Plutôt que de chercher à retarder l’inexorable faillite de certains États par la monétisation, il faut chercher à encadrer la faillite.
Un article de Vincent Bénard
Ces derniers jours ont été l’occasion d’assister à une vague médiatique sans précédent en faveur d’une intervention massive de la BCE en tant qu’acheteur de dernier ressort des dettes souveraines de la zone euro. Autrement dit, si on en croit la sagesse des « experts », il faut MO-NE-TI-SER les dettes souveraines. À mort. Citons, entre autres, Martin Wolf, Paul Krugman, Nouriel Roubini, et en France, toute l’équipe de BFM, de Marc Fiorentino à Nicolas Doze, et nombre de leurs invités en plateau.
Leur raisonnement est le suivant : « si les investisseurs ont la certitude que toute dette souveraine un peu difficile à placer est achetée en dernier ressort par la BCE, le défaut de paiement devient impossible (Nd VB : exact), les emprunteurs rassurés reviennent sur les dettes souveraines, et il est possible de le faire sans inflation, puisque le Japon a pratiqué le quantitative easing pendant 20 ans sans inflation. Ainsi rassurés, les agents économiques pourront enfin se remettre à penser à l’avenir et à générer la croissance dont nous avons besoin pour dégonfler définitivement notre bulle de sur-endettement« .
Ce raisonnement est basé sur de fausses prémisses, et fort heureusement, l’idée ne semble pas très bonne aux premiers intéressés, à savoir certains membres du conseil d’administration de la BCE comme Jens Weidmann. Reste à savoir si son avis sera suffisant pour résister à la pression de tous les politiciens hors d’Allemagne, qui réclament tous leur shoot de monétisation. Si M. Weidmann venait à démissionner, comme avant lui d’autres conseillers allemands de la BCE, cela donnerait un signal très fort pro-monétisation aux marchés. Mais nous n’en sommes pas encore là .
Analysons d’abord le volet « Japonais » de l’équation, avant d’en aborder les éléments plus fondamentaux.
Le Japon, une histoire Néo keynésienne
qui va mal se finir
La monétisation de la dette japonaise est secondaire…. Jusqu’ici
Quoique vous entendiez à ce sujet, la monétisation directe des dettes sur le marché primaire n’a jamais eu lieu au Japon. En revanche, la banque du Japon est un gros acheteur de titres sur le marché secondaire, pour maintenir effectivement les taux d’intérêts bas. La banque du japon a toujours limité ces achats a des titres ayant déjà eu une partie de leur maturité échue, afin d’éviter de donner l’impression de renoncer à la stabilité du Yen. (source : market watch)
Cette monétisation « discrète » n’en reste pas moins limitée en volume. La banque du Japon détient un peu moins de 650 milliards de dollars (50 mille milliards de yens) de dette domestique, soit environ 7,9% du total. Ce n’est pas négligeable, mais on est encore loin d’une politique de QE débridé. La Banque du Japon fait en sorte d’éviter de relancer l’inflation, se contentant de « lutter contre la déflation ». Une erreur, de mon point de vue, mais ce n’est pas la question qui nous occupe.
Mais la banque du japon est effectivement le monétiseur de la dette en dernier recours de l’empire. Si cette monétisation se produisait (et de nombreux chroniqueurs croient que le Japon, tôt ou tard, ne pourra plus y échapper), alors il est probable que l’économie japonaise deviendrait hautement inflationniste. Ce qui pourrait mettre en danger sa compétitivité… et ses excédents.
La même cause produirait évidemment les mêmes effets en zone Euro, comme elle a produit cet effet dans l’Allemagne de 1923, dans la Yougoslavie de la fin des années 80, en Amérique du sud dans les années 70, etc. Et malheureusement pour les japonais, le point de non retour, celui où même la plus rigoureuse des politiques budgétaires ne peut plus sauver la situation, semble dépassé. Voyons pourquoi.
Le surendettement japonais est une bombe à retardement, le japon ne peut être un exemple à suivre
Le Japon, bien que n’ayant pas relancé son inflation, s’est mis dans une situation inextricable : 228% de dette/PIB fin 2011 (contre 196% fin 2010 : +32% en un an ! La machine s’emballe…). En 2010, le Japon a dépensé 92.000 milliards de yens pour seulement 37.000 milliards de recettes (1 yen#1 centime d’euro). Voici a quoi ressemble le budget de l’État japonais depuis 1990 et l’éclatement mal géré de sa bulle de crédit, de sauvetages bancaires en plans de relance. À côté, les gouvernements français ont été des modèles de vertu budgétaire. Ceux qui croient que cela peut durer indéfiniment sont en situation de déni :
À ces déficits chroniques s’ajoutent une « bombe démographique » à gérer très prochainement.
En effet, une partie non négligeable de la dette japonaise (#11%) est détenue par l’organisme public de gestion du fonds de pension national, qui a thésaurisé ses excédents de collecte en bons du trésor pendant les années où le rapport démographique entre retraités et actifs était encore supportable. La banque postale et l’assurance postale, deux monstres étatiques, détiennent également environ 30% de cette dette. Nombre de fonds de placement alimentés par les individus à travers leurs banques ou assureurs en détiennent également.
Or, le fond de pension voit arriver prochainement à l’âge de la retraite (67 ans) toutes les générations du baby boom d’après guerre (2012-1945=67). A contrario, les jeunes générations sont beaucoup moins nombreuses (la démographie japonaise est une des plus faible du monde), et le taux d’emploi s’est dégradé ces 20 dernières années, car les politiques de relance n’ont pas permis de créer des emplois pérennes. La sécurité sociale japonaise a déjà fait savoir qu’elle allait devoir bientôt passer d’acheteur net à vendeur net de bons du trésor pour faire face à ses obligations*. Il est probable que les épargnants individuels âgés feront de même pour conserver un niveau de vie suffisant. D’ailleurs, le taux d’épargne des japonais est tombé de plus de 10% à 2,7%, sans doute du fait du vieillissement de la population, et des très faibles taux servis aux épargnants.
Conséquence : le Japon va devoir diversifier ses investisseurs, aujourd’hui à 95% japonais. Il sera intéressant de voir quel taux les épargnants du monde, échaudés par la quasi-faillite d’États moins endettés, demanderont à l’État japonais pour refinancer le roll over des tranches arrivées à échéance, avec un déficit égal au triple des recettes… Ouille.
*Incidemment, avant d’en arriver là , il est probable qu’elle soit aussi vendeuse nette de T-bonds… La FED monétisera aussi.Â
Les excédents commerciaux régleront-ils éternellement l’addition ?
Ajoutons que les japonais individuels et entreprises, qui ont également massivement acheté ces bons, ont d’abord investi dans cette dette leurs excédents commerciaux. Or, il semble que ces surplus se dégradent, même si le japon reste globalement exportateur net :
Cela annonce-t-il un retournement de tendance, lié à la dégradation de la compétitivité de l’industrie japonaise ? En tout cas, il faut s’attendre à ce que les bons japonais soient plus difficiles à écouler dans les prochaines années. Et avec une dette nominale de 228% du PIB croissant au rythme de 20% par an, la charge d’intérêt peut très vite devenir insupportable.
Le Japon – qui cherchera sans doute à tout prix à éviter un défaut, question d’honneur – va devoir, tôt ou tard, et plutôt tôt que tard, couper dramatiquement dans toutes ses dépenses publiques, et aussi, sans doute augmenter ses impôts, et ce dernier point ne sera pas bon pour l’économie en général. Mais ce sera le prix à payer pour 20 ans d’ineptie budgétaire. Il n’y a pas de faillite sans douleur.
La leçon japonaise est claire : même le pays le plus productif du monde ne peut espérer vivre par reconduction perpétuelle du surendettement. Ceux qui nous disent que la zone euro devrait suivre l’exemple japonais le connaissent bien mal.
La monétisation des dettes publiques :
une soviétisation rampante de l’économie
J’ose par conséquent espérer que personne n’envisage, en zone Euro, une monétisation intégrale de la dette sur le marché primaire, synonyme de spirale zimbabwéenne pour nos économies. Admettons donc que la BCE puisse monétiser « juste ce qu’il faut » pour éviter qu’un État ne puisse plus placer ses bons, sans qu’elle ne perde le contrôle de l’inflation, et que cette monétisation « a minima » suffise à rassurer les investisseurs privés… Vous voyez que cela fait beaucoup de « si », mais bon, faisons semblant d’y croire.
Quels en seraient les effets économiques au-delà de quelques jours, à moyen et long terme ?
Plus de monnaie, pas plus de ressources !
Si la BCE annonce qu’elle monétisera la dette des États en dernier recours, quelles incitations les États de la zone Euro auront-ils à résoudre rapidement leurs problèmes structurels ? À équilibrer leurs budgets ? Il est probable que la mise en Å“uvre des plans dits « de rigueur » prendrait beaucoup de retard, et que, par exemple, en France, le retour à l’équilibre des comptes publics serait repoussé de plusieurs années.
Ah, s’il suffisait de jeter de l’argent créé à partir de rien pour régler les problèmes de l’économie… À ce compte là , les faux monnayeurs devraient être légalisés ! Mais dans le monde réel, hélas, les choses ne sont pas aussi simples.
Créer de la monnaie pour boucher le trou des débiteurs surendettés ne crée pas plus de nourriture, de machines, de béton, bref, de ressources dont l’économie a besoin pour produire ce que les individus lui demandent. Monétiser les dettes publiques au niveau nécessaire pour empêcher un krach obligataire souverain signifie donc de donner aux États les moyens de continuer à se porter acquéreurs des ressources dont ils ont besoin pour fonctionner.
En contrepartie, les banques, échaudées par leurs déboires récents, devront renforcer leurs capitaux propres, avec ou sans Bâle III : elles vont donc devoir réduire leur bilan, leur exposition au risque. La masse monétaire correspondant à la création de crédit vers l’activité privée, va, elle, se réduire. On observe déjà un effet de substitution des bons d’États aux prêts à l’économie privée dans le bilan de nombreuses banques américaines, où la monétisation a déjà largement commencé (un exemple disséqué ici). C’est ce que l’on appelle « l’effet d’éviction ».
Affamer ceux qui produisent en récompensant le plus médiocre
En admettant même que l’inflation publique ne surpasse pas de beaucoup la déflation privée, et donc en supposant que l’inflation résultante soit faible (cela fait toujours autant de « si »…), nous obtiendrons donc un phénomène de confiscation des ressources disponibles par l’agent économique le plus pitoyablement sous performant, l’État. Il y aura donc, en termes relatifs, un renchérissement des coûts pour les agents privés, que ce soient les ménages ou les entreprises.
La monétisation des dettes publiques constitue donc, avant même de parler de résurgence inflationniste, une nationalisation, une soviétisation rampante de l’économie, ou plutôt une confiscation furtive d’une part croissante de la richesse du pays par l’État, qui en fera le plus mauvais usage, puisqu’il est destructeur net de valeur. La prime à la médiocrité dans toute sa plénitude.
Prétendre, comme le font certains, que « un retour à la croissance » permettra d’assainir les comptes, fait montre d’une incompréhension totale de ce qu’est l’économie. Aucune reprise durable ne peut se produire dans ces conditions. Si l’étatisation de l’économie fonctionnait, les pays les plus socialisés auraient été les plus riches du monde : inutile de rappeler que cela n’a pas été le cas. Au Japon, cela fait 20 ans qu’ils l’attendent, la croissance, malgré une ribambelle de plans de relance tous plus dispendieux les uns que les autres. Et ils vont finir par y arriver tout de même, à la faillite. Ou à la grosse inflation. Et pourtant, il y a encore des docteurs Knock qui nous affirment que si le Japon se traine, c’est parce qu’il n’a pas assez relancé !
Et donc, si nous monétisons les dettes publiques, l’économie privée sera incapable de créer assez de richesse pour fournir aux États assez de rentrées fiscales pour éponger les dettes passées, dettes qui ne feront que croître, puisque la monétisation rendra son expansion facile… Mais tôt ou tard, le système craquera, et soit la BCE (ou la FED, ou la Bank of Japan) devra monétiser à mort des centaines de milliards de roll’overs, transformant l’Europe en nouvelle Yougoslavie, soit elle devra se résoudre à laisser les États faire défaut, et nous serons revenus à la case départ, sauf que la faillite sera prononcée à un niveau d’endettement encore plus fort que maintenant : elle fera encore plus mal.
Conclusion : Gérer la faillite des États plutôt que la retarder
Laisser les États les plus faibles faire défaut maintenant, sous réserve que quelques précautions législatives soient prises pour éviter qu’un gel bancaire total en résulte (refrain lancinant), sera dur à vivre, mais permettra de dégonfler une grande partie des bulles de dettes accumulées jusqu’alors.
Le mouvement déflationniste qui en résultera permettra à certains prix d’atteindre un niveau suffisamment bas pour offrir aux entreprises, seules à pouvoir nous sortir du pétrin, des opportunités d’action que le niveau actuel des prix et des dettes ne rend plus possibles.
très bonne conclusion.et de toutes façons c’est la seule voie possible!
Très bon article. Je l’imprime et je le garde. J’ai également imprimé en grand le graphique sur le budget du Japon.
Très bon article.
Par contre, je suis dubitatif sur certains chiffres.
La dette passe de 196% fin 2010 à 228% fin 2011, soit une augmentation de 32 points de PIB, ce qui est considérable.
D’après vous 50 000 Mds de yens représentent 7,9% du total, donc environ 16% du PIB (qui est le double de la dette.
Or le déficit est de 92 000 – 37 000 = 55 000 Mds Yens, soit environ 18% du PIB. Cela fait tout de même un écart de 14 points de PIB avec les 32 évoqués.
Axiome : la légitimité de l’Etat réside dans le respect de la vie, de la liberté et de la propriété.
Cette légitimité est au-delà du champ démocratique ou de n’importe quelle autre forme de pouvoir. Les Etats illégitimes s’effondrent et disparaissent systématiquement : c’est une constante de la nature (humaine), aussi universelle que peut l’être la gravité. Ce n’est pas parce qu’un pouvoir est démocratique qu’il est légitime. La démocratie est une condition nécessaire mais non suffisante de la légitimité du pouvoir. On ne peut pas voter pour ou contre la légitimité de l’Etat.
Théorème : dans le champ économique, un Etat est légitime si et seulement s’il s’interdit absolument toute forme de dette publique ou, ce qui revient au même, renonce à tout contrôle de la monnaie.
Lemme n°1 : les Etats sont destructeurs nets de richesse (comme le note très bien VB).
Lemme n°2 : les Etats ne remboursent jamais leurs dettes. Les Etats effacent leurs dettes par la destruction de valeur (assassinat, guerre, faillite volontaire, crise économique, inflation).
Lemme n°3 : un Etat endetté n’est plus souverain.
Corollaire : la seule note possible pour une dette publique est D (défaut). Les agences de notation ne font pas leur travail. Le fameux thermomètre n’indique pas la bonne température. Mieux : les ADN doivent refuser de noter les dettes des Etats.
j’étais au début de la crise plutôt optimiste grâce a la monétisation a condition de procéder de façon parallèle a une « tutelle » et une reforme du système mais vu qu’il n’y a eu que monétisation sans autres mesures pour réorienter les flux financiers (régulation + protectionnisme) je me demande si maintenant il ne faudrait pas mieux une bonne purge déflationniste pour liquider ces dettes. je tient d’ailleurs a prendre la défense de Krugman qui a toujours dit que la monétisation (QE) sans mesure de régulation ne seraient pas efficace. Rendons a César ce qui est a César.
En tout cas on est dans une autre phase de la crise actuellement
Le Japon est endetté à 228% et pourtant c’est la 2 ou 3ème puissance mondiale. Les autres pays « riches » sont bien endettés aussi.
Dois-je en conclure que de nos jours, plus on est endetté plus on est riche ?
Vite, je cours faire des crédits !
Il y a une erreur de langue, un anglicisme.
Couper dramatiquement, en français ça veut dire couper en ressentant une très forte émotion, ou couper en provoquant une catastrophe.
Dramatique vient de drame, le genre théâtral.
Alors qu’en anglais, dramatic est un mot dont le sens n’a plus grand chose à voir avec le mot français originel, il veut dire spectaculaire ou de grande importance, rien de plus.
Salut. J’aurais besoin d’un petit éclaircissement.
« En admettant même que l’inflation publique ne surpasse pas de beaucoup la déflation privée, et donc en supposant que l’inflation résultante soit faible (cela fait toujours autant de « si »…), nous obtiendrons donc un phénomène de confiscation des ressources disponibles par l’agent économique le plus pitoyablement sous performant, l’État. Il y aura donc, en termes relatifs, un renchérissement des coûts pour les agents privés, que ce soient les ménages ou les entreprises.
La monétisation des dettes publiques constitue donc, avant même de parler de résurgence inflationniste, une nationalisation, une soviétisation rampante de l’économie, ou plutôt une confiscation furtive d’une part croissante de la richesse du pays par l’État, qui en fera le plus mauvais usage, puisqu’il est destructeur net de valeur. La prime à la médiocrité dans toute sa plénitude. »
>>> en quoi la monétisation apparaît donc comme une confiscation ? Je ne saisis pas.
Vraiment un bon texte mais pas rassurant sur ce qui s en viens