En ces temps de crise, il y a de quoi être fâché. Mais contre qui ? Quel est le 1% de coupables ? Quels sont les 99% d’innocents ?
Par Nick de Cusa
Déjà trois ans de crise. Ce qui signifie aussi, trois ans de dispute sur qui sont les coupables. Le débat n’est pas vain. Beaucoup de gens souffrent, et beaucoup vont souffrir plus encore dans les mois et les années qui viennent. Et qui sait quand ça va se finir ? L’exemple de la décennie perdue du Japon, qui semble devoir déboucher sur une autre décennie perdue, permet d’envisager la fin de la croissance en France et en UE pour longtemps, un avenir morne, l’abandon des aspirations à mieux, une lente démoralisation.
Plus concrètement, ce seront des emplois perdus, des logements qu’on ne peut plus se permettre, des soins de santé qu’on repousse à plus tard (mais à quand ?) … Et même, pour un grand nombre, la question restera de savoir comment manger et comment nourrir sa famille.
Bref, il y a de quoi être fâché. Mais contre qui ? De qui exiger sanctions et réparations, et qu’elles soient exemplaires pour dissuader les responsables de ne jamais récidiver, et de causer à nouveau un tel désastre ?
La chasse au coupable est donc devenue une passion intense, et au bout d’un certain temps, une liste de candidats tient la corde, selon les points de vue, dont par exemple :
- Les riches
- Le fameux 1%
- La grande finance internationale apatride, Goldman Sachs, suivez mon regard…
- La dérèglementation financière
- Le capitalisme
- le (néo-, ultra-)libéralisme (sauvage)
- La désindustrialisation, les délocalisations
- La gauche
- La droîte traitresse qui est passée à gauche
- Les syndicats ultraminoritaires, subventionnés, bloqueurs, devant lesquels se couche la droite passée à gauche
- L’Union Européenne, et plus particulièrement l’euro
- Le keynésianisme et les politiques ininterrompues d’expansion du crédit (même pro-cycliques)
- La retraite par répartition, système dit de Pétain-Madoff, dont la seule issue possible est la ruine
- Le monopole public de la santé
- Les « partenaires » « sociaux »
- Le droit social et les charges sociales qui ont tué l’emploi et la croissance
- Les fraudeurs fiscaux, les évadés fiscaux, les paradis fiscaux
- L’égalitarisme
- L’immigration qui exploite l’État providence
- Les médias publics et les médias subventionnés aux ordres, où 80% des journalistes sont de gauche (et où, franchement, ceux de droite sont de gauche)
- L’Éducation Nationale fabrique à crétins, qui produit des gens convaincus que l’État peut créer des emplois
- Les économistes qui ont expliqué pendant des années que la dette publique n’a pas de limite
- L’idéologie verte pastèque qui fait dépenser en pure perte sur des renouvelables inefficaces…
Certainement, vous avez déjà repéré dans la liste, pourtant non exhaustive, quelques coupables contre lesquels vous avez vous-même une dent. Mais pour encore mieux arriver à les identifier, ne pouvons-nous pas également progresser en utilisant l’approche inverse : exclure ceux qui, de toute évidence, ne sont pour rien dans la situation inextricable où ils ont été mis malgré eux. Bien sûr, une telle liste est potentiellement énorme, mais qui sont les principaux ?
Pour nous donner une direction générale, il semble bon de revenir à une réflexion qu’avait faite le romancier Arnon Grunberg dans le magazine belge Humo au début de la crise, qui se demandait alors pourquoi tout le monde était fâché contre les banquiers qui avaient accordé des crédits impossibles à rembourser, et pourquoi personne n’en voulait à tous les gens à bas revenus qui avaient contracté des emprunts qu’il leur serait de toute évidence impossible d’assumer. Comme on peut clairement le voir, cette deuxième catégorie n’est absolument pas en cause, et cela nous permet d’en identifier d’autres selon la même logique.
Non, les gens qui pour rien au monde ne renonceraient à leurs allocations, par exemple familiales, n’ont aucune responsabilité dans la presque faillite de notre puissance publique. Ni ceux qui restent au chômage un poil plus longtemps que nécessaire pour retrouver un travail. Ni bien sûr, qui va chez le médecin pour une ordonnance en cas de petit virus sans gravité et sans traitement connu (ni nécessaire). Pas plus, non plus, qui prend un petit arrêt « maladie ».
Excluons tout de suite, bien sûr, qui pense que l’éducation et les études, doivent être « gratuites » (surtout « sociologie »), et que les logements des étudiants doivent être subventionnés. Ou que la culture doit être subsidiée, parce que primo, qu’aurait pu faire Van Gogh sans subventions ?, et secundo, les gens ne choisissent que de la sous-culture si l’État n’intervient pas, voyons !
Ne nous tournons pas plus vers qui veut avoir son France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô, France 24, TV5, Arte, France Inter, France Info, Le Mouv’, Radio France Région, France Bleue, ni bien sûr vers qui pense que pour être vraiment indépendants, les médias doivent être financés par les autorités. N’est-ce pas Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Humanité, ou les impure players Mediapart, Rue89, Slate et consorts…
Même chose pour la Recherche qui, pour être intègre et de qualité, ne peut être que publique. On aura aussi la pudeur la plus élémentaire de ne pas pointer du doigt les coûts des milliers de décès causés, en hôpitaux, par du personnel qui ne peut pas se donner la peine de se laver les mains correctement.
Entièrement au dessus de tout soupçon également, et très clairement, les services publics et les 8 millions de personnes qui savent bien que leur métier, et leur intense production de prestations, doivent être rémunérés par l’État, et ne sauraient en aucun cas être assurés par la demande volontaire spontanée du consommateur. On écartera de même les intermittents du spectacle.
Seuls les populistes de la pire espèce accuseraient les régimes spéciaux de retraites, les préretraites à 52 ans des grandes entreprises, les logements publics de fonction, les associations subventionnées dans les domaines les plus variés, les 600.000 élus que compte le pays, soit un Français sur 100, qui prouvent bien que nos concitoyens sont les mieux représentés du monde, comme le veut notre rôle universellement reconnu de terre des droits de l’homme et de la démocratie.
Tout aussi insoupçonnables, les confortables monopoles de type EDF et SNCF ou duopoles tels Veolia – Suez (Générale – Lyonnaise). Les habitants qui réclament leur LGV. Et bien sûr les professions protégées, même si leur surcoût comprime la consommation, banquiers, notaires, taxis, pharmaciens et autres, ou les commerces pour qui l’État, c’est bien commode, interdit l’ouverture de nouveaux concurrents.
Enfin, pour en revenir à la question de Grunberg, non M. l’écrivain, les gens quels que soient leur revenus, ne prennent pas de responsabilités quand ils prennent des crédits pour leur logement, leur voiture, leur écran plat, leur Wii et les DS des petits, ou encore tout autre produit de première nécessité. Quel mauvais esprit que de le suggérer.
En un mot comme en cent, vous, moi, nous, les 99%, avec certitude, nous sommes innocents.
Petite coquille : « Même chose pour la Recherche qui, pour être intègre et de qualité, ne peut-être que publique. »
Il n’y a pas de trait d’union entre « peut » et « être ».
Très bon article sinon, je le fais tourner
Contrepoints >> Faute corrigée. Merci.
Nick, tu es excellent.
La grande finance internationale apatride = le retour du Juif errant.
Tu as raisons: nous, les 99% sommes vraiment des cons. On n’a pas le niveau pour comprendre que c’est de notre faute tout ça. On contracte des emprunts pour consommer… mais consommer, ça sert à quoi dans une économie libérale? A satisfaire des besoins égoïstes, bien sûr. Car si la consommation était le moteur de l’économie, ça se saurait… Et nous les pas riches, on travaille pas c’est bien connu, on est paresseux. Et puis on est malhonnête et racistes aussi. Mais comme on veut pas l’admettre, on préfère dire que c’est la faute aux politiques qui recoivent des dessous de table pour favoriser un riche amis sur un marché public….On sait bien que les choses ne se passent jamais comme ça en réalité.
Cette réponse est navrante. Je ne crois pas que le but de l’article soit de faire de l’autoculpabilisation primaire, mais plutôt de nous permettred’ouvrir nôtre esprit à autre chose qu’à la pensée unique qui veut que tout soit toujours la faute des plus riches.
L’article ne dit pas du tout que c’est la faute de tous les 99% autres.
Mais nous avons tous notre part de responsabilités puisque l’on vit dans un pays où l’état nous spolie et nous prive de nos libertés mais nous ne faisons rien pour y remédier. Pire nous sommes ceux qui avons élu ces étatistes assoiffés d’argent gratuit des autres.
Pour revenir à ce que vous dites, je vous conseille de vous renseigner sur ce qu’est une économie libérale et ses fondements avant de venir commenter. La consommation n’a pas la place que vous semblez croire dans une économie libérale. Et l’endettement encore moins.
Pour ce qui est des politiques, les libéraux ne les aiment pas beaucoup non plus (au moins en France) et tapent souvent (pas encore assez à mon goût) dessus dans Contrepoints. Pour autant, il est parfois bon d’ouvrir les yeux et de réaliser que les explications simplistes sont souvent fausses. Il n’y a pas le bien contre le mal, il n’y a que des hommes.
« Pour autant, il est parfois bon d’ouvrir les yeux et de réaliser que les explications simplistes sont souvent fausses ».
C’est vrai que faire de l’Etat le bouc émissaire est une explication d’une subtilité rare….