Par Ludovic Delory.
Le 28 janvier 2012, la commune belge de La Panne n’avait prévu aucune célébration particulière pour le centenaire de la mort de Gustave de Molinari. En réalité, si vous leur demandez ce qu’évoque pour eux la localité d’Adinkerke, les Belges parleront spontanément des dunes du Westhoek et du parc d’attractions Plopsaland. Aucun d’entre eux n’aura l’idée de lier ce hameau frontalier de la France au lieu qui vit périr l’un des plus grands défenseurs de la liberté du siècle passé.
Gustave de Molinari est né à Liège le 3 mars 1819. Économiste, journaliste, écrivain, il publie de nombreux essais sur l’essor du chemin de fer, sur l’industrie et l’abolition de l’esclavage. Il s’installe à Paris dès l’âge de 21 ans. Contemporain de Frédéric Bastiat, il entretient avec ce dernier des liens intellectuels qui le conduisirent à devenir rédacteur de son journal Le libre Échange. Molinari restera journaliste jusqu’au bout, comme en témoigne son engagement dans Le journal des économistes, qu’il dirigera de 1881 à 1909. Comme lui, Frédéric Bastiat, Léon Walras et Vilfredo Pareto contribuèrent au succès de cette revue.
La pensée de Molinari s’articule autour des principes fondamentaux de la doctrine libérale : liberté d’expression, droit d’association des travailleurs (comme Bastiat, il défendra les syndicats au nom de la liberté d’association) et formation libre des individus par l’éducation. C’est à Molinari que l’on doit les bourses du travail qui ont permis aux syndicats d’organiser le placement des ouvriers en entreprise à la fin du XIXe siècle.
Tout au long de sa vie, Molinari aura donc combattu l’intervention de l’État dans des domaines aussi variés que l’émission de monnaie, l’éducation ou la sécurité. L’économiste Pierre Lemieux le classe parmi les premiers anarcho-capitalistes. Molinari croyait à une loi naturelle définissant un droit individuel équivalent à la « souveraineté individuelle ». Dans une approche tout à fait lockéenne, il écrivait :
La souveraineté réside dans la propriété de l’individu sur sa personne et sur ses biens et dans la liberté d’en disposer, impliquant le droit de garantir lui-même sa propriété et sa liberté ou de les faire garantir par autrui… Si un individu ou une collection d’individus use de sa souveraineté pour fonder un établissement destiné à pourvoir à la satisfaction d’un besoin quelconque, il a le droit de l’exploiter et de le diriger suivant les impulsions de son intérêt, comme aussi de fixer à son gré le prix de ses produits et de ses services. C’est le droit souverain du producteur. Mais ce droit est limité naturellement par celui des autres individus non moins souverains, considérés en leur double qualité de producteurs et de consommateurs.
Les Soirées de la Rue Saint-Lazare (publiées en 1849) contribuèrent au succès international de Gustave de Molinari. Ses arguments en défense de la propriété privée, contre les monopoles en matière de monnaie et de sécurité sont exposés sous forme d’entretiens entre un conservateur, un socialiste et un économiste. On y trouve, toujours exposés dans une langue limpide, des arguments qui ont valeur de prophétie. Comment, par exemple, ne pas voir dans ce court extrait une prédiction de la catastrophe financière qui nous hante aujourd’hui ?
Jadis, lorsque les gouvernements se trouvaient hors d’état de payer leurs dettes, ils falsifiaient leurs monnaies, en y ajoutant du cuivre ou du plomb, ou bien encore en diminuant le poids des pièces. De nos jours, ils procèdent autrement : ils empruntent de grosses sommes à des établissements qu’ils autorisent exclusivement à fabriquer de la monnaie de papier. Privée de sa base naturelle et nécessaire, cette monnaie se déprécie dans les moments de crise. Le gouvernement intervient alors pour obliger le public à supporter la dépréciation.
Molinari défend enfin la position selon laquelle la paix résulte nécessairement de la fin du monopole de la justice et de la sécurité, thèse qui sera reprise et complétée par Murray Rothbard ou David Friedman.
Les Soirées de la Rue Saint-Lazare sont rééditées, en langue française, par les Éditions Élibron. Sans le réseau internet, l’œuvre prolifique de Molinari serait probablement restée confidentielle. Bien que mort à Adinkerke, c’est au Père-Lachaise (Paris) que l’économiste repose depuis un siècle. L’Institut Économique Molinari revendique aujourd’hui son héritage. Si j’en crois Google, aucune rue, aucune place, aucune école de mon pays ne porte le nom de Molinari. La Belgique ne tire visiblement aucune fierté d’avoir enfanté l’un des plus grands intellectuels de l’école libérale.
À Adinkerke, le centenaire de sa mort passera complètement inaperçu. Pourtant, à la vue des nombreux commerces de tabac installés à deux pas de la frontière pour permettre aux fumeurs français de profiter des bienfaits de la concurrence, Gustave — l’oublié — aurait sans doute souri.
Molinari était plutôt du 19e que du siècle passé. Et la Belgique n’a enfanté personne en 1819.
http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/enfanter/
C’est l’année qui pose problème.
#LudovicDelory évoque le #centenaire de la mort de #Molinari. http://t.co/AuFDCezD
Bravo – et merci – pour ce rappel que la Belgique ne produit pas que des nains (même si la Belgique n’existait pas à la naissance de Molinari…)
de Molinari est tellement oublié que même l’Institut Molinari ne fait aucune mention de cette commémoration, ce que j’ai regretté, dans un message à ce think-tank.
Cordialement
En effet, je n’avais pas remarqué l’absence de commémoration de la part de l’Institut Molinari, c’est bien dommage.
merci pour ce rappel !
la bien pensanse préfère commémorer la naissance de Marx.
Certes Molinari n’était pas belge a sa naissance, il était de la « Principauté de Liège », c’est bien mieux, car a l’instar de Tchantchès il a probablement été biberonné au pékêt!