La mère de l’enfant s’appelait Hermine Andermann, avec qui notre économiste avait maintenu une longue relation sentimentale. Cependant, il ne se maria jamais avec elle. Et, en 1921, Menger décéda célibataire.
Par Francisco Cabrillo, de Madrid, Espagne
Durant la décennie des années 1870 se produisit un changement fondamental dans la théorie économique. Dans un laps de temps très bref, trois économistes formulèrent, de manière indépendante, les principes de l’analyse économique moderne. Le phénomène est connu sous le nom de « révolution marginaliste ». Et ses protagonistes en furent William S. Jevons en Grande-Bretagne, Leon Walras à Lausanne et Carl Menger à Vienne. Leurs approches furent différentes et même leur manière de comprendre la théorie économique ne fût pas la même dans beaucoup d’aspects. Mais les trois coïncidèrent dans la nécessité d’abandonner la théorie objective de la valeur ; et, grâce à eux, l’utilité et les coûts marginaux devinrent le fondement de l’analyse du comportement des consommateurs, des entreprises et des marchés.
Les trois personnages eurent leur caractère particulier. J’ai déjà raconté dans un autre article que Jevons avait la curieuse obsession d’accumuler dans sa maison des quantités énormes de papier à écrire. Et viendra le moment de parler de Walras. Notre économiste du jour est Carl Menger. Né à Neu-Sandez, en Galicie – alors territoire autrichien –, l’année 1840, Menger étudia le droit, les sciences politiques et l’économie à Vienne, Prague et Cracovie. Après un bref passage par l’administration publique, en 1873, il commença sa brillante carrière académique, dont une des étapes fût d’être le tuteur du prince Rudolf, l’héritier du trône de l’Empire qui, en 1189, se suicida avec son amante – la baronne Vetzera – dans le refuge de chasse de Mayerling.
Carl Menger devint rapidement le principal économiste du monde de langue allemande. Il soutint un dur débat contre Schmoller et les historicistes allemands, qui niaient non seulement le caractère universel des principes économiques mais aussi la possibilité même d’une théorie économique générale. Et il établit les principes de l’École autrichienne d’économie ; de sorte que des théoriciens aussi brillants que Böhm-Bawerk, Mises ou Hayek furent, dans beaucoup de sens, ses disciples intellectuels.
En 1903, alors qu’il avait 63 ans, il renonça à sa chaire et abandonna l’enseignement pour toujours. Mais pourquoi fit-il cela ? Il n’avait pas atteint l’âge habituel de la pension, qui tournait autour des 70 ans pour les universitaires autrichiens. Les biographies conventionnelles ont parlé de problème de santé, ce qui est assez discutable, car il ne mourut que 18 ans plus tard. On on également dit qu’il avait besoin de tout son temps pour travailler à un traité d’économie qu’il ne réussit jamais à terminer.
Mais la réalité est assez différente. L’authentique raison, il faut la chercher dans le fait qu’en 1902 naquit son fils Karl. Celui-ci devint, por cierto, un excellent mathématicien, qui apporta – entre autres choses – des contributions intéressantes au calcul des probabilités, champ très pertinent pour l’analyse économique. Mais son arrivée au monde ne fut pas aisée. Menger avait alors rien moins que 62 ans et était célibataire. La mère de l’enfant s’appelait Hermine Andermann, avec qui notre économiste avait maintenu une longue relation sentimentale. Cependant, il ne se maria jamais avec elle. Et, en 1921, Menger décéda célibataire. Son attitude dans cette affaire est plutôt surprenante si l’on tient compte du fait qu’il se préoccupa beaucoup de son fils et fit jouer – avec succès – toutes les influences à la cour de Vienne pour obtenir la légitimation du jeune Karl. Il lui aurait été encore, sans doute, plus facile de se marier avec Hermine. Ceux qui connaissent le mieux sa vie et son œuvre insistent sur l’idée qu’il ne le fit pas parce qu’il ne le put pas. On spécule sur le fait qu’Hermine était peut-être juive, tandis que Menger était catholique. Il est possible qu’elle fût mariée, ce qui aurait posé un problème insoluble dans un pays où n’existait pas le divorce – avec la possibilité de contracter un nouveau mariage – jusqu’en 1938.
Il est également intéressant d’observer comment, dans les notes biographiques de Karl Menger, on a essayé – on essaie encore dans quelques cas – de donner une version édulcorée de l’affaire. On trouve des textes, par exemple, dans lesquels on affirme que sa mère était mariée à son père, malgré la claire fausseté de l’information. Et plus significatif encore est que quelques-unes de ces notes disent qu’Hermine était romancière et même une « romancière renommée ». Faux également, me semble-t-il. Personne n’a jamais fait référence à ses œuvres. Et j’ai moi-même cherché dans les répertoires bibliographiques internationaux et je n’ai pas trouvé une seule référence à des livres écrits par quelqu’un qui aurait le nom d’Hermine Andermann.
Je ne doute pas des bonnes intentions des biographes. Mais je crois qu’il est un peu tard pour régler le problème que laissa le vieux Carl.
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Article originellement publié par Libre Mercado.
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