Foreclosure Gate, un accord à 25 milliards très clément pour les grandes banques

Le scandale autour des saisies immobilières illégales aux Etats-Unis aurait-il trouvé un terme avec l’accord conclu récemment? Contrepoints vous en propose l’analyse par un expert du sujet.

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Foreclosure Gate, un accord à 25 milliards très clément pour les grandes banques

Publié le 16 février 2012
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Le scandale autour des saisies immobilières illégales aux États-Unis aurait-il trouvé un terme avec l’accord conclu récemment ? Contrepoints vous en propose l’analyse par un expert du sujet.

Par Vincent Bénard

Foreclosure aux Etats-Unis
Foreclosure aux Etats-Unis

Moins médiatique que l’accord-qui-n-en-finit-pas-d-être-conclu avec la Grèce, un autre accord long à accoucher pourrait enfin trouver sa conclusion : c’est l’accord entre les 5 plus grandes banques de crédit immobilier aux USA – Bank Of America, Wells Fargo, Citi, JP Morgan et GMAC/Ally – et 49 des 50 procureurs généraux américains (l’Oklahoma n’a pas signé, aucune importance) sur le volet « saisies illégalement conduites » du Foreclosure Gate – Dont je rappelle que mon livre reste absolument le seul à décrire en détail et en français compréhensible. Fin de l’auto promo.

Enfin, pour l’instant, l’accord est annoncé, un site web est mis en place avec des résumés, mais l’accord lui même n’est pas encore en ligne à l’heure ou j’écris ces lignes (dimanche soir). Au point que le site « American Banker », généralement bien informé, se demande si l’accord est réel. Donc ce qui suit peut devoir être corrigé sous peu.

Le foreclosure-gate, c’est quoi ?

Rappelons brièvement de quoi il s’agit. Pour permettre la titrisation de créances de qualité très douteuse sans que cela ne se voie trop, les banques ont mis au point un système d’enregistrement électronique des créances (MERS) qui, après moult batailles juridiques, a été déclaré illégal dans environ deux tiers des États de l’Union. Ce système ne respectait pas les règles d’enregistrement légal de la propriété foncière et des hypothèques rattachées à cette propriété. Face à un afflux de maisons à saisir, les grandes banques ont préféré fabriquer de faux documents reconstitués à partir de la base donnée MERS, et faire signer à la chaîne (« robo-signing ») de faux certificats d’authenticité de ces documents par des employés qui n’avaient pas les moyens matériels de vérifier quoi que ce soit et qui imitaient la signature de vices présidents des banques en question, pour les présenter devant les tribunaux, généralement sans avoir conduit les étapes de négociation généralement obligatoires avec les propriétaires avant de conclure la saisie.

Cela, c’est le cas de figure le moins grave, celui ou l’emprunteur était vraiment en défaut de paiement. La banque s’est alors « simplement » assise sur les droits de la défense en présentant de faux documents au juge, mais « fondés sur des informations authentiques ». Ce faisant, la banque a commis un faux en écritures publiques doublé d’un outrage à la cour, en droit américain, « parjure », au dépens des droits de la défense. Certainement, dans un monde normal,cela n’aurait pas dû donner au mauvais payeur un droit à une maison gratuite, mais sûrement à un chèque de dommages et intérêts de la part de la banque effectuant la saisie.

Pire encore, la base était percluse d’erreurs, et un certain nombre de ces saisies étaient non seulement conduites sur la base de documents « reconstitués », mais comportant des erreurs, voire des erreurs graves, sur la créance : erreur d’adresse de la maison à saisir (!), erreur sur le montant restant dû (! !), etc. Quel pourcentage des saisies menées était entaché de telles erreurs ? L’accord, nous le verrons, fait en sorte qu’on ne le sache jamais.

Et, ultime indélicatesse, dans de nombreux cas, les banques ont été soupçonnées, et parfois convaincues, d’avoir volontairement dégradé le bilan des débiteurs en facturant des frais fictifs, en tripotant les dates de valeur (Il n’y a qu’aux USA que cela choque. Les banques françaises le font tous les jours et personne ne dit rien !), ce qui, à l’injure du faux en écritures publiques, ajoute la blessure du vol. Certains audits d’échantillons de dossier en forclusion ont montré que de tels larcins bancaires étaient pratiquement la règle, le vol de grande ampleur, plus difficile à dissimuler, étant moins généralisé, mais sûrement pas marginal. J’ai évoqué dans le livre quelques unes de ces manÅ“uvres comme la vente forcée d’assurances par la banque à des tarifs prohibitifs, avec rétrocommission à la banque. Quelle proportion de propriétaires ont été victimes de ces manÅ“uvres ? Là encore, l’accord devrait rendre difficile l’évaluation future de l’ampleur des délits.

La description ci-dessus ne recouvre pas l’autre volet du Foreclosure-Gate, à savoir les titrisations frauduleuses, qui ne sont pas couvertes par l’accord, je n’en parlerai donc pas ici (voir nombreux liens en fin d’article).

Ce que prévoirait l’accord

Tout d’abord, voici les termes officiels de l’accord, selon le site web des parties prenantes : les cinq collecteurs de crédit condamnés ont accepté une pénalité de 25 milliards de dollars et de cesser les pratiques frauduleuses constatées sous astreinte pouvant monter à 1 millions de dollars pour toute infraction postérieure à l’accord.

Les 25 milliards se décomposent comme suit :

– 17 milliards de dollars de réduction de principal ou d’intérêts pour des emprunteurs en difficulté. Cela peut paraître beaucoup, mais cela fait moins de 3000$ par prêt actuellement en grande difficulté de paiement. Ajoutons que l’accord ne dit pas sur quels critères les dossiers « repêchés » seront sélectionnés, ce qui laisse la porte ouverte à certains abus, que nous détaillerons plus loin.

– Pour les emprunteurs qui paient mais dont la maison vaut moins que le prêt, une enveloppe de 3 milliards de réduction de principal sera ouverte. Mêmes observations.

– 5 milliards d’amendes versées aux États pour compensation des coûts sociaux supportés par la collectivité du fait des saisies illégales, dont 1,5 milliards de pénalités versés à 750 000 personnes victimes de saisies où les banques ont utilisé des documents « reconstitués » et « robo-signés ». Cela fait 2000 $ par famille dont les droits juridiques ont été piétinés. Certains jugent que c’est une sinistre plaisanterie, d’autres disent que l’accord prévoit que cette somme sera versée même en absence de préjudice financier (forclusion vraiment due) et que l’accord n’empêche pas des poursuites individuelles lorsque le préjudice a été supérieur.

– Un nouveau code de protection de l’emprunteur, incluant l’obligation de négocier des réductions de principal ou d’intérêt avant mise en saisie, et l’interdiction du « robo-signing ».

– Un superviseur national indépendant sera chargé de surveiller la mise en application de l’accord. De quels moyens disposera-t-il ? Les sanctions, en cas d’infraction, pourront monter jusqu’à 1 millions de dollars, voire cinq pour certains types d’infractions particulièrement grave. Tout est dans le « jusqu’à »…

– L’accord n’interdit pas les poursuites pénales au niveau des États pour chaque cas où les infractions commises iraient au-delà d’un « simple » robo-signing sur un prêt réellement en difficulté. Notamment, les procureurs des États peuvent poursuivre les pratiques de titrisation frauduleuse, et les investisseurs de RMBS poursuivre les manquements aux obligations de sincérité des émetteurs de ce papier.

– Les emprunteurs peuvent poursuivre seuls ou en class action tout comportement illicite des banques, indépendamment de cet accord.

Analyse

À première vue, l’accord parait correct : certes, les compensations financières aux emprunteurs victimes de forclusion illégales sont ridicules, mais l’accord n’interdit pas les poursuites individuelles ou collectives ultérieures. Pour un commentateur peu suspect de sympathies pro-banques comme Felix Salmon, c’est un point extrêmement positif.

En outre, les critères applicables à la collecte des prêts futurs rendront nettement plus difficiles l’imputation aux emprunteurs de frais fictifs, de placement d’assurances forcées, etc. Si la supervision de l’accord permet de faire respecter ces clauses, alors c’est une avancée pour les propriétaires en difficulté. Évidemment, l’on peut tout de même se demander si un tel accord pour simplement forcer les banques à respecter des provisions légales déjà en vigueur est réellement une victoire. Mais certains diront que c’est mieux que rien.

Mais à seconde vue, l’accord semble contenir tellement de « trous de souris » qu’on peut se demander s’il ne constitue pas un nouveau « bailout » furtif des banques. Faute de disposer du texte précis de l’accord au moment ou j’écris ceci, je suis réduit à poser des questions, mais le fait que ces questions ne sont pas traitées par les résumés fournis est tout de même inquiétant.

Tout d’abord, qui supportera in fine les réductions de principal aux emprunteurs en difficulté ? Ces emprunts sont détenus en priorité par des investisseurs institutionnels ou des épargnants, et pour l’instant, si le texte de l’accord n’est pas encore mis en ligne, les annonces de presse et résumés sont muets sur le sujet. Inquiétant pour les investisseurs : si les pertes sont imputées aux RMBS, cela veut dire que les 25 milliards de pénalité en seront réellement bien moins. (site de l’accord). Les banques devront-elles compenser les éventuelles pertes des RMBS sur les 20 milliards de réduction de principal ?

D’ores et déjà, une association de détenteurs de RMBS a fait part de ses inquiétudes dans le Wall Street Journal. Le professeur de droit Adam Levitin, souvent recruté comme expert judiciaire dans les affaires de RMBS et cité abondamment dans mon ouvrage, estime que l’accord sera en fait payé par les investisseurs, pas par les banques. Il y a de la gruge dans l’air ?

Deuxièmement, l’office central de supervision pourra-t-il superviser efficacement des millions de prêts ? Comment cet office appliquera-t-il la formule « jusqu’à » un million par infraction ? Là encore, le texte définitif nous éclairera.

Mais ces considérations pourtant majeures ne sont pas les plus importantes.

Pas d’investigation fédérale : les dirigeants qui ont couvert la fraude peuvent dormir tranquille… avec leurs bonus

L’absence d’investigation fédérale rendra bien plus difficile la tâche des propriétaires expulsés indûment ou sur la base de sommes mal calculées, car s’ils portent plainte individuellement contre les banques, ils ne pourront pas faire état des découvertes faites dans le cadre de ces enquêtes. En outre, l’État fédéral et les États peuvent lancer des commissions rogatoires (« subpoena »), pas les plaignants individuels, même s’ils se regroupent au sein d’une class action. Comme je le dis dans mon livre, des propriétaires expulsés, financièrement exsangues, et sans l’aide d’une enquête du procureur, ne sont pas le plus gros danger pour les banques.

Ajoutons que d’habitude, ce type d’accord se conclut après une enquête établissant les charges. C’est ainsi que la SEC procède, par exemple. Ici, pas d’enquête, donc pas de charges détaillées, hormis les pratiques connues révélées par la presse. Pas d’estimation du pourcentage réel de faillites frauduleuses. Pas de tentative de relier ces faillites à des pratiques de « predatory lending » visant à faire signer « du prêt » à n’importe quel « pigeon » pour encaisser des commissions sur la revente des créances, au mépris le plus absolu des « chartes de prêt » régissant les critères d’octroi habituels de crédit au sein de chaque établissement, etc.

Enfin, l’État ne cherchera pas à déterminer dans quelle mesure les dérives constatées étaient le fruit de décisions délibérées du top management des banques impliquées.

Par conséquent, il devient extrêmement improbables que des poursuites PÉNALES puissent être menées contre les ex-dirigeants qui ont orchestré ce grand bal des escrocs, qui pourront donc continuer à jouir de leurs monstrueux bonus gagnés pendant les années bulle.

Si vous pensez en vous même : « c’est scandaleux », vous avez raison. Bienvenue dans le nouvel ordre oligarchique des grandes banques de Wall Street, ou les compensations des fraudes sont juste un coût opérationnel parmi d’autres.

Mais il y a pire. L’accord pourrait laisser le champ libre aux 5 banques concernées pour continuer à masquer des pertes importantes et leur permettre d’imputer des pertes qui devraient leur échoir à d’autres investisseurs…

Le problème de l’imputation des pertes aux premières et secondes hypothèques, une bombe à 175 milliards… voire 475 ! 

Les lecteurs de Contrepoints dotés d’une bonne mémoire s’en rappellent peut être :

D’une part, les banques ont conservé par devers elles environ la moitié des obligations collatéralisées par de l’immobilier émises sous « label privé », c’est-à-dire sans passer par Fannie Mae ou Freddie Mac. L’autre moitié, environ 1400 milliards de dollars, a été revendue à des investisseurs. Sur les 1400 milliards conservés dans leurs bilans, les banques ont environ 400 milliards de prêts dits de « seconde hypothèque », plus risqués que les prêts dits de « première hypothèque », puisque ce sont des prêts que des emprunteurs ont contractés par-dessus un premier prêt pour profiter de la valorisation artificiellement gonflée de leur maison.

La logique voudrait que les secondes hypothèques soient des créances « junior », c’est-à-dire que tout encaissement doit d’abord servir les fonds détenteurs de premières hypothèques, puis seulement les secondes s’il reste de l’argent. Or, les banques détentrices de ces secondes hypothèques et collectrices des remboursements sont fortement soupçonnées d’avoir mis en place des montages permettant de servir mieux que la normale les prêts de seconde hypothèque, qu’elles conservent par-devers elles.

Or, je n’ai rien trouvé sur cette question dans les textes préliminaires du site web. Selon l’analyste indépendante Yves Smith, il semblerait, mais cela devrait être étudié finement avec le texte final de l’accord, que le texte oblige les banques à traiter « équitablement » et « au moins » à parts « égales » (l’expression latine employée est « pari passu« ). Or, si le texte précise « au moins pari passu », nombre d’observateurs feront remarquer que dans les faits, les banques traiteront « au mieux » les deux types d’hypothèques pari passu, alors qu’en bonne logique, les secondes hypothèques devraient être traitées avec un rang inférieur.

Il existe donc un risque que l’accord ne force pas les banques à prendre dans la figure les pertes sur leurs secondes hypothèques, lesquelles seront en fait « transférées » en douce sur les RMBS détentrices majoritairement de premières hypothèques.

Ce problème n’est pas mineur. Le 25 janvier, la firme R&R consulting, spécialisée dans l’évaluation des produits structurés (typiquement, les RMBS…) publiait un rapport selon lequel les grands collecteurs de crédits n’avaient pas correctement répercutés 175 milliards de dollars de pertes (emprunts en retard, etc.) sur les fonds concernés, et auraient encore 300 milliards de pertes latentes dans les tuyaux. Il semble que l’enjeu, pour les banques collectrices, soit de faire porter un maximum de pertes aux tranches « senior », et de préserver les revenus des tranches junior (liens en fin d’article). Si tel est le cas, l’escroquerie aux RMBS atteindrait des sommets.

En tout état de cause, j’attends avec impatience le texte de l’accord définitif pour savoir si ces craintes sont fondées. Mais les doutes sont réels.

Conséquences pratiques

Si les termes de l’accord sont aussi contournables par les banques, cela constituerait indéniablement une défaite pour l’état de droit et une victoire pour les banques.

La question est de savoir si cet accord ouvrirait la voie à d’autres « transactions » aussi favorables aux banques, notamment par rapport à la plainte du procureur Schneiderman contre le MERS et les banques actionnaires (dont les big 5) dans l’État de New York pour fraude sur la législation des titres, ou celle intentée par la tutelle de Fannie Mae et Freddie Mac contre 17 banques, toujours sur le volet « titres » du foreclosure gate.

Si tel devait être le cas, il est clair que même pour Bank of America, pourtant en très petite forme, comme je l’ai souvent dit ici, le spectre de la faillite s’éloignerait. Si tout est fait pour trouver le moyen d’exonérer les banques de leurs fautes sans perdre la face, alors aucune ne tombera. Mais la justice américaine n’est pas monolithique : des magistrats indépendants pourraient avoir la main bien plus lourde que 50 procureurs politisés en année électorale…

Évidemment, si les banques incriminées peuvent s’en tirer après avoir autant piétiné l’état de droit, quel degré de confiance les partenaires commerciaux de ces banques pourront-ils leur accorder à l’avenir, ça, c’est une autre histoire…

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Lire également : articles de base pour comprendre le Foreclosure Gate : 

Lire également : 

Commentaires sur l’accord :

Avis positif sur l’accord : 

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Sur le web

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