité euro-franc suisse »
Eh oui : la gestion en bon père de famille, les collectivités ne connaissent pas. D’ailleurs, on peut parier qu’au niveau régional ou national, c’est exactement pareil, avec simplement des montants plus joufflus.
En résumé, nos élus ont donc joué à des jeux qu’ils ne comprennent pas, avec l’argent des autres. Ils ont évidemment perdu. Et quoiqu’il arrive, ils ne rembourseront pas. Ce seront les contribuables qui le feront. Au niveau local, ou au niveau national.
À présent, en bons politiciens opérés de la honte et sans le moindre scrupule, ils se défaussent totalement de leur responsabilité de parasites et utilisent le terme d’ « emprunts toxiques » pour faire croire qu’on leur a filé de la came avariée.
Sauf qu’à bien y regarder, on se rend compte que tous ont été très contents de signer les bonnes affaires lorsqu’elles se présentaient en 2007. Et tous se sont bien gardés de faire intervenir le moindre expert financier pour jauger des contrats louches qu’on leur tendait. Et qu’aucun de ces couinards n’aura eu la présence d’esprit de se dire « Oh, un prêt à 0.5% d’intérêt les premières années, ça doit cacher un truc sur les années suivantes ! »
Si c’était toxique, pourquoi ont-ils croqué ? Et s’ils n’ont rien vu venir, s’ils sont si naïfs, benêts ou simples d’esprits, pourquoi les laisse-t-on diriger des collectivités aux budgets importants ?
Mais au fait, aucun de ces élus n’est sur la paille à titre personnel. Les montages complexes qu’on ne comprend pas, c’est bon pour les communes. C’est super pour les régions ou les villes qu’on gère. Mais à titre perso, merci, mais non merci. Finalement, ils ne sont pas si benêts… Amusant double standard, ne trouvez-vous pas ?
Rassurez-vous : deux nouvelles permettront à tout le monde de bien dormir.
D’une part, la situation, d’après Fitch, ne peut que s’améliorer : l’argent va couler à flot.
D’autre part, les emprunts en CHF vont être bien contrôlés grâce à la Banque Nationale Suisse qui a déterminé, pouf, comme ça, que ça suffit cette histoire de Franc qui grimpe et s’apprécie face à l’Euro zut à la fin. Elle a donc décidé de faire tourner, légèrement, la planche à billet (pardon, la planchabiyé comme me faisait remarquer un intervenant dernièrement). Oh. Zut.
(Evidemment, l’or grimpe. Chut.)
Les collectivités locales n’ont donc plus de souci à se faire. Et tout le monde n’a plus qu’à prier que le marché soit irrationnel moins longtemps que la BNS.
Ok, ça ne s’est jamais produit sans dommages collatéraux. Mais bon, ça tombe bien, le collatéral, on baigne dedans !
—-
Sur le web
GE-NIAL!
Même si ça ne résout rien, il est plaisant de constater que quelquees personnes (elles sont rares) comprennent la nullité des agissements et des décisions de nombre de nos politiques (toutes tendances confondues).
Bravo, contTS_94
Petite correction (deuxième paragraphe après les photos) :
« quelques indemnités des élus d’un pays qui nage dans le pognon. »
on devrait plutôt écrire :
« quelques indemnités des élus d’un pays qui NAGENT dans le pognon. »
Plus sérieusement, les déclarations de la Banque Nationale Suisse hier matin on fat grimper la parité EUR/CHF de 1,1254 à 1,2180 en 15 minutes (traders cardiaques s’abstenir) mais pour l’instant rien prouve que la valorisation du franc suisse ne va pas se poursuivre : ce n’est pas la première fois que la BNS intervient sur le Forex et quelques jours plus tard la parité suit le cours dictée par la logique économique : effondrement de l’euro (monnaie de singe ?) et valorisation du franc suisse. Ceci n’est pas étonnant vu les irresponsables (ou cou***es molles) qui nous gouvernent.
Oui, effectivement, ce sont plutôt les élus que le pays qui nagent. Mais bon, dans mon idée, la phrase parlait bien du pays 🙂
Pour ce qui est de la manoeuvre de la BNS, tout dépend de combien de temps elle est capable d’imprimer des CHF sans que les Suisses grognent. En théorie, le petit jeu peut continuer jusqu’au Zimbabwe. En pratique, c’est rigolo et sympa jusqu’à ce qu’on commence à perdre vraiment des morceaux de gens à droite ou à gauche.