Annulation de la fusion CanalSat-TPS par l’autorité de la concurrence

En annulant la fusion entre CanalSat et TPS, l’autorité de la concurrence a exercé son monopole et a démontré qu’elle ignorait ce qu’est vraiment la concurrence

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Annulation de la fusion CanalSat-TPS par l’autorité de la concurrence

Publié le 12 octobre 2011
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En prenant la décision radicale, le 21 septembre dernier, d’annuler la fusion entre le bouquet de télévision par satellite CanalSat et son concurrent TPS, une fusion pourtant effective depuis près de 5 ans, l’«autorité de la concurrence» a exercé son monopole et a démontré qu’elle ignorait ce qu’est réellement la concurrence.

Par Jean-Yves Naudet
Article publié en collaboration avec l’aleps(*)

Paradoxe : la France s’est donnée une « autorité de la concurrence », administration spécialisée dans la surveillance des marchés, mais cette agence ignore ce qu’est la concurrence. Elle l’ignore doublement : d’une part ses décisions s’imposent aux entreprises françaises, soumises ainsi à un véritable pouvoir de monopole public, d’autre part cette « autorité » se fait une idée totalement erronée de ce qu’est réellement la concurrence. Cette double ignorance s’étale au grand jour après la décision qu’a prise l’Autorité de la concurrence d’annuler la fusion CanalSat-TPS.

Annulation d’une fusion déjà réalisée depuis 5 ans !

La décision – radicale – de l’Autorité de la concurrence date du 21 septembre 2011. Il faut savoir que cette fusion, unissant le bouquet de télévision par satellite CanalSat avec son concurrent TPS, avait été annoncée en 2005, qu’elle avait été autorisée en 2006, et qu’elle était devenue effective en janvier 2007. Donc, près de 5 ans plus tard, l’Autorité de la concurrence annule la fusion, déjà totalement réalisée, au prétexte que Canal+ n’aurait pas respecté 10 des 59 engagements pris dans le cadre de la fusion. Pour faire bonne mesure, l’Autorité ajoute 30 millions d’amende. Ce n’est pas la première fois qu’on empêche une fusion, mais c’est la première fois qu’on annule une fusion déjà effective depuis des années.

Il est certain que la fusion, au moins pour un temps, a fait de Canal+ le leader incontesté de la télévision payante en France. Mais était-ce en soi un délit ? De toutes façons, on ne voit pas comment une fusion déjà consommée pourrait disparaître ; autant remettre du dentifrice dans le tube. Donc, puisque tout retour en arrière est matériellement impossible, il ne reste à Canal + qu’à demander un nouvel examen à l’Autorité. Un nouveau refus ne changerait rien, tandis qu’une autorisation serait sûrement assortie de nouvelles conditions plus strictes, mais lesquelles ? Ce ne serait plus la fusion que l’on jugerait, mais Canal + en soi.

Des engagements « non tenus »

Mais revenons à ce qui aurait échappé à la vigilance du « gendarme de la concurrence »,.

Lorsque la fusion avait été autorisée, elle avait été assortie de 59 conditions (simple détail!) Pour l’Autorité de la concurrence, l’annulation s’expliquerait par le fait que Canal+ n’aurait pas respecté 10 de ces 59 engagements. Par exemple, l’engagement 22 portait sur le maintien de la qualité de TPS Star. L’Autorité de la concurrence affirme que « la qualité de TPS Star a connu après 2007 une dégradation rapide, significative et durable, tant en termes de programmation que d’innovation ». C’est possible, mais est-on sûr que ce soit à l’Autorité de la concurrence d’en juger à la place des clients ? L’Autorité est-elle mieux placée que les téléspectateurs pour juger d’une baisse de la qualité ? Des téléspectateurs mécontents, cela aurait dû se traduire par une baisse des abonnements ; ce n’a pas été le cas.

Autre engagement non tenu, le 21 : « Le calendrier de mise à disposition des chaînes a conduit Canal+ à favoriser la migration des abonnés au bouquet TPS vers « le Nouveau CanalSat » en leur proposant une offre contenant de nouvelles chaînes dans les différentes thématiques et des contenus exclusifs sans changement de tarifs, alors que les FAI (Fournisseurs d’accès par Internet) par ADSL n’étaient pas encore en mesure de proposer une offre de détail incluant tout ou partie des chaînes visées par l’engagement 21, correspondant pour la plupart à des chaînes indispensables à la composition d’un bouquet attractif ». Si on comprend bien, et c’est difficile, on reproche à Canal+ d’avoir amélioré le service rendu à ses clients, sans augmenter le prix, sans attendre que ses concurrents puissent en faire autant… Entre temps, les géants de l’Internet ont fait irruption dans le monde de la TV : l’Autorité en est-elle avertie ?

Ces exemples amènent à se poser une question essentielle, celle de la liberté d’entreprendre. Est-il pensable, dans une économie de libre marché, de soumettre une fusion à autorisation préalable et de l’assortir d’une série d’engagements arbitraires ? Que reste-t-il de la libre entreprise ? Veut-on remettre en honneur une télévision d’État ?

Une autorité administrative injustifiée

Au-delà du cas d’espèce, on peut s’interroger sur l’existence même de cette Autorité. En France on aime bien les Autorités, et encore plus les Hautes Autorités ! Certes, elle ne dépend pas directement du gouvernement, ce qui constitue un progrès par rapport aux institutions qui l’ont précédée : Conseil de la concurrence, et, en remontant plus loin, Commission technique des ententes et des positions dominantes. Mais pourquoi un organisme administratif spécifique ? Les tribunaux ne suffisent-ils pas pour dire si une entreprise a enfreint ou non la loi ? De plus pourquoi le contrôle de l’Autorité se fait-il a priori, alors qu’un tribunal ordinaire sanctionne a posteriori, quand l’atteinte à la loi est constatée ?

L’explication est sans doute qu’il flotte une vieille odeur de souffre autour de tout ce qui est puissant, parce qu’une entreprise puissante peut tenir tête à l’État : il faut donc la mettre sous contrôle. Faisons encore un pas dans cette voie : le monopole de l’État veille à ne pas laisser se constituer des monopoles privés. La différence est pourtant grande entre les deux, et cela nous conduit à dénoncer l’erreur fondamentale sur la nature de la concurrence. 

Concurrence statique et concurrence dynamique

Comme beaucoup de juristes, et hélas d’économistes (néo-classiques) les hommes de l’État en sont restés à une conception statique de la concurrence. Un marché serait dit concurrentiel quand il possèderait des caractéristiques précises : polycité et atomicité (de très nombreux concurrents et de faible taille), homogénéité (les produits ne sont pas diversifiés d’un concurrent à l’autre), transparence (tous les concurrents et clients disposent de la même information), et fluidité (pas d’obstacle à l’entrée sur le marché).

Dans ces conditions, toute réduction du nombre d’entreprise, toute fusion, est a priori suspecte. Voilà pourquoi il faudrait demander une autorisation avant toute fusion, et éviter le plus possible les concentrations.

Aujourd’hui l’analyse économique a pour l’essentiel abandonné cette vue statique de la concurrence, en tenant compte d’une réalité : le marché évolue sans cesse, les innovations renouvellent le tissu entrepreneurial, et les parts de marché se redistribuent. Loin d’être statique, la concurrence est un « processus de découverte » comme dit Israël Kirzner, le grand théoricien de la concurrence. Celui qui détient un monopole, ou une position dominante aujourd’hui, le doit à l’avance qu’il a su prendre par rapport aux autres. L’innovateur a toujours un monopole. Mais si le marché est ouvert il sera bien vite contesté et rattrapé par la meute des imitateurs, et il lui faudra trouver autre chose…

C’est cette course permanente qui donne son dynamisme à l’économie de marché. Donc, la seule chose que des juges (et non des agences publiques) auraient à faire serait de veiller à la totale ouverture des marchés. Or, on peut constater que c’est l’État qui ferme les marchés et tue la concurrence, d’une part en possédant des entreprises publiques bénéficiant de privilèges et du soutien des contribuables, d’autre part en accordant des protections corporatistes à telle ou telle profession.

Ce n’est donc pas le nombre d’entreprises qui est le critère d’un marché concurrentiel, mais l’ouverture à la concurrence. C’est pour cela que ce que devrait surveiller une « politique de concurrence », c’est l’ouverture des frontières, l’ouverture des professions, la fin des monopoles des services publics. Et pas les concentrations : il y a souvent plus de vraie concurrence dans un secteur très concentré que lorsqu’il y a une multitude d’entreprises.

Et pas le contrôle des prix ni des marges : car c’est le libre choix du consommateur qui finalement remettra de l’ordre dans le marché. Quant aux manœuvres frauduleuses ayant pour but de priver les clients de leur liberté de choix, elles sont surtout le fait des pouvoirs publics, et elles devraient faire l’objet de poursuites devant les tribunaux.

Le marché n’est pas un espace fermé où s’échangent des produits standardisés. La nouvelle théorie du consommateur (G. Becker) montre que le client n’achète pas un produit, mais un panier de services rendus. La SNCF n’est pas seulement en concurrence avec les chemins de fer européens, mais aussi avec les avions, les bus, les autos, etc. qui rendent le service du transport. La concurrence se renforce donc avec l’ouverture et avec l’innovation : c’est une découverte.

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Sur le web

(*) L’aleps, présidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.

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