Après la Grèce, le Portugal, malgré l’illusionniste Draghi

S’il devait refinancer sa dette sur les marchés internationaux, le Portugal devrait consacrer plus de 15 % de son PIB au seul paiement des intérêts. C’est impossible. Le Portugal est en faillite.

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Après la Grèce, le Portugal, malgré l’illusionniste Draghi

Publié le 27 janvier 2012
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S’il devait refinancer sa dette sur les marchés internationaux, le Portugal devrait consacrer plus de 15 % de son PIB au seul paiement des intérêts. C’est impossible. Le Portugal est en faillite. La contagion gagne toute l’Europe : les eurolâtres veulent soigner le mal par le mal.

Par Vincent Benard

La zone euro, c’est tout l’inverse du Costa Concordia : le Bateau Euroship-16 souffre de vices de conception graves, mais les capitaines successifs, Trichet et Draghi, ont réussi à piloter le monstre à travers quelques bancs de récifs en limitant les dégâts à quelques très grosses éraflures que l’équipage a pu colmater. Seul problème, à force de jouer avec les icebergs…

 

Trichet et Draghi, les Potemkine de l’euro

J’avoue une certaine admiration pour la roublardise de nos deux compères : monétiser un peu, mais juste ce qu’il faut pour que l’illusion de la soutenabilité du système éloigne toute peur inflationniste, déclarer à qui veut l’entendre que non, l’euro ne sera pas bradé aux intérêts à court terme des États, avant de lancer une opération de LTRO (voir Braquage à l’italienne) qui permet à ces mêmes banques de prêter indirectement à ces mêmes États avec de la monnaie créée à partir de rien, tout en faisant croire que l’argent est tout de même laissé en réserve à la BCE… Du grand art, à la manière du Prince Potemkine arrivant à masquer l’état pitoyable de l’empire à la Tsarine en faisant ériger de belles façades dans les villages qu’elle traversait.

Comme la grande Catherine, en ce début janvier les marchés semblent croire que la dernière manœuvre du commandant Draghi permettra d’arrimer le Paquebot Euro à bon port, en attendant que les armateurs, Sarko, Merkel and co se décident sur les modifications plus structurelles à apporter aux plans du bâtiment. Sauf que là, cela se gâte : les architectes officiels prévoient simplement d’ajouter un étage supplémentaire à la pile de dettes du bâtiment, sous la forme du MES et du FESF. Ceux qui prônent la restructuration des dettes doivent, pour l’instant, se contenter de celle de la Grèce, dont on nous avait pourtant dit que l’Europe l’empêcherait de faire faillite…

Ça y est, je ne peux pas m’empêcher d’être pessimiste. C’est vrai, quoi, les marchés soufflent, les taux italiens et espagnols ont connu une détente, et les prochains sommets européens vont consacrer enfin d’ambitieuses politiques de redressement, non ? Qu’est-ce qui pourrait encore foirer ?

 

Soupe portugaise…

Le Portugal, par exemple ? Ah, oui, le Portugal…

Soyons directs : le Portugal sera clairement la prochaine Grèce. Un ratio dette publique/PIB de 111 % (à peu de chose près, celui de la Grèce fin 2008), et un taux d’intérêt des obligations à 10 ans de 14 % (graphique ci-dessous, source Bloomberg) sur une trajectoire verticale… Malgré des plans d’austérité drastiques (-25 % sur le salaire des fonctionnaires…), le déficit public ne devrait passer que de 6 % à 4,5 % du PIB dans le meilleur des cas, avec plus de 2 % de récession prévue en 2012 !

Le Portugal est clairement entré en phase d’emballement de la dette publique, qui est à l’économie ce que le syndrome chinois est à une centrale nucléaire.

 

Autrement dit, s’il devait refinancer sa dette sur les marchés internationaux, le Portugal devrait consacrer plus de 15 % de son PIB au seul paiement des intérêts. C’est impossible. Le Portugal est en faillite, point. Pas besoin de faire un dessin, LTRO ou pas, aucun banquier, aucun assureur sain d’esprit n’achètera de dette portugaise nouvelle. Le Portugal a bénéficié d’une première aide de 78 milliards, tout comme la Grèce en avait reçu une, pour le résultat que l’on connait. Il lui en faudra d’autres. Mais d’où viendra l’argent ? Les marchés ne goberont pas les manœuvres de collectivisation des ardoises de type FESF ou MES qui n’arrivent pas à lever de fonds, dans un contexte de dégradation de la note souveraine des pays qui forment leur ossature. Les adhérents du FMI ne semblent pas prêts à augmenter sa force de frappe à fonds perdus, et aucune épargne sensée n’ira parier sur le redressement d’un tel bateau ivre.

Donc soit le Portugal fait défaut, soit Super Mario trouve une nouvelle entourloupe pour faire croire qu’il ne monétise pas tout en monétisant. En priant pour que le volume de monétisation n’excède pas la contraction de l’argent dette, sans quoi le retour de la très grosse inflation sera inévitable… Hyperinflation ou méga-contraction, que l’alternative est joyeuse.

Ajoutons que la somme des dettes publiques et privées du Portugal atteint 360 % du PIB : plus que les USA au moment de l’éclatement de la bulle des subprimes. Dois-je vous faire un dessin sur ce que cela signifie pour les banques portugaises ? Des prêts non performants en pagaille, une contraction du crédit sans précédent, et un capital qui fuira cet enfer comme la peste. Où les entreprises trouveront-elles l’argent pour recréer des postes de travail ? Dans ces conditions, toute prévision de retour à la croissance du Portugal est vaine.

 

Contagion : les eurolâtres veulent soigner le mal par le mal

L’imbrication des économies portugaises et espagnoles provoquera évidemment des retombées dans toute la péninsule ibérique. Le temps nécessaire au franchissement des Pyrénées est incertain, mais semble s’accélérer.

Mais que les Portugais, Espagnols et Français se rassurent : l’Irlande ou la Hongrie pourraient plonger avant. Voire même l’Italie, malgré son excédent primaire dont on nous rebat les oreilles. Tous ces pays souffrent des mêmes maux que le Portugal, seuls les chiffres varient à la marge. Ça, c’est vraiment rassurant. Tenez, prenez l’Italie : des bons à 7 % et une dette égale à 120 % du PIB, et plus de 400 milliards à emprunter sur les marchés en 2012. Je vous laisse calculer l’excédent budgétaire primaire nécessaire pour éviter que la situation ne se détériore…

Et que prévoient nos euro-génies ? Utiliser toutes les ressources du FMI, qui n’a plus d’argent, pour prêter à l’Europe… « Le temps de passer un simple mauvais cap », « la croissance va revenir… »

Sur BFM, les banquiers, les politiques, les gérants de fonds (sauf Olivier Delamarche, le seul gérant avec accès aux médias à oser dénoncer l’idiotie ambiante) se succèdent au micro pour appeler l’Europe à enfin mettre sur pied le FESF ou le MES, ou des eurobonds, autant de dispositifs visant à résoudre un problème d’emballement de la dette par davantage de dette… Mais oui, bien sûr, ça a si bien marché pour la Grèce !

La leçon de la Grèce, justement, est que la promesse de sauvetages européens n’a fait qu’empirer la situation. En quatre ans, la dette est passé d’environ 110 % du PIB à 170 %, et même les haircuts proposés aujourd’hui à plus de 70 % ne lui permettront pas de retrouver un taux d’endettement soutenable… Si la Grèce n’avait pas eu l’Europe pour lui faire croire qu’elle pouvait tout d’abord s’endetter au prix allemand de façon infinie, puis se sauver de cette crise de dette sans faire preuve de courage politique, eh bien, elle aurait dû prendre des mesures de redressement bien plus précoces, à partir d’une situation encore rattrapable. On a voulu faire jouer la solidarité entre membres de l’Eurozone, et voilà le résultat. Plus dure sera la chute.

 

La Suède s’en était sortie en dévaluant

Rappelons que la Suède s’est sortie en 1993 d’une situation un peu moins grave que celle des PIIGS, mais bien compromise tout de même (un déficit annuel monté à 12 % du PIB en 92 contre 3 % en 1990, une crise de dettes publiques et bancaire liée à l’immobilier, des dépenses publiques à 67 % du PIB, etc.), d’une part en privatisant des pans entiers de son État providence, mais d’autre part en laissant sa couronne se dévaluer de plus de 30 %… La Suède a dû se débrouiller seule et a pu laisser choir sa monnaie au niveau de correction que son sur-endettement rendait nécessaire.

Dévaluer la monnaie n’est pas un acte joyeux, contrairement à ce que nous chantent les adeptes de l’euro faible, car il signifie une très grosse perte de pouvoir d’achat pour ses détenteurs. Quand elle n’est pas manipulée, la force d’une monnaie est le reflet de la force des entreprises qui produisent dans cette monnaie. Mais parfois, il faut savoir reconnaître ses pertes pour mieux repartir. La dévaluation est une forme de reconnaissance de ces pertes.

Mais hélas, nos dirigeants ne semblent pas vouloir envisager une dissolution intelligente de l’Euro pour permettre aux PIIGS de ne pas sombrer. Nous coulerons tous ensemble avec la galère, au lieu de monter dans les chaloupes de sauvetage.

Bon, mais rassurez vous, Super Mario va déployer des trésors d’ingéniosité pour retarder l’échéance, après tout, c’est lui qui a permis à la Grèce de maquiller ses comptes pendant des années… Et après cela, « la croissance finira par revenir et nous sauver », nous disent les politiques. Eh oui, malgré toutes les incertitudes sur la fiscalité, la monnaie, et la stabilité bancaire, et la raréfaction du capital, les Européens vont se remettre à faire des projets d’avenir, à investir, à innover en masse. Vous n’y croyez pas ? Bande de défaitistes, va…

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