La Suisse est animée par un débat sur l’opportunité du prix unique du livre, promu ardemment par les éditeurs. Au détriment des consommateurs comme d’habitude.
Un article de Stéphane Montabert, de Renans (Suisse).
La bataille fait rage autour du prix du livre. Mercredi, dans les colonnes du Temps, Dominique de Buman, qu’on a connu plus inspiré, explique ainsi que le prix élevé des livres en Suisse démontre un « échec du marché libre ». Le discours détonne de la part d’un membre du camp prétendument bourgeois.
Il n’est pourtant pas le seul à penser cela. Du côté des partisans du contrôle des prix, on assiste dès la page d’accueil à la profession de foi d’un Oliver Feller en faveur d’une économie de marché « régulée ». L’attitude anti-libérale du conseiller national radical détonne comparé au discours tenu par les adversaires de ladite réglementation où foisonnent non seulement les interventions anti-prix unique de plusieurs jeunes pousses des libéraux-radicaux, mais aussi celle de Fluvio Pelli, président du PLR.
On dirait qu’il y a de l’eau dans le gaz du mariage libéral-radical. A moins que cette absence de cohérence ne soit un objectif stratégique? Après tout, cette façon de faire permettra de mettre devant les caméras des personnalités du parti victorieuses le soir de la votation du 11 mars, quel que soit le résultat.
Mais revenons à notre question du prix du livre et de « l’échec du marché ». Sans verser dans l’idéologie, les arguments en faveur du livre à prix unique ne manquent pas, même si, à y regarder de plus près, un certain nombre d’entre eux est à double tranchant.
Ainsi, la Loi sur le Prix du Livre (LPL) serait « simple » puisque son application serait déléguée à Monsieur Prix. Faire appel au super-héros de l’administration est tentant mais ses nombreuses victoires contre les vilains méchants prix laissent en bouche un petit goût d’inachevé. La surveillance des prix remonte à 1985. On ne peut pas vraiment dire que la Suisse a cessé d’être un îlot de cherté depuis – dernier exemple en date, la téléphonie mobile.
Autre argument-choc, « les professionnels du livre sont unis en faveur de LPL. » A quelques exceptions près, avoue humblement le site: c’est-à-dire, les gros sont avec nous, mais pas forcément tous les autres.
Je ne sais pas pour vous, mais sachant que nous parlons là des professionnels suisses du livre – vous savez, ceux qui vous refourguent leurs cargaisons de bouquins avec un taux de change de 2,5 CHF pour 1 € – une telle unanimité me conduirait plutôt à me méfier. Ces gens-là se sont mis d’accord avec un projet de loi visant à faire baisser le prix des livres? Ha!
Et puis il y a aussi l’incontournable ritournelle sur le livre qui élève l’Homme, le livre vecteur de culture suisse rayonnante et victorieuse, le-livre-n’est-pas-une-marchandise, scandez, scandez, il en restera toujours quelque chose…
Les partisans du prix unique n’ont pas de légitimité particulière pour s’accaparer un constat partagé par tout le monde: les livres sont trop chers en Suisse.
(Le reste aussi d’ailleurs, mais tous les biens d’importation n’ont pas le mauvais goût d’afficher leur prix en euro imprimé sur l’emballage – on imagine le tollé si c’était le cas. Peut-être la solution serait de gratter le prix en euro imprimé sur la couverture plutôt que de le recouvrir pudiquement d’une étiquette?)
La cherté du livre est-elle l’effet d’un marché libre qui a échoué? Ou est-ce au contraire, comme dans bien d’autres secteurs, le résultat de l’action de cartels d’importateurs agréés et de monopoles de modèles de distribution verticale qui se gavent gaiement du pouvoir d’achat helvétique en empêchant toute concurrence? Le marché du livre est-il trop libre ou pas assez libre?
Nous avons d’un côté des partisans du prix unique qui pensent, ou en tous cas prétendent clairement, que le prix unique décidé par l’administration forcera les prix à baisser. De l’autre, une frange d’opposants affirme qu’il n’en sera rien, que l’action de la force publique contre les « marges excessives » est une pantalonnade que les acteurs du secteur, en toute connivence, auront tôt fait de contourner.
Chacun y va de ses arguments et de sa liste d’exemples ou de contre-exemples internationaux…
Il se pourrait que la sincérité des uns et des autres – et les conséquences concrètes de la LPL – se soit révélé au travers d’une polémique sur l’interprétation que doit avoir le projet de loi pour les ventes de livre sur Internet, qui a fait suffisamment de bruit pour être reprise dans plusieurs médias.
Le prix unique s’appliquera-t-il au commerce en ligne effectué depuis un site étranger?
[Au] final le texte reste ambigu. Il ne mentionne que les importations en Suisse à titre professionnel. Ce qui a fait dire mardi au ministre de l’économie Johann Schneider-Ammann que si l’on achète un livre sur Internet pour ses besoins personnels, la nouvelle réglementation ne s’appliquerait pas.Une affirmation pas du tout du goût des partisans du prix unique: la loi précise que la réglementation s’appliquera à tous les livres neufs et rédigés dans une des langues nationales et commercialisés en Suisse. Selon eux, il suffit que le client se situe en Suisse pour que l’ouvrage y soit commercialisé. Pour d’autres, il faudrait que l’acheteur et le vendeur soient en Suisse.
Si le peuple dit « oui » le 11 mars, l’affaire risque donc de finir devant les tribunaux.(…)
Un prix unique « transfrontalier » contreviendrait à l’accord de libre-échange de 1972. Mais sans rentrer dans les détails juridiques, la position des acteurs est claire: les partisans du prix unique tiennent absolument à ce que les livres vendus sur Internet et livrés en Suisse, à travers Amazon par exemple, soient eux aussi soumis à la législation sur le prix du livre.
Cette polémique a tout pour déciller les yeux des plus indécis:
A votre avis, est-ce parce que les livres vendus en ligne seront plus chers ou moins chers que ceux disponibles en Suisse si la Loi sur le Prix Unique est adoptée?
Poser la question, c’est y répondre.
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