Maroc : Un gouvernement de rupture ?

Le tout nouveau Premier ministre marocain, Abdelilah Benkirane, avait fait la promesse d’un gouvernement de rupture. Est-ce le cas ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
drapeau maroc CC Paille

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Maroc : Un gouvernement de rupture ?

Publié le 22 janvier 2012
- A +

Le tout nouveau Premier ministre marocain, Abdelilah Benkirane, avait fait la promesse d’un gouvernement de rupture. Mais les anciens réflexes et pratiques ont encore la vie dure.

Par Hicham El Moussaoui, depuis Beni Mellal, Maroc
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre

Après 35 jours d’attente, le trentième gouvernement dans l’histoire du Royaume chérifien a été nommé le 10 janvier dernier par le Roi Mohamed VI. Ce gouvernement cristallise beaucoup d’attentes et suscite beaucoup d’espoirs de la part des marocains qui ont voté pour un vrai changement de la pratique politique. À cet égard, le chef du nouveau gouvernement n’a pas été avare en promesses, s’engageant à rompre avec les pratiques passées en matière de composition du gouvernement et de répartition des portefeuilles ministériels. Peut-on vraiment parler d’un gouvernement de rupture à ce niveau-là ?

Des nouveautés…

En effet, c’est la première fois depuis 1977 qu’un parti obtient plus de 100 sièges – 107 plus exactement – à la Chambre des représentants, et c’est la première fois depuis 1984 qu’un parti obtient plus de 20% des suffrages exprimés. Même si une minorité de l’électorat marocain est allée voter (27% des électeurs potentiels), c’est une première aussi que l’on assiste à une vraie alternance fondée sur une légitimité populaire, contrairement à l’alternance consensuelle offerte par Feu Hassan II en 1998 au parti socialiste USFP. Par ailleurs, la nomination à la tête du gouvernement du chef du parti vainqueur des élections, de même que l’exercice « relatif » de ses attributions en matière de proposition des membres de son équipe constituent aussi une nouveauté. Néanmoins, plusieurs incohérences ainsi que des entorses à la nouvelle constitution sont à relever quant à la manière dont ce nouveau gouvernement a été composé.

Des incohérences…

Alors que le nouveau chef du gouvernement nous avait promis un gouvernement ramassé (25 membre maximum), plus jeune avec une représentativité féminine conséquente, on a eu droit à un gouvernement pléthorique, avec un jeune et une seule femme. Ainsi, avec 31 membres, on est loin de la promesse de réduction du train de vie de l’État. Cela prouve que l’on est dans la continuité du processus de formation des gouvernements précédents où la logique politicienne, consistant à contenter les alliés, a conduit Benkirane à sacrifier la rationalisation des dépenses gouvernementales. En témoigne, la division en deux des ministères comme ceux de l’économie et des finances et celui des affaires étrangères, la création de ministères sur mesure comme celui des affaires générales et de gouvernance, et le retour des ministres délégués.

Si le gouvernement sortant avait battu le record avec 7 ministres-femmes, celui de Benkirane a aussi battu un record, mais dans le sens inverse avec sa seule femme-ministre. La représentativité féminine a été sacrifiée non seulement au nom d’un certain conservatisme, mais aussi au nom de la logique de ménager les égos puisque l’on a préféré des candidats issus des liens familiaux, comme chez le Parti d’Istiqlal. Avec une femme sur 31 membres du gouvernement, la faible représentativité féminine constitue un recul flagrant, alors que la nouvelle constitution avait laissé entrevoir l’espoir de consolider la parité au plus haut sommet du pouvoir marocain.

Autre principe sur lequel Abdelilah Benkirane a cédé : celui de n’avoir que des ministres jeunes. La présence dans le gouvernement d’un seul ministre âgé de moins de 40 ans, prouve que là encore Bekirane a dû contenter les dinosaures des partis alliés au détriment du rajeunissement de son équipe.

Une autre incohérence remarquée est, que, à l’exception du ministère de la solidarité et de la famille, le PJD n’a pris aucun des portefeuilles sociaux majeurs (santé, logement, éducation…), alors que l’essentiel de ses promesses porte justement sur les secteurs sociaux. Cela signifie qu’il peut toujours se dérober de ses responsabilités en se défaussant sur les autres partis de la coalition.

Et enfin des irrégularités

La tenue du conseil de gouvernement et la passation de pouvoir entre les nouveaux ministres et ceux sortants est, de l’avis de tous les spécialistes, anticonstitutionnelle, puisque l’article 88 de la nouvelle constitution stipule clairement que le nouveau gouvernement n’est considéré comme effectif que s’il est investi par le parlement. Or, en l’absence de la déclaration gouvernementale, l’investiture ne pourrait avoir lieu. La logique constitutionnelle voudrait que ce soit le gouvernement sortant qui gère les affaires courantes en attendant l’investiture du nouveau gouvernement par le parlement.

Par ailleurs, dans la nouvelle constitution, il n’existe pas de ministre d’État, ni ministre délégué, ni secrétaire général du gouvernement (art.87). Alors que le nouveau gouvernement comprend un ministre d’État, 7 ministres délégués plus un secrétaire général du gouvernement. Mieux encore, Benkirane n’a pas hésité à nommer son fidèle ami Abdellah Baha comme ministre d’État, alors qu’il critiquait il n’y a pas si longtemps, et de manière virulente, les ministres sans portefeuille chez le gouvernement sortant.

Quant à l’activation du principe de responsabilité proportionnellement au pouvoir associé à la fonction, c’est un peu compromis puisque l’on a assisté aussi au retour des technocrates, ce qui ne favorise pas la mise en application du principe de responsabilité et de reddition des comptes qu’exige la nomination de ministres politiques. Ainsi, la réintégration de Aziz Akhenouch, comme ministre de l’agriculture et de la pêche, alors qu’il appartient au parti ayant perdu les élections et siégeant désormais dans l’opposition, est tout à fait typique de la continuité des anciens réflexes et pratiques.

Enfin, pendant que Benkirane nous promettait la disparition des ministères de souveraineté (réservé au Roi), en respect de la nouvelle constitution, l’on a assisté finalement à leur maintien. En effet, à côté des ministères qui existent de plein exercice (défense, Habous et des affaires islamiques et le secrétariat général du gouvernement), d’autres seront téléguidés par le Palais via les ministres délégués, venant chapeauter les titulaires de deux portefeuilles anciennement dits de souveraineté : le ministère de l’intérieur et celui des affaires étrangères. À ceux-là il faut maintenant ajouter le ministère de l’agriculture et de la pêche, via la nomination d’Akhenouch sur ordre royal.

Bref, les anciens réflexes et pratiques ont encore la vie dure. Reste à voir maintenant la déclaration gouvernementale pour savoir si, en matière de politique économique, c’est la continuité qui prime ou si l’on va connaître un début de rupture…

—-
Sur le web

Voir les commentaires (10)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (10)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les Français, un peu fatigués de la politique, n’attendent pas grand chose du gouvernement de Michel Barnier et de ses quarante ministres, mais l’on peut regretter que le premier d’entre eux n’ait pas eu l’idée, l’envie ou l’audace de moderniser notre vie politique. Pourtant, c’était le moment, avec cette espérance des Français d’un changement radical qui conduirait l’Etat à réduire sa dimension, ses taxes et ses prérogatives. Michel Barnier aurait dû saisir cette occasion et annoncer vouloir devenir le chef d’un gouvernement régalien. Cette ... Poursuivre la lecture

Le 7 juillet 2024, les électeurs ont envoyé à l’Assemblée nationale trois grands blocs de députés (gauche, centre/droite, extrême droite) dont aucun ne dispose de la majorité absolue de 289 sièges pour gouverner seul. Il faudra bien pourtant trouver une majorité. 

 

Certes, la réunion entre les partis organisée après les élections par Radio France International a été largement une engueulade réciproque, donnant l’image de trois blocs politiques irréconciliables.

Pourtant, si l’on regarde le profil des élus, il me sem... Poursuivre la lecture

Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.

 

Pays dynamique

Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engran... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles