Le surendettement souverain est la conséquence de la théorie de l’État comme instrument au service de la volonté générale.
Par Bruno Lévy
Le surendettement d’un État est une véritable folie politique qui affecte durablement la prospérité de la nation. Les dirigeants de nos États sont-ils effectivement capables, comme ils le prétendent, de servir ce qu’ils appellent l’intérêt général ?
La théorie c’est que seul l’État aurait la force et la vision à long terme nécessaire pour s’élever au dessus des “intérêts particuliers”, compétence qui lui donnerait la capacité d’intervenir sur la société pour faire respecter « l’intérêt général ».
La réalité c’est que ceux qui sont désignés pour représenter les citoyens dans l’exercice de la volonté générale, se sont avérés incapables de discerner l’intérêt de la nation à voir l’État ne pas tomber dans le surendettement.
Face à cette carence, certains vont être tenté de répéter les erreurs d’avant guerre et d’imputer cet excès d’endettement à la « mollesse » des démocraties et du coup prôner le retour à un État fort. Mais la dérive des dépenses publiques n’a pas seulement lieu dans les États démocratiques. Par exemple, l’historien Gotz Aly, dans son ouvrage « Comment Hitler a acheté les Allemands », a démontré que le régime Nazi n’a pas échappé à la règle du surendettement pour financer des dépenses sociales destinées à « maintenir le confort matériel de l’Allemand moyen ». Préserver le niveau de vie de la population était indispensable pour éviter à ce régime de perdre le soutien populaire (ou, à tout le moins, le consentement de catégories importantes de la population).
Le fait que le surendettement des États se soit produit sous des régimes de gauche comme de droite, par le fait de dirigeants exerçants depuis plus de trente ans leur fonction dans de nombreux pays Européens mais aussi de l’autre côté de l’Atlantique amène à chercher une explication générale.
Le surendettement de nos États est en fait la conséquence de leur caractère illibéral [1] : toute intervention publique est légitimée par le seul fait qu’elle est jugée conforme à « l’intérêt général ». En particulier, dans un État illibéral il n’y a pas de limites posées aux domaines de d’intervention de l’État. Bref : tout est (en apparence) possible à la volonté générale.
Cette absence de limites, permet aux dirigeants de l’État d’utiliser le pouvoir d’intervention publique pour séduire, amadouer ou en tout cas éviter de froisser l’opinion à l’aide d’une dépense publique qui est de plus en plus élevée et donc, de façon croissante, financée par l’endettement. L’endettement public n’est en effet pour les dirigeants d’un État illibéral qu’un moindre mal, bien trop souvent accepté sans scrupules, par rapport à la perte du soutien populaire.
Depuis 30 ans en France, l’endettement public a ainsi permis aux dirigeants Français de financer des politiques « séduisantes» pour une majorité de citoyens (l’abaissement de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans, les 35 heures, l’exclusion de l’impôt sur le revenu des bas salaires, etc.), pour maintenir le statut quo (en laissant filer les dépenses de la sécurité sociale, ou en « ne touchant pas » aux retraites), pour défendre les intérêts particuliers de catégories de population particulièrement influentes (comme les fonctionnaires) ou pour tenter d’amortir certaines situations socialement difficiles comme le chômage des jeunes à l’aide de «traitement sociaux» fort dispendieux et inefficaces (comme le prouve toute la ribambelle de « plan d’emploi pour les jeunes »). Liste non exhaustive.
S’est ainsi mis en place dans notre pays un véritable machiavélisme social. Qui ne se souvient de la référence continue au « modèle social » français que la gauche, quand elle était au pouvoir (notamment quand Jospin était premier ministre), ne pouvait s’empêcher de décrire comme suscitant l’envie de toutes les autres nations ? Notre « modèle social » était en fait financé par nos enfants avant même qu’ils ne soient nés… Où s’arrêtera le cynisme ?
Mais le caractère illibéral de nos États est générateur de surendettement pour une seconde raison. Car l’intérêt des dirigeants de l’État est de rendre indispensables les prestations de l‘État. Il est donc préférable, de leur point de vue, qu’il n’y ait pas d’offres alternatives aux « solutions » collectives qu’ils nous imposent au nom de la volonté générale.
Quand la dépense publique représente 55% du PIB, l’influence de l’État dans la vie de chacun est considérable : qui d’entre nous n’a pas dans sa famille un retraité ? Qui n’a pas eu un proche qui a bénéficié des prestations de soin d’un hôpital public ? Qui ne connaît pas autour de lui un chômeur longue-durée ? Quelle famille n’a jamais connu l’école publique?
Prenons donc bien conscience que l‘immense majorité d’entre nous, personnes individuellement responsables et autonomes, dépendons ainsi de services de l’État qui ont une influence profonde sur le déroulement de nos vies.
Dans un contexte démocratique où ni la droite ni la gauche ne souhaite permettre aux citoyens d’accéder à des alternatives aux services publics, les fonctionnaires en charge de la fourniture de ces prestations se voient donc conférer un pouvoir considérable.
Ils peuvent, en effet, s’opposer durablement à la réforme de la provision de ces services, et notamment la baisse des effectifs et des coûts, par des grèves qui causeront d’autant plus de mécontentements que notre dépendance vis à vis de ces services est quasi totale. La volonté générale est ainsi prise en otage.
Le fait que, par exemple, d’employer à l’Éducation Nationale deux fonctionnaires par enseignant – situation unique d’inefficacité pour un service public dont les effectifs sont parmi les plus lourds du monde – est la conséquence directe de ce blocage. Qui serait prêt à accepter une grève de trois mois des enseignants ?
On se retrouve dans la situation absurde où le fait d’imposer les prestations de l’État dans le cadre d’un monopole (sécurité sociale) ou d’un quasi monopole (éducation nationale) empêche la réforme et la baisse des coûts de provision de ces prestations.
Bref : Le surendettement public est donc la conséquence d’une contradiction interne de la théorie de l’État comme instrument au service de la volonté générale.
Laisser une plus grande liberté apparente à l’expression de la volonté générale, lui faire croire que « tout est possible », crée les conditions de son assujettissent progressif au surendettement par un double mécanisme :
— Inflation des promesses de dépenses publiques en vue de « séduire » la volonté générale et la rendre dépendante de l’État ;
— « Prise en otage » de la volonté générale par ceux qui sont en charge de la fourniture des prestations publiques, ce qui rend impossible la réforme et l’abaissement des coûts des solutions collectives qui sont ainsi fournies.
Toute cela ne constitue qu’une illustration, particulièrement douloureuse, de ce que les libéraux ont toujours affirmé : il faut démystifier la notion d’intérêt général qui n’est bien souvent qu’un alibi cachant un phénomène d’«exploitation» du reste de la société par une caste privilégiée de fonctionnaires et bureaucrates. » (Henri Lepage)
L’État doit être neutre également vis-à-vis des intérêts particuliers de ceux qui le dirigent et notamment de leur intérêt à se maintenir à sa direction coûte que coûte, quitte à durablement ruiner le pays par l’endettement public.
Pour sortir de l’endettement ce n’est donc pas d’un État fort dont nous avons besoin, mais d’un pays fort. La solution pour y arriver ? Un État qui cesse de piéger la volonté générale en prétendant pouvoir tout résoudre. Un État qui accepte non seulement de limiter ses domaines de compétences mais qui laisse à la société civile et aux entrepreneurs la possibilité d’offrir des alternatives à ces prestations (y compris la sécurité sociale qui en Allemagne est par exemple partiellement privatisée), atténuant, par la même, l’effet « prise d’otage » qui rend si difficile sa propre réforme.
On revient toujours à la nécessité de cette notion, profondément libérale, de limitation des pouvoirs de l’État qui est une garantie effective de son efficacité et… du maintien de la force et de l’indépendance économique et financière de la société.
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Note :
[1] : L’expression « illibéral » a été réactualisée par l’essayiste et éditorialiste américain dans son livre « Illiberal democracies » pour dénoncer la tentation d’’une certaine forme de démocratie qui veut restreindre de façon croissante la liberté individuelle au nom de la volonté générale.
Social-démocratie illibérale, achat des votes, machiavélisme social, fonctionnaires au pouvoir considérable, prise en otage de la volonté générale : tout est dit et bien dit.
Le formatage du peuple est profond… Ainsi une collègue de bureau m’a dit l’autre jour, effrayée : « Mais si l’Etat stoppe ses aides sociales ou les réduit considérablement, les banlieues vont s’embraser », ce qui du reste est probablement vrai. Le passé nous montre en effet qu’ils en sont capables.
vous oubliez la corruption dans votre article.aides sociales détournées,emplois semi fictifs dans les collectivités locales et l’administration,marchés et tarifs truqués des entreprises travaillant avec l’etat.peut etre que si la justice était plus forte,les comptes seraient plus équilibrés
La dette publique ne vient pas d’une hausse des dépenses, mais d’une baisse des recettes. L’État dispose d’un moyen dont les particuliers sont dépourvus : il fixe lui-même ses recettes par l’impôt, alors que ce n’est pas nous qui décidons de nos salaires ! Et quand on limite soi-même ses propres recettes, il faut bien trouver d’autres sources de financement : c’est l’emprunt. Et à qui emprunte-t-on sous forme d’obligations du Trésor ? Aux plus riches évidemment ; si au lieu de faire payer les plus riches par les impôts, le gouvernement leur emprunte, cela ne peut qu’aggraver le déficit ……….
Stiglitz, Jorion et Piketty, sortez de ce corps !
et surtout arrêtez de croire ces calembredaines : les riches ne sont pas assez cons pour prêter aux états, l’argent des emprunts est fourni par la classe moyenne qui place son argent sous forme d’assurance-vie et d’assurance-retraite.
Augmenter les impôts ? en gros, il manque 100 milliards par an alors que l’impôt sur le revenu c’est 50 milliards : il faudrait donc le tripler (en supposant, ce qui est absurde, que ça n’aurait aucun impact sur l’économie et le rendement des autres impôts). Vous y croyez … ?
Par contre on sait que l’administration française couterait 150 milliards de moins si elle fonctionnait comme l’administration allemande (et c’est pas un délire de libéral, même Philippe Frémeaux d’alter éco est à peu près d’accord, il se contente de modérer le chiffrage à environ 100 milliards ). Donc réduire les dépense de 100 milliard tout en ayant un service de qualité allemande c’est possible. Et on rentre dans les clous…
Robert Gil vous êtes peu crédibles, depuis quand l’Etat décide de limiter ses recettes? Un chiffre: 24 (nouvelles taxes sous Sarko), sans parler de l’augmentation des taux pour bien d’autres et de celles qui nous attendent pour 2012.
Un autre chiffre: 44% (part des prélèvements obligatoires par rapport au PIB en France(en augmentation constante mais de moins en moins)), 35% en 1975 seulement.
Aux USA (ces grands méchants capitalistes): 25% en 75 contre 27% aujourd’hui, mais avec un PIB en augmentation moyenne de 2 à 3% par an hein.
Voyant que les impôts et les taxes ne peuvent augmenter trop vite pour financer le train de vie public, sans risquer un trop grand mécontentement (encore que le français se fait tondre sans broncher), les Etats ont préféré entuber les gens en douceur sans qu’ils ne s’en rendent compte avec la dette et l’inflation.
Maintenant vous reviendrez avec des chiffres concrets au lieu d’exposer des théories fumeuses.
ROBERT GIL: « La dette publique ne vient pas d’une hausse des dépenses, mais d’une baisse des recettes »
Pfff.. En France, les prélèvements obligatoire (rapportés au PIB) sont parmi les plus élevés au monde (si ce n’est les plus élevés), même le gouvernement français le reconnait.
Dès lors il est ridicule de vouloir les augmenter, c’est le contraire qu’il faut faire. Il faut également diminuer énormément les dépenses publiques.
@Robert Gil
je n’ajouterai rien au réponses de Yamang et Tremendo sur hausse des dépenses vs baisse des recettes.
J’observe par ailleurs que vous changez le débat: mon propos n’était pas de dire comment l’état doit se financer, mais juste de signaler que ces dépenses de l’état ont surtout lieu pour permettre à ceux qui le dirige de se maintenir au pouvoir. Bref vous éludez la question du machiavélisme social… C’est intéressant pour quelqu’un qui prétend avoir une conscience citoyenne responsable.
par ailleurs ce propos;
« L’État dispose d’un moyen dont les particuliers sont dépourvus : il fixe lui-même ses recettes par l’impôt, alors que ce n’est pas nous qui décidons de nos salaires »
me fait bondir.
si c’était si simple de fixer ses recettes par l’impôt au niveau voulu pour s’endetter pourquoi diable autant de gouvernement dans tant de pays ce sont mis dans la situation actuelle? Seraient ils à ce point stupide pour ne pas suivre votre « ya ka »?
Deuxièmement par rapport à votre « Ce n’est pas nous qui décidons de nos salaires » je signalerai simplement que ce ‘fatalisme » n’est nullement une loi d’airain….disons que je connais plein de gens (qui ne sont pas tous entrepreneur loin de là ni encore riche) qui certainement à la fin de leur journée se considère comme responsable à part entière de leur revenu…
Peut on se dire citoyen responsable et en même temps se poser comme victime du système?
Depuis 30 ans nous avons baissé les cotisations des entreprises pour lutter contre le chômage et être compétitif, sans dire que ce qui coutent cher au travail, ce n’est pas le prix de la main d’œuvre, mais c’est ce que le capital prend au travail. Conséquence le chômage n’a cessé de progresser !
Depuis 30 ans une véritable propagande anti fonctionnaires a favorisé le démantèlement de la fonction public au bénéfice de groupe privé en augmentant les déficits publics et au détriment de la population. Conséquence, lorsque tout sera privatisé, nous serons privés de tout!
je découvre aujourd’hui cet article de Charles Gave qui me semble très relié à ce sujet et qui a été publié dans le monde le 15 septembre (n’étant pas lecteur du monde je ne le savais pas)
http://lafaillitedeletat.com/2011/09/09/crise-du-capitalisme-et-du-liberalisme-soyons-serieux/
Une politique séduisante dites vous concernant les retraites,la sécu,les 35 heures mais heureusement que tout cela existe encore car parlez de machiavélisme politique et nous faire croire que notre modèle économique est mort car trop cher trop coûteux reviendrait à dire que l’état est en faillite permanente hors bien entendu c’est faux certes des économies importantes restent à faire rapidement mais elles ne peuvent étrangler les pauvres et enrichir les riches étrangler les peuples et leurs promettent du sang et des larmes.
Une fois encore les peuples choisiront car l’état en est incapabable…
non pas que l’état est en faillite permanente mais qu’il est en déficit permanent, ce qui est bien le cas depuis la fin des années 70.
Quand à l’étranglement des pauvres excusez moi mais un état qui prélève autant de charges sociales ( Si on prend l’exemple d’un salarié payé par son entreprise au SMIC à fin juillet 2006 à Paris, son salaire passe de 1031€ net à 2064€ en salaire total -soit plus de 1000 euros de charges sociales) fait également partie des cause d’étranglement.
Sur le fond:libre à vous de continuer de croire en la volonté générale. J’observe bien peu de réponse de votre part sur ce point central.