Tant qu’il y aura des rêveurs…

Le patron de Paypal a trouvé un lieu pour son utopie libertarienne

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Tant qu’il y aura des rêveurs…

Publié le 20 septembre 2011
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Le patron de Paypal a trouvé un lieu pour son Utopie libertarienne. Ce qui est intéressant dans son projet, c’est son existence même : voilà un libertarien américain qui considère que son pays pourtant réputé « ultralibéral » ne lui propose plus le genre de société dans laquelle il veut vivre.

Par George Kaplan

Peter Thiel

Dans son « Peter Thiel, un Ravachol ultralibéral », Jérôme Leroy évoque le projet un peu fou du patron de Paypal qui souhaite créer une petite société sans État sur une île artificielle au large de San Francisco et en profite pour nous parler de ce fameux mouvement « libertarien » américain. Quand Jérôme me lance une balle ; je la saisis au bond.

Un petit retour en arrière s’impose. Le libéralisme, le vrai, est une idée qui est née en Europe au siècle des Lumières. Il plongeait ses racines bien plus profondément dans l’histoire de la pensée – Aristote, Lao Tseu, les scolastiques de l’école de Salamanque… – mais c’est certainement au cours de ce XVIIIème siècle qu’il est devenu, comme en réaction contre l’absolutisme royal, un système de pensée cohérent et formalisé. Parmi nos pères : Turgot, Smith, Say, Locke, Hume, Condillac ou Montesquieu pour ne citer que quelques noms. Le libéralisme, le vrai, devient alors un ensemble philosophique qui fonde sa conception de la société des hommes sur une seule et même notion ; la liberté. Il n’y a pas, pour un libéral, de différence entre ce que nous appelons aujourd’hui « liberté politique », « liberté économique » ou « liberté sociale » ; il y a la liberté ou il n’y a pas de liberté. Entre les droits naturels de John Locke et la main invisible d’Adam Smith, il n’y a pas de frontière, pas de contradiction ; tout ceci forme la base, les fondations de ce que nous, libéraux, appelons le libéralisme.

Mais les idées libérales ne sont et n’ont jamais été monolithiques ; aux idées libérales dites « classiques » viennent s’ajouter la sensibilité personnelle des auteurs ; libéraux de gauche, libéraux conservateurs, minarchistes [1] ou anarcho-capitalistes forment autant de courants de cette grande famille libérale et, comme dans toutes les familles, ont une fâcheuse tendance à oublier tout ce qui les rassemblent pour se focaliser sur leurs quelques différences. « Trois communistes, quatre avis » ; c’est au moins aussi vrai pour les libéraux.

Ainsi, quand Jérôme décrit les idées « libertariennes » de Monsieur Thiel, il fait en réalité référence au courant anarcho-capitaliste – voir, entre autres, des auteurs comme Gustave de Molinari ou Murray Rothbard – c’est-à-dire à ceux d’entre nous qui se passeraient volontiers d’un État. « Libertarien » est un terme anglo-saxon et même américain qui n’existe pas dans la langue de Molière ; la meilleure traduction qui puisse se trouver est tout simplement « libéral ». Sa raison d’être est toute simple : aux États-Unis, « liberal » signifie – en gros – « social-démocrate de gauche » ; quand les libéraux américains, menés par Ron Paul, ont voulu marquer leurs distances avec les conservateurs républicains et les progressistes démocrates, ils n’ont eut d’autre choix que de fonder un « Libertarian Party ». De fait, les libertariens étasuniens regroupent les mêmes tendances que les libéraux français – du libéralisme classique à l’anarcho-capitalisme – ; la seule véritable différence, c’est qu’ils sont beaucoup plus nombreux.

Contrairement à ce que Jérôme fait semblant de croire [2], votre serviteur n’est pas anarcho-capitaliste. Si je pense que l’État est un mal, un appareil social fondé sur la violence et dont la seule raison d’être est de restreindre nos libertés, je pense néanmoins que c’est un mal nécessaire et même (malheureusement) indispensable. J’aimerais sincèrement être « anarcap », mais non, vraiment, je n’y crois pas [3]. C’est cette conviction que l’État, le gouvernement et les politiciens ont un rôle à jouer dans nos sociétés mais un rôle limité et sévèrement contrôlé qui fait de moi un libéral classique à la mode française dans la ligne des Turgot, Tocqueville et autres Bastiat. Jérôme a raison, l’anarcho-capitalisme a ceci de commun avec le communisme que les deux sont des utopies intellectuellement séduisantes qui n’ont jamais existé et n’existeront probablement jamais [4]. Mais, en ce qui concerne monsieur Thiel, il y a tout de même une différence : il n’oblige personne a venir vivre sur son île.

Ce qui est intéressant dans le projet de Monsieur Thiel c’est son existence même : voilà un libertarien américain qui, manifestement, considère que son pays pourtant réputé « ultralibéral » ne lui propose plus le genre de société dans laquelle il veut vivre. Voilà la vérité que je partage avec Monsieur Thiel et quelques autres : nous ne vivons pas dans une société socialiste mais nous ne vivons pas non plus – et depuis longtemps – dans une société libérale. Le monde des hommes n’est ni noir ni blanc, il est en nuances de gris. Je mesure bien que cette affirmation en choquera plus d’un mais pourtant, si vous acceptez d’y regarder de plus près, vous observerez quelques faits troublants. Par exemple, aucun – je dis bien aucun – homme politique français d’envergure nationale ne se réclame du libéralisme ; de Marine le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant par les barons de l’UMP et les caciques du PS, tous – à divers degrés – prônent une intervention accrue de l’État dans nos vies [5]. Considérez Ron Paul : avez-vous entendu parler de ses scores lors des primaires républicaines ? Eh bien les américains non plus : c’est le « black-out » total. Lisez la presse, faîtes un tour dans les librairies, écoutez la radio et vous constaterez comme moi que les seuls avis qui y sont relayés sont des profondément et explicitement antilibéraux ; tenez, au hasard : combien d’auteurs libéraux avez-vous vu intervenir sur Causeur [6] ? Et dites-moi sincèrement : à l’école de la République, que vous a-t-on appris ? Suis-je le seul lycéen à qui son professeur d’économie a conseillé de lire « Alternatives Économiques » ?

À ceux qui pourraient être tentés par l’aventure, je ne vais pas vous mentir : quand on est libéral en France aujourd’hui, on se sent un peu comme les assiégés de la citadelle du Gouffre de Helm. Ça a des avantages – nous sommes si peu nombreux qu’on finit par tous se connaître – mais surtout des inconvénients : notamment celui de s’entendre répéter à longueur de journée que Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss-Kahn sont des « ultralibéraux ». C’est proprement insupportable mais que voulez vous ? A vaincre sans péril, comme disait l’autre, on triomphe sans gloire. Aux autres, à celles et ceux qui tirent dans le sens du vent par conviction ou par simple confort intellectuel, j’ai juste envie de donner et un conseil – et c’est un vrai conseil de la part de quelqu’un qui, comme le dit si bien Jérôme, vous veut du bien : lisez. Ne serait-ce que par simple curiosité ou pour mieux me contredire, lisez et découvrez ce formidable héritage intellectuel [7] ; vous ne pouvez qu’en sortir grandis.

—-
Notes :
[1] Libéraux qui prônent un État exclusivement recentré sur ses fonctions régaliennes : la justice, la police, l’armée et la diplomatie.
[2] Jérôme est communiste – certes – mais il est aussi taquin.
[3] Pardon les copains mais là je suis Mises.
[4] Cela dit, j’encourage vivement ceux d’entre nous qui ont un peu de curiosité à lire du Murray Rothbard (« l’Ethique de la Liberté » par exemple) ; vous serez surpris.
[5] De fait, il n’y a aujourd’hui en France qu’un seul parti ouvertement libéral – le Parti Libéral Démocrate (PLD).
[6] Un grand merci à la patronne !
[7] Je vous suggère le site de l’Institut Coppet qui s’est donné pour mission de faire revivre et de traduire ces textes.

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  • Même si j’ai aimé votre article dans l’ensemble, deux critiques cependant :
    _ »J’aimerais sincèrement être « anarcap », mais non, vraiment, je n’y crois pas »
    Je ne connais aucun « anarcap » qui y croit, je ne les connais que convaincu car conséquent et contrairement à toutes critiques de libéraux classiques ou autre, être anarcap est et ne peut être que indépendant des situations politique d’un pays. Il ne s’agit pas de nier la réalité mais d’être au plus cohérent avec l’éthique libéral, de la même manière qu’une personne qui est pour l’abolition de la peine de mort dans un pays qui la pratique depuis la nuit des temps, il défend un concept non pas par opportunité, probabilité ou statu quo, mais par sa compréhension de l’action humaine.

    Etre contre le meurtre est une position lambda, l’absence de meurtres n’a pourtant jamais été observé, à se titre tenir une telle position relève du rêve. Par votre logique cette position ne devrait pas être prise puisque selon toute probabilité il y aura encore des meurtres demain. Cela n’a jamais fait pour autant du meurtre une action qui devrais être un mal nécessaire. Les anarcap on donc laissé aux statu quo-iste et/ou collectivistes la notion du mal nécessaire (ici d’un Etat) pour se concentrer sur les actions individuels au quotidien.

    _ »C’est cette « conviction » que l’État, le gouvernement et les politiciens ont un rôle à jouer dans nos sociétés »
     » Aux autres, à celles et ceux qui tirent dans le sens du vent par « conviction » ou par simple confort intellectuel »
    … no comment… ou plutôt alors oui lisez (enfin continuer) …

  • Comme le souligne gdurbal, être « anarcap », ce n’est pas un acte de foi; c’est le résultat d’une réflexion poussée, c’est l’aboutissement de la philosophie libérale.

    Sinon, l’article est excellent et bien écrit. Certainement votre meilleur billet.

    Une dernière chose: je n’arrive pas, malgré tous mes efforts, à trouver un côté « séduisant » à l’utopie communiste.

  • Rocou, gdurbal,
    Je ne me place pas dans le champ des croyances même si je reconnais que ma phrase peut prêter à confusion. Mes arguments sont ceux de Mises (voir notamment Omnipotent Government) : je pense, pour des raisons très rationnelles, que Mises a raison et même si je suis un fan de Rothbard par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec lui. J’aurais bien aimé… mais non.

  • Paypal, ce n’est pas la société qui a bloqué le financement de WikiLeaks sur ordre du gouvernement des Etats-Unis ?
    Le patron de Paypal est un amoureux de liberté à n’en pas douter… comme tous ceux qui l’encensent.

  • Quelles auraient été les conséquences d’un refus de sa part sur cette société, voire sur sa personne? N’est pas John Galt qui veut! Et puis même Dagny Taggart devait composer avec son connard de frangin : est-il seul à prendre les décisions dans une société de cette importance? Pas de jugement hâtif, merci…

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