Les dettes contractées par les États, et qui servent principalement à enrichir les gouvernants et leurs amis, ne peuvent aucunement engager les citoyens opprimés par ces États. Contrepoints reproduit ce texte écrit en 2003 qui, dans le contexte de crise des dettes souveraines, retrouve une certaine actualité.
Par François-René Rideau
Les collectivistes aiment à brandir comme étendard un soi-disant « problème de la dette » qui démontrerait comment « les pays pauvres » sont victimes de « l’exploitation » des « pays riches » et surtout de leurs « méchants capitalistes ». Ils appellent les « pays riches » à « annuler la dette » des « pays pauvres » — c’est-à-dire qu’ils veulent forcer les contribuables des pays encore relativement libres à financer les dépenses des dictateurs des pays les plus totalitaires.
Pour un libéral, il n’y a pas a priori d’entité morale « pays » capable de prêter ou d’emprunter. Seuls des individus peuvent accorder crédit ou s’endetter. Certes, des individus peuvent s’organiser, les uns en une banque, les autres en une entreprise, et se répartir volontairement les décisions, les charges, les risques et les bénéfices, lors d’opérations de crédit, ou toutes autres sortes d’opérations. Mais la légitimité de telles organisations tient précisément au caractère volontaire du contrat qui les noue; ce volontariat assure que la liberté-responsabilité des participants est conservée et répartie entre eux, et non pas dissociée pour être tantôt confisquée par les uns et tantôt rejetée sur les autres.
Or, dans un État, il n’y a rien de volontaire — et ce d’autant moins lorsque les États desdits « pays pauvres » n’ont même pas le prétexte d’être démocratiques. Même quand ces États sont démocratiques, un libéral avancera que les citoyens n’avaient pas le choix de ne pas en faire partie: seule la reconnaissance du droit pour chacun de faire sécession individuellement et unilatéralement peut redonner une quelconque légitimité aux entités appelées « États ». On peut en conclure que les dettes contractées « par les États », et qui servent principalement à enrichir les gouvernants et leurs amis, ne peuvent aucunement engager les citoyens opprimés par ces États, — pas plus que la dette d’un esclavagiste ne peut retomber sur ses anciens esclaves une fois affranchis.
Dès lors, la solution est simple: les dettes n’engagent que les décisionnaires qui les contractent, ainsi que leurs complices directs. Présidents, ministres, hommes politiques, hauts fonctionnaires, chefs militaires, activistes des principaux lobbies et syndicats, et autres hommes de l’État, tous ceux qui possèdent un quelconque pouvoir politique, direct ou indirect, officiel ou officieux, formel ou informel — chacun d’entre eux est responsable à hauteur de son rôle dans la décision d’emprunter. Face à un éventuel refus de payer de la part des citoyens ou d’un gouvernement suivant, les prêteurs (banques, autres États) peuvent légitimement se retourner contre ceux qui se sont personnellement engagés à la légère (les hommes de l’État précédemment cités), mais pas contre ces tiers innocents que sont les citoyens opprimés, victimes des emprunteurs.
Par suite, les prêteurs pourront recouvrer auprès des hommes d’État corrompus toutes les sommes détournées, moins bien sûr celles que ces spoliateurs auront dilapidées. Quant au reste non recouvrable, ces prêteurs en resteront pour leurs frais; cela leur apprendra à prêter à des irresponsables! Ainsi, une fois que le risque financier des prêts gouvernementaux retombera sur les contractants plutôt que sur les tiers innocents (les contribuables des États prêteurs et emprunteurs), on verra se tarir les sources de financement pour de telles opérations.
Plus personne ne voudra prêter aux États, et, par manque de moyens, les systèmes d’exploitation politique cesseront les uns après les autres, de par le monde. Il y aura certes des faillites — celles de tous ceux vivant directement ou indirectement de l’exploitation politique de l’homme par l’homme; mais ces faillites, loin de correspondre à un appauvrissement global, correspondront au rétablissement de la justice, à la réappropriation par les citoyens spoliés de la liberté qui est la leur, à la restitution de biens qui sont à eux et que d’aucuns exploiteurs avaient usurpés.
La conclusion libérale est qu’il n’y a pas de « problème de la dette » — il y a un problème de l’illégitimité des États. La solution n’est donc pas une pseudo annulation, mais un rétablissement des droits légitimes des individus concernés.[1]
Il est clair qu’aucun dirigeant d’aucun État, ni aucun homme politique aspirant à le devenir, n’est prêt à reconnaître une telle conclusion, ni même à en discuter l’argument. La vision libérale est bien trop subversive! Les partisans de l’ordre étatiste mondial sont au contraire bien aises de discuter les arguments marxistes en termes d’exploitation de pays par des capitalistes, délires qui servent à justifier toujours davantage d’institutions technocratiques internationales « régulatrices » financées à gros coups d’impôts. Accuser les institutions archi-étatistes d’être « libérales » pour justifier davantage d’institutions étatistes, voilà l’imposture étatiste à l’œuvre!
C’est pourquoi sur ce sujet comme sur tant d’autres, nous faire entendre, arriver à faire reconnaître notre perspective comme celle qui mérite d’être discutée, ce serait déjà gagner la bataille.
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Article original titré « Le problème de la dette, une solution libérale », reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Une version de cet article a été publiée dans le numéro 120 du Québécois Libre, et une version antérieure sur la Page Libérale (2003-02-16). Cet article a été traduit en anglais: The Problem of « National Debt » — a libertarian solution.
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Notes
[1] : Le terme « annulation » d’une dette lui-même est trompeur. Comme s’il y avait un mal qui pouvait être résolu d’un coup de baguette magique. Cf. mon autre article magie blanche contre magie noire.
En fait, la soi-disant « annulation » n’est qu’un déplacement: à partir du moment où des richesses ont été dissipées pour satisfaire les lubies des dictateurs, il faudra bien que quelqu’un paie — qui que ce soit. En réalité, ce que les étatistes exigent sous couvert d’« annulation », est que les contribuables des pays libres paient pour les dépensent somptuaires des dictateurs, bureaucrates, technocrates et démagogues de tous les pays. Une telle mesure, loin d’annuler le mal, ne fait que le déplacer — et dans le sens de davantage de mal, dans le sens d’un pouvoir accru des dictateurs, non seulement sur leur propre population, mais sur les citoyens du monde entier. Cette pseudo « annulation » prônée par les socialistes de tout poil n’est que l’approbation des malversations étatistes, et l’encouragement à davantage de telles malversations. C’est la porte ouverte à davantage de dons au bénéfice des dictateurs, sous couvert de pseudo-« prêts » qui auront vocation à être annulés plus tard et payés par les contribuables des pays relativement libres.
Ce que les libéraux exigent est aussi un déplacement — et contrairement aux ignoramus économiques qui se cachent derrière les revendications étatistes, je n’ai pas l’outrecuidance imbécile ou hypocrite de prétendre qu’il s’agisse d’une « annulation ». La différence essentielle entre le déplacement étatiste et le déplacement libéral, est que le déplacement étatiste se fait dans le sens de davantage de spoliation, d’injustice et d’irresponsabilité, tandis que le déplacement libéral se fait dans le sens de davantage de respect des droits, de justice, et de responsabilité.
« seule la reconnaissance du droit pour chacun de faire sécession individuellement et unilatéralement peut redonner une quelconque légitimité aux entités appelées « États » »
C’est tout à fait la contrepartie à l’héritage en terme de transmission de la citoyenneté. On doit pouvoir faire sécession, ce qui revient à avoir un droit à un bout du territoire souverain dans lequel on naît . Et la sécession n’existe qu’en regard de la notion de souveraineté territoriale, donc la capacité à être parfaitement autonome sur son propre sol.
C’est une proposition équivalente à la clause lockéenne,
Et dans ce cas et seulement donc dans ce cas, il y a une cohérence du droit vis à vis des générations succesives, qui n’ont pas à être forcés de se soumettre à telle ou telle situation souveraine sans possibilité de dire « non ».
Ne pas comprendre ce point revient à légitimer l’esclavage.
Le droit à la propriété n’est pas un droit.
Peut-être. Pour comprendre ce point il faut expliquer comment se passerait la sécession individuelle et unilatérale.
Une collectivité ne peut se construire que sur le socle constitué par des individus libres, dans le cas contraire il ne s’agit pas d’une collectivité mais d’une prison.
Effectivement, c’est le droit DE propriété qui est un droit, et le seul droit possible d’ailleurs.
@ ROBERT GIL:
« Les communistes sont ceux qui ont lu Marx. Les anticommunistes sont ceux qui l’ont compris. »
R.Reagan
C’est vrai que Marx est bien placé pour nous parler de dettes, vu qu’il n’a jamais été foutu de gagner correctement sa vie et a vécu constamment aux crochets des autres.
Pour savoir comment s’endetter, il pourra filer de bons tuyaux.
On est sur Contrepoints ici, pas à l’Amicale des boulistes de la place des Vosges !