James Mill et Jeremy Bentham, un couple étrange

Bentham et Mill durent former un couple particulier. Mais nous, les économistes, devons beaucoup à leur amitié et leur collaboration

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James Mill et Jeremy Bentham, un couple étrange

Publié le 11 février 2012
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James Mill partageait, en théorie, les préoccupations de Malthus sur la croissance excessive de la population. Mais je crains qu’il n’essaya jamais de mettre ces théories en pratique, car ce bon James fit à sa femme neuf enfants.

Par Francisco Cabrillo, de Madrid, Espagne

Il y a peu de doutes sur le fait que Bentham exerça une grande influence dans le développement de l’École anglaise d’économie politique ; influence qui, dans une bonne mesure, est arrivée jusqu’à nos jours. Mais Bentham, en plus d’être un type pittoresque, était un penseur très désorganisé, et une bonne partie de son œuvre n’aurait pas vu la lumière sans deux disciples qui organisèrent, systématisèrent et publièrent beaucoup de ses écrits. L’un d’eux fut le Genevois Etienne Dumont, à qui on doit le fait que beaucoup des œuvres juridiques de Bentham furent publiées d’abord dans leur version française. Le second, James Mill, économiste notable, fit beaucoup pour qu’aussi bien les idées utilitaristes que les travaux de David Ricardo aient en Angleterre la grande diffusion qu’ils connurent en leur temps.

James Mill

James Mill, né en Écosse en 1773, est connu surtout pour avoir été le père d’une des grandes figures intellectuelles du 19e siècle, John Stuart Mill… et pour la particulière éducation qu’il donna à son fils, déjà commentée dans un autre article de cette série. Mais il fut un éminent économiste et historien qui apporta des contributions à la pensée économique aussi importante que la popularisation de la loi de Say, qui établit que, dans une économie de libre marché, il ne peut se produire un excès d’offre agrégée par rapport à la demande agrégée ; ou le développement de ce qu’on connaît comme la théorie ricardienne des coûts comparatifs, selon laquelle ce qui compte dans le commerce international, ce n’est pas que les coûts de production soient dans un pays supérieurs ou inférieurs que dans un autre en termes absolus ; ce qui permet de conclure que la stratégie efficace est de toujours se spécialiser dans la production des biens qui sont relativement meilleur marché dans chaque nation. Et il fut l’auteur d’une imposante Histoire de l’Inde britannique qui non seulement connut un grand succès dès sa publication en Angleterre, mais garantit son futur économique en lui ouvrant la voie vers des postes de responsabilités – et bonne rémunération – dans la Compagnie des Indes orientales.

Et ce dernier aspect fut très important dans sa vie. Pendant beaucoup d’années, James Mill avait eu de sérieux problèmes économiques. Notre personnage partageait, en théorie, les préoccupations de Malthus sur la croissance excessive de la population. Mais je crains qu’il n’essaya jamais de mettre ces théories en pratique, car ce bon James fit à sa femme neuf enfants, l’un derrière l’autre. Et s’en sortir avec neuf enfants coûte beaucoup d’argent.

Jeremy Bentham

Bentham, qui était un homme fortuné, vint à son secours. Depuis 1809, la famille Mill vivait par moments dans la maison de campagne de Bentham et en 1814, ce dernier acquit une maison qu’il loua à la famille Mill à la moitié du prix de la location sur le marché. Elle était située très près de son propre domicile, ce qui permettait une relation étroite entre eux. Mais à partir de cette même année 1814, cette relation se refroidit de manière substantielle. La cause de cela n’est absolument pas claire. Mais on mentionne un fait qui est suffisamment stupide que pour avoir réellement été le motif de la crise. Il semble qu’un jour Bentham décida de se promener, comme il le faisait habituellement, et souhaita que Mill l’accompagne. Mais celui-ci – malchance !– avait convenu de monter à cheval avec Joseph Hume. Ce Hume était un personnage très connu de la vie politique en Angleterre à l’époque. Député radical, il lutta pour démocratiser la vie du pays, appuyant des mesures comme l’émancipation des catholiques ou la réforme électorale. Mais Bentham se sentit profondément offensé par le comportement des cavaliers. Tout radicaux et réformistes qu’ils étaient – dût-il penser –, il était le maître et la personne importante. Et si le maître se promène à pied, les disciples ne montent pas à cheval.

La nouvelle situation causa une grande préoccupation chez Mill, qui pensa que, après ce qui s’était passé, il ne pouvait continuer d’accepter l’aide de Bentham. Mais cela lui posait un problème économique rien moins que dédaignable. C’est pourquoi quelques amis radicaux se mobilisèrent pour lui venir en aide. Et il semble qu’un autre homme politique de premier plan de l’époque – Francis Place – commença à lui prêter de l’argent. Heureusement, Dieu ne veut pas la mort du pécheur… même pas les penseurs radicaux ; et le poste dans la Compagnie des Indes orientales en 1819 régla définitivement ses problèmes pécuniaires.

La relation directe entre Bentham et Mill ne fut donc pas trop longue. Tous deux étaient des types plutôt rares, et ils durent former un couple particulier. Mais nous, les économistes, devons beaucoup à leur amitié et leur collaboration.

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Article originellement publié par Libre Mercado.

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