Le petit monde des études en sciences humaines a vu survenir deux changements significatifs récemment, qui sont de nature à impacter ces disciplines sur le long terme.
Un article de Jean-Baptiste Noé
Si l’on connaît la célèbre formule du Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change », on pourrait retourner l’assertion pour les études en sciences humaines : rien ne doit changer, pour que tout puisse changer. C’est ainsi que deux changements majeurs sont intervenus ces derniers mois, qui bouleversent en profondeur l’organisation et les débouchés des étudiants dans les filières de sciences humaines. Ces changements sont passés presque inaperçus : pas de grève — ou très peu —, pratiquement pas de publicité médiatique, presque aucune vague dans le landerneau universitaire. C’est donc la preuve que de grands changements sont en train d’advenir.
La création de la BEL
Premier changement, première révolution, la création de la BEL, la banque d’épreuves littéraires, entrée en vigueur pour les concours de juin 2011. De quoi s’agit-il ? Jusqu’à présent, les étudiants en classes préparatoires littéraires (khâgne) disposaient de très peu de débouchés. Les ENS étaient leur continuité naturelle, mais avec un total de 200 places pour 4000 étudiants, beaucoup restaient en dehors du système. Il était possible de passer d’autres concours : des écoles de commerce, Saint-Cyr, des IEP … mais il fallait alors passer individuellement chacun d’entre eux, ce qui était assez fastidieux. Avec la BEL ce temps est révolu. Le concours des ENS sert désormais de concours commun. À l’occasion de celui-ci un classement est effectué, et à partir de ce classement les khâgneux peuvent intégrer, outre l’ENS, toutes les écoles de commerce de la BCE (la banque commune d’épreuves, qui regroupe entre autre HEC et l’ESSEC et au total 31 écoles de commerce), les IEP de province, des écoles de journalisme, le CELSA, l’école des Chartes, Saint-Cyr … D’autres écoles ont prévu de s’intégrer à la BEL d’ici les prochaines années. Si, pour certaines écoles de la BCE, il est nécessaire de passer des épreuves complémentaires, pour les autres écoles le concours de l’ENS suffit. Les ENS conservent la mainmise : c’est elles qui définissent le programme, les sujets et qui organisent les corrections ; mais elles ont accepté le principe de l’ouverture, bien consciente qu’elles ne pouvaient pas poursuivre une voie de formation qui offrait trop d’échec à ses étudiants, alors même que ceux-ci suivent une formation très poussée et exigeante.
Il ne sera donc plus rare de voir des khâgneux dans les écoles de commerce ou dans les IEP, d’autant que des places leur sont réservés, par ces concours spécifiques. Ils ne sont donc pas en concurrence avec les préparationnaires des autres classes préparatoires. Sans nul doute, leur formation en philosophie, en lettres et en histoire leur sera très utile dans leur vie professionnelle. Et comme il est possible d’intégrer une khâgne en ayant fait l’une ou l’autre option du lycée général (ES, S, L) cette formation de l’excellence s’avère extrêmement ouverte pour les lycéens. Pour une fois qu’il y a de belles avancées dans l’Éducation Nationale, il faut les faire valoir.
La création des PRES
Deuxième révolution invisible, la création des PRES. Autre sigle, autre définition : ce sont les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur. Il s’agit du regroupement des universités françaises, possible depuis la loi de modernisation de l’université de 2006, dans le but de renforcer la qualité de leur formation et leur visibilité internationale. À l’heure actuelle il en existe 21. La loi de 2006 permet également aux universités d’avoir une plus grande indépendance, notamment dans le choix de leur formation et le recrutement de leurs étudiants. Et c’est ici que cela devient particulièrement intéressant pour les lycéens qui s’orientent vers des études en science humaine. Si l’université est toujours difficilement fréquentable en licence (jusqu’à bac +3 dans le nouveau schéma de Bologne), elle devient en revanche très attractive à partir du master. De plus en plus d’universités proposent ainsi des masters qui sont de véritables pépites de formation.
Sélection intensive à l’entrée, petite promotion —pas plus de 50 étudiants—, professeurs de grande qualité, suivi des élèves, prestige international (n’en déplaise aux commerciaux, la Sorbonne est plus connue à l’étranger que les grandes écoles françaises), ces masters ont tout pour former de bons professionnels. Si l’on ajoute à cela que les universités se trouvent au cœur des villes, et non pas dans des banlieues lointaines, — il est quand même plus agréable de faire ses études dans le quartier latin, que dans les campus éloignés des grandes écoles — et que les frais d’inscription sont nettement inférieurs — souvent dix fois moins chers —, on comprendra que ces PRES et ces masters vont bouleverser la classification des études supérieures.
Une université a très bien compris le parti qu’elle pouvait en tirer, il s’agit de l’université Paris IV-Sorbonne[1]. Dotée du nom magique qui lui ouvre les considérations internationales —Sorbonne—, Paris IV est en train de révolutionner le milieu universitaire. En parallèle à l’inscription pour tous en licence, Paris Sorbonne a créé des bi-licences (histoire-droit, sciences-philosophie…) en partenariat avec d’autres universités parisiennes, dans le cadre des PRES. Ces licences sont sélectives : dès la première année l’université restreint le nombre de ses étudiants, le nombre de places est limité, souvent à trente étudiants. Cela crée une université à deux vitesses : les licences classiques pour le tout venant, et les licences sélectives pour les meilleurs lycéens, dont on ne peut que se féliciter pour la bonne réussite des élèves.
Ce parcours se poursuit en master avec des formations qui sont de véritables pépites. Par exemple le master Relations Internationales, qui n’a que 30 places disponibles, et qui est réalisé en lien avec l’université Assas. Les étudiants bénéficient d’un volume horaire conséquent, ils ont la possibilité d’effectuer un stage en entreprise ou de passer un semestre dans une université étrangère. Les professeurs qui interviennent sont, pour la grande majorité, des personnes de très haut niveau. De nombreux masters sont proposés, dans des disciplines variées, avec des débouchés orientés aussi bien vers la recherche que vers l’activité en entreprise. La qualité de la formation donnée vaut largement celle des écoles de commerce, pour des frais de scolarité dérisoire (environ 400€).
Ces formations sont elles aussi ouvertes aux khâgneux, et il est d’ailleurs prévu que la BEL donne aussi accès à certains masters.
Cette révolution de velours est encore mal connue des lycéens et des étudiants. Quand elle aura pris son ampleur, les écoles de commerce, dont la plupart ne sont pas opérantes, pourront trembler sur leurs bases. Beaucoup disparaîtront dans les prochaines années du fait de cette mutation de l’université. Une mutation qui n’en est qu’à ses débuts, et qui n’est pas encore commencée par bon nombre d’entre elles.
Des liens complémentaires :
Sur la BELÂ :
http://www.concours-bce.com/index.php
Sur les PRESÂ :
http://www.paris-sorbonne.fr/nos-formations/les-parcours/
[1]Ayant réalisé mon doctorat dans l’université rivale — Paris I — je puis en parler avec d’autant moins de parti pris.
Études en sciences humaines : la révolution de velours http://t.co/K5PdCAp1
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