Le risque est grand de voir le projet de Traité esquissé par Paris et Berlin apparaître comme à côté du problème et décalé par rapport à l’urgence.
Par Alain Madelin
Les commentateurs et les marchés financiers sont priés d’applaudir la bonne nouvelle : Paris et Berlin ont trouvé un accord et surmonté leurs divergences. Et tous de gloser sur savoir qui a le plus gagné ou le plus perdu.
La question est ailleurs. Dans la situation d’extrême tension où se trouve l’euro et la zone euro (menaces de récession, crédit crunch, krach obligataire), que règle cet accord ? Apparemment : RIEN.
La vitrine de cet accord, c’est l’annonce de l’inscription dans les Traités d’une discipline budgétaire « à l’allemande ».
Il est clair que le relâchement de la discipline budgétaire a une large part de responsabilité dans la crise actuelle (les grecs ont pu dépenser « à la grecque » en empruntant à l’allemande, et la France a pu poursuivre à l’abri de l’euro une politique de dépenses publiques qui lui aurait été interdite avec le franc).
Selon ce nouvel accord, les sanctions en cas de dépassement du seuil de déficit public de 3% du PIB seront automatiques (sauf opposition d’une majorité qualifiée). Fort bien. Mais l’on ignore toujours ce que pourraient être des sanctions efficaces. Que signifierait par exemple infliger une amende à la Grèce ou la priver de subventions ?
Ce seuil de déficit budgétaire maximum de 3% issu du Traité de Maastricht est d’ailleurs largement arbitraire même s’il est censé pour définir très approximativement le seuil d’une dette soutenable (ne plus être obligé d’emprunter pour rembourser les seuls intérêts des dettes précédentes) dans le cadre d’une dette maximum de 60% du PIB. Et dans un contexte de croissance et de convergence de taux d’intérêts. Que signifie aujourd’hui ce plafond de 3% avec une panne de croissance et une explosion de la dette ? Pour un acheteur de dette d’un pays de la zone euro aujourd’hui, le seul vrai critère d’une dette soutenable est d’espérer voir le taux de croissance passer au-dessus du taux d’intérêt.
Mais l’accord va plus loin avec l’introduction d’une « règle d’or » renforcée et « harmonisée » dans l’ordre constitutionnel des 17 pays de la zone euro. On voit le piège politique tendu à la gauche en France mais on ne voit pas en quoi ceci aujourd’hui nous aide à sortir du piège des dettes souveraines en euros. Car aujourd’hui, ni la Grèce, ni l’Italie, ni la France, n’ont besoin des Traités européens ou de leur Constitution pour savoir qu’il leur faut revenir à une dette soutenable. Les agences de notation et les marchés financiers exercent dès aujourd’hui une pression bien plus forte que tous ces engagements juridiques.
En fait, dans l’esprit de la France, cette acceptation d’une discipline budgétaire renforcée devait se faire en échange d’une solidarité financière des États de la zone euro. Or, on ne voit guère cette contrepartie. À juste titre, la solidarité des eurobonds a été écartée (ils auraient renchéri les coûts d’emprunts des pays les plus solides ; ils ne résolvent en rien le problème de compétitivité mais l’aggravent en supprimant les signaux du marché et ils feraient de l’Allemagne le payeur en dernier ressort… ce que celle-ci n’est pas prête à faire !).
Reste devant tant de pages de sérieux budgétaire la perspective de voir la BCE décider, spontanément et en toute « indépendance », de venir à la rescousse des États européens en difficulté. Même s’il est possible d’espérer un geste de la BCE, les déclarations d’Angela Merkel et de Mario Draghi éloignent les perspectives d’une solidarité sans faille espérée par Paris (même si beaucoup espèrent que mise au pied du mur d’un risque de dislocation de l’euro, la BCE n’aura pas d’autre choix que celui d’intervenir massivement en abjurant ses principes).
Reste aussi une annonce plus discrète de l’accord franco allemand : l’avance du Mécanisme européen de stabilité à 2012.
Le MES est le fonds de secours permanent – sorte de FMI européen – qui doit succéder en juillet 2013 au laborieux Fonds Européen de Stabilité Financière. Il a fait l’objet d’un accord à 17 le 21 mars dernier et il est en cours de ratification. Ce fonds de 700 milliards (dont 80 libérés pour la constitution) aura une capacité effective de 500 milliards. Il pourra prêter sous conditions et acheter de la dette des États sur le marché primaire. Institution intergouvernementale (les ministres des finances en sont les gouverneurs), il bénéficiera d’un statut de créancier privilégié, analogue à celui du FMI. Il pourra d’ailleurs agir conjointement avec le FMI et sans doute accéder aux liquidités de la BCE.
Quoi qu’il en soit, il y a là potentiellement une puissante arme de dissuasion massive pour contourner la grève des acheteurs d’obligations et faire tomber la température des taux d’intérêts.
Ce mécanisme cependant n’est pas sans soulever bien des problèmes. Ainsi pour la France, il correspond à un engagement « irrévocable » et « inconditionnel » de quelques 140 milliards (les appels de fonds devant être honorés sous 7 jours). Son annonce pour le début de l’année aurait – à coup sûr – un effet stabilisateur (peut-être en prendra-t-on la décision lors du Sommet européen de vendredi ?). À ce stade cependant, il semble que ce Mécanisme Européen de Stabilité « avancé en 2012 » ne sera opérationnel qu’en juin 2012. Ce délai suppose de laisser le relais au FESF dont la marge d’action est beaucoup moins grande.
Sauf à sortir franchement le lapin MES du chapeau lors de ce Sommet, le risque est grand de voir le projet de Traité esquissé par Paris et Berlin apparaître comme à côté du problème et décalé par rapport à l’urgence. Comme impossible à 27, difficile et périlleux à 17 (il faut un referendum au moins en Irlande).
D’autant qu’au-delà d’une nécessaire action de stabilisation se pose inéluctablement la question de la croissance et de la compétitivité des pays de la zone euro.
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Sur le web
Analyse pertinente compte tenu des négociations de cette nuit. La question urgente semble de savoir comment on monétise temporairement les dettes sans donner un chèque en blanc aux Etats irresponsables. Une fois dépassés les risques immédiats, la deuxième étape consisterait à sortir les Etats de l’illusion keynésienne en les contraignant à l’équilibre budgétaire, avec un nouveau traité à légitimer par référendum.