En Côte d’Ivoire, l’État de droit est un objectif annoncé depuis la campagne des présidentielles de 2010. Huit mois après la prise de pouvoir, quel bilan peut-on tirer?
Par Gisèle Dutheuil
Article publié en collaboration avec Audace Institut Afrique
Si l’on écoute les discours et déclarations, l’État de droit semble avoir été placé sur la feuille de route des nouvelles autorités ivoiriennes. Le rétablissement de l’État de droit. C’est un objectif annoncé depuis la campagne des présidentielles de 2010. Huit mois après la prise de pouvoir, il est important de faire un bilan des avancées dans ce domaine. Ce bilan est incontournable bien qu’il soit douloureux et donne le vertige. Nous sommes loin, très loin de ce que l’on appelle État de droit, au point que l’on peut légitimement s’interroger sur le contenu du concept en terre ivoirienne.
Rappelons que l’État de droit est le fondement de la démocratie et la condition incontournable de l’application d’une politique libérale. Alors que les autorités ivoiriennes se présentent comme libérales, on ne peut qu’être dérouté en constatant le bilan catastrophique des derniers mois. Certains crient : « Laissez les autorités faire leur travail ! La sécurité n’est pas une affaire qui se gère en quelques mois ! » Certes, nous en convenons, mais d’évidence, on ne peut que constater, objectivement, sans politiser l’analyse, une aggravation de la situation sécuritaire si on la compare à celle d’avant les élections présidentielles de 2010 qui pourtant n’était pas extraordinaire au point d’irriter les Ivoiriens.
Peut-être y aurait-il une méprise sur le contenu même du vocable « État de Droit ». L’État de droit ne veut pas dire avoir le droit de tout faire pour garder le pouvoir. L’État de droit repose sur des règles de droit et essentiellement sur la sécurité et la justice qui sont d’ailleurs intimement liées. Dans un État de droit, les autorités sont au service des citoyens pour protéger leur personne et leur propriété. Le concept même de la propriété privée prend des allures nouvelles en Côte d’Ivoire, c’est l’apogée du tout ce qui est à toi est à moi, il ne faut pas entendre par là un retour au communisme mais un transfert autoritaire de la propriété de la population vers des hommes armés ou en bandes, vrais militaires ou faux (l’histoire ne le dira jamais puisqu’il n’y a pas de justice capable de le dire). Il est assez risqué de sortir le soir avec un ordinateur portable si l’on veut pouvoir rentrer chez soi avec, idem pour les téléphones portables. Les Ivoiriens doivent donc adapter leur vie et finissent par se réjouir de choses simples comme, par exemple, pouvoir circuler en voiture car le vol de véhicule a drastiquement diminué dans le pays.
Peut-être serait-il important d’expliquer à l’armée que le libéralisme n’est pas le droit de tout faire. Je peux tout faire mais je me dois de le faire dans un cadre juridique strict, sachant que tout écart sera soumis à sanction. Je ne peux pas tuer parce que l’autre aime Gbagbo ou Obama et pas moi ; je ne peux pas entrer dans un commissariat de police et braquer des policiers pour libérer des copains impliqués dans un trafic de drogue, même s’il peut paraître louable d’aider un ami ; je ne peux pas tabasser un jeune dans la rue parce qu’il a une fiancée que je désire, même si les histoires d’amour ont toujours ému le monde entier ; je ne peux pas faire des meurtres en série dans les villages, même si je crois avoir une bonne raison ; je ne peux pas arracher le bien d’autrui, même si je suis plus pauvre que lui et que Robin des bois et Zorro m’ont fait rêver durant mon enfance ; je ne peux pas influencer les populations pour voter pour un candidat que j’aime même si je le fais gentiment et que ça part d’une bonne intension.
Tout cela pour dire qu’il y a une éducation importante à réaliser. Le rétablissement de la sécurité ne nécessite pas que des moyens financiers, il nécessite au moins trois ingrédients : la volonté, la constance dans la démarche et l’exemple.
En ce qui concerne la volonté, on peut espérer que la peur des nouveaux dirigeants se dissipe avec leur représentation fortement majoritaire à l’Assemblée nationale. Quand on a tout en main on se sent sûrement moins fragile.
Pour ce qui est de la constance, il y a du travail à faire car, pour un militaire, il est difficile de comprendre qu’un jour il soit présenté comme un héros de la démocratie, tant il a bien contrôlé les élections du 11 décembre dans les rues, dans les bureaux de vote, parfois presque dans les urnes (selon certains candidats PDCI, mais cela reste à définir) et que le lendemain on lui demande autoritairement de retourner dans sa caserne car il intimide les populations. Le passage du héros à la grosse brute ne peut qu’être traumatisant et créer des doutes quant à la place réelle d’un militaire dans la société. Alors que depuis huit (8) mois les choses s’enlisent dans la complaisance, le Président de la République demande un retour dans les casernes sous 48 heures suite à la récente tuerie de Vavoua. Il y a de quoi être déboussolé.
Enfin, pour ce qui est de l’exemple, il est très difficile de demander à un enfant de ne pas battre sa sœur et ses amis si papa et maman s’arrachent les cheveux chaque soir à la maison. Les militaires ivoiriens voient leurs dirigeants violer la constitution sans complexe ; nommer illégalement une équipe au Conseil constitutionnel ; redécouper la carte électorale de manière orientée pour favoriser leur victoire ; ils voient depuis huit mois les députés humiliés, laissés sans un sou, présentés comme des usurpateurs de pouvoir alors que ce sont les élus du peuple et que légalement cette assemblée ne pouvait pas être dissoute ; ils voient que quand on gagne on a forcément raison car c’est Gbagbo qui se retrouve seul devant la Cour pénale internationale. Non seulement ils voient tout cela mais ils voient à la télévision les responsables de l’ONUCI, les dirigeants français, américains, de la CEDEAO et autres dire que tout cela est merveilleux, démocratique et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Difficile alors d’avoir une notion claire de ce qui est bien et de ce qui est mal.
Il existe toute une série de livres éducatifs dits pour les nuls sur différents sujets : le jardinage, la religion, la politique, l’informatique, etc. L’Islam pour les nuls, l’internet pour les nuls, etc. Cela ne veut pas dire que ces livres s’adressent à des nuls ! Ce sont des livres simples et facilement accessibles à tous, y compris à ceux qui ne connaissent rien sur le sujet. Peut-être serait-il temps d’écrire l’État de droit pour les nuls ! Libéraux à vos plumes ! Cette publication aurait d’ailleurs toutes les raisons d’obtenir un financement dans le cadre du programme de réconciliation nationale car l’État de droit est la racine centrale de cette réconciliation. L’occulter serait faire dans la demi-mesure.
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Sur le webÂ
Merci pour ce témoignage.
C’est affolant.
D’ici l’afrique parait remplie de république bananières ou des candidat pires les uns que les autre se batte pour le soutient occidentale qui leur assurera la victoire.
Si les occidentaux évitait de prendre parti ce serait un bon début.