Une religion raisonnable ne nous demande rien d’autre que d’être bons, c’est-à-dire moralement rationnels. Mais elle ne nous le demande pas pour des raisons rationnelles. Elle nous le demande par obéissance à une révélation.
Par Fabrice Descamps.
La plus éminente des sagesses antiques, le stoïcisme, nous avait appris comment atteindre le bonheur.
Il avait en effet constaté que nous cherchions tous à être heureux, mais que peu d’entre nous y parvenaient faute de trouver le vrai bien dont la possession leur apporterait un bonheur stable et durable. Seul le sage – le stoïcien -, en usant de sa raison, atteignait un bonheur indifférent aux coups du sort et aux revers de fortune car la source de ce bonheur résidait en lui seul et était impérissable.
Partisan d’un utilitarisme objectif, c’est-à-dire d’un utilitarisme qui voit dans le développement de notre raison la forme supérieure du bonheur, il va sans dire que je suis fort sensible au message du stoïcisme.
Quelque chose cependant a échappé aux stoïciens, une aporie qui se niche au cœur même de la raison et en menace tout l’édifice. On pourra s’en rendre compte en posant la question suivante : est-il rationnel d’être rationnel ?
Le stoïcien nous recommande en effet de nous servir de notre raison pour atteindre un bonheur stable et pérenne. Mais si nous en sommes entièrement dépourvus, comment nous en servir ? Si nous en sommes privés, il nous faudra préalablement prendre la décision de devenir rationnels. Or nous ne pourrons pas prendre cette décision en nous fondant sur un raisonnement puisque justement nous sommes encore dépourvus de toute rationalité. Devenir rationnel si l’on ne l’est pas encore ressortira donc à un mouvement irrationnel, un désir irrationnel de l’être. Or comment pourrions-nous ressentir un tel désir si ce n’est par hasard ? Nous connaîtrions ainsi un désir subit d’être rationnels, exactement comme, lors d’un coup de foudre, nous ressentons un désir subit et violent pour un être. Voilà qui n’est guère rassurant pour la raison.
Le partisan du stoïcisme pourrait immédiatement m’objecter qu’il n’est nul besoin d’être rationnel pour comprendre que nous avons intérêt à préférer un bonheur stable à un bonheur éphémère. Certes, mais la saisie de notre intérêt indiquerait déjà chez nous la présence d’une rationalité embryonnaire. Or, si nous sommes vraiment irrationnels, sommes-nous même capables de saisir notre intérêt bien compris ?
C’est précisément cette aporie de la raison que la religion prend en compte. Car la vraie religion — la religion raisonnable, pas le fanatisme — ne nous demande rien d’autre que d’être bons, c’est-à-dire moralement rationnels. Mais elle ne nous le demande pas pour des raisons rationnelles. Elle nous le demande par obéissance à une révélation, à un dieu, par dévotion envers lui, par amour de la divinité qui occupe notre culte.
Pour parodier Pascal, il y a donc trois sortes de gens : les gens simples, les demi-habiles et les gens habiles. Les gens simples obéissent aux ordres de la religion sans se poser de questions. Les demi-habiles refusent la religion car elle leur paraît irrationnelle. Les gens habiles acceptent l’irrationalité de toute religion car ils savent qu’on ne devient pas rationnels pour des raisons rationnelles.
Je ne crois pas que la Bible soit le résultat d’une révélation divine. En revanche, je pense que ceux qui ont écrit la Bible se devaient de présenter ses commandements comme une révélation divine pour qu’ils fussent crus, acceptés et obéis. Le prophète est obligé de tromper les gens simples. C’est le seul moyen de les convaincre de devenir rationnels s’ils ne le sont pas encore. Il les trompe pour la bonne cause. Et les gens habiles savent qu’il ne peut faire autrement. Les bouddhistes ont d’ailleurs inventé un nom pour désigner cette tromperie : ils l’appellent justement les « moyens habiles ».
Les gens habiles pratiquent donc encore une religion, mais ils la pratiquent « au second degré », si vous me passez l’expression. Ils savent que ses manifestations apparemment irrationnelles, comme la croyance en une révélation divine, sont des moyens habiles et inévitables pour convaincre l’individu totalement irrationnel de devenir bon et rationnel.
Abandonner la religion reviendrait à courir un énorme risque. Imaginez en effet que les générations qui nous succèdent soient la proie de vagues subites d’irrationalité. Comment les en protégerons-nous si nous le leur léguons pas une religion ?
Inversement, la religion, lorsqu’elle devient fanatique, représente un danger tout aussi grave. Il nous faut donc combattre le fanatisme à l’intérieur même de notre religion et répéter sans cesse qu’une religion dont les membres ont des comportements irrationnels, autrement dit une religion fanatique, est un non-sens. Les fanatiques sont les ennemis mortels de la vraie religion. Ils la sapent de l’intérieur.
Quand mes enfants me demandent qui est Dieu, je leur réponds donc qu’il est la source de toute vérité et de toute raison et qu’il nous parle à travers notre conscience. Croire en Dieu, c’est croire qu’il y a des faits objectifs en dehors de notre esprit et que, parmi ces faits objectifs, il y a des faits moraux. Croire en Dieu, c’est croire par exemple que Dieu nous a interdit de voler. La croyance en Dieu se résume selon moi en la croyance en l’objectivité de ses commandements. Comme disait Rabbi Hillel, tout le reste, ce sont les commentaires.
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Sur le web
« Le prophète est obligé de tromper les gens simples. »
Il découle de cette affirmation que le prophète n’est qu’un constructiviste de plus, cherchant à imposer sa vision du bien, son éthique personnelle, à autrui. Affreusement médiocre, ce prophète, d’autant que le bien contraint n’est plus le bien puisque du fait de la contrainte, il devient le mal ! La seule hypothèse rationnelle pour que le prophète ne soit pas banalisé au milieu des tyrans, des socialistes ou des collectivistes de tout bord et de tout temps est que la Bible soit effectivement le résultat d’une révélation divine. La seule hypothèse rationnelle pour la morale devienne « morale » est d’admettre son essence divine.
Ceci dit, reste la question de la liberté mise à mal par le corset de cette morale d’essence divine bien pesante et contraignante. En niant la nature humaine de façon aussi évidente, Dieu serait-il, lui-aussi, un banal et médiocre constructiviste ? A l’évidence, il manque quelque chose d’essentiel à cette construction.
RT @Contrepoints: Les deux voies de la sagesse: http://t.co/rgs2ICx1
« Les deux voies de la sagesse » http://t.co/PD3B45hS via @Contrepoints
« Une religion raisonnable ne nous demande rien d’autre que d’être bons, c’est-à-dire moralement rationnels. »
Ce n’est en tout cas pas ce que demandent les écrits bibliques, comme semble le croire l’auteur de l’article. Ils affirment même que seul Dieu est bon.
« En revanche, je pense que ceux qui ont écrit la Bible se devaient de présenter ses commandements comme une révélation divine pour qu’ils fussent crus, acceptés et obéis. Le prophète est obligé de tromper les gens simples. »
C’est complètement ridicule: nombreux prophètes de la Bible n’ont pas été crus de leur vivant, ils ont été considérés comme fous, parfois même persécutés ou mis à mort, alors mentir pour ça, c’est le summum de l’imbécilité.
Je pense au contraire qu’ils étaient totalement convaincus de tenir leurs révélations de Dieu, et ce, à tord ou à raison, au croyant d’en décider…
« La croyance en Dieu se résume selon moi en la croyance en l’objectivité de ses commandements »
Sauf que si l’on définit soi-même quels sont les commandements de Dieu, cela revient à croire en soi, et dans ce cas, cela n’a pas de sens de faire intervenir « Dieu »…
Cette phrase: « Car la vraie religion — la religion raisonnable, pas le fanatisme — ne nous demande rien d’autre que d’être bons, c’est-à-dire moralement rationnels. » et franchement dangereuse.
Une « vraie » religion est donc une bonne religion et une bonne religion est une vraie religion… TOut repose sur l’adjectif « Bon ».
Selon certains il est bon d’etre fidele en couple. Selon moi ca n’a riena voir avec la bonte. C’est un choix…
Selon certains l’onanisme est mal. Selon moi il n’en est rien. Est-ce a dire que les vraies religions ne sont pas les memes pour moi que pour les autres?
Par ailleurs la condescendance dont l’auteur fait preuve a propos des citoyens de faible culture, ou « gens simple » par exemple fait froid dans le dos. A Pascal j’oppose Coluche qui faisait remarquer que l’Etat voulait qu’on soit intelligents tout en nous prenant pour des cons. SI la religion a besoin de tels ressorts, alors elle est tout aussi despotique que l’Etat.
Ce « philosophe » est un charlatant!
Point de vue qui rejoint celui de Habermas, mais ce dernier va plus loin: La religion ne peut influencer qu’une société où les croyants sont suffisamment nombreux, voire majoritaires.
Pascal quant à lui usait de raison pour inciter à s’ouvrir à l’hypothèse que Dieu, et à le prier – confiant qu’il était dans ce que ce premier pas mènerait à la foi. Car qui cherche sincèrement Jésus, tel Zachée, Jésus vient se présenter à lui. Pascal était ce qu’on appellerait aujourd’hui un chrétien intégriste, un scientifique et un libéral.
Car tout cela se tient.
Et il reste un dernier dogmatisme de notre époque dans cet exercice de la raison: La rupture avec le relativisme.
Car tout s’y inscrit dans la tradition chrétienne, qui est celle d’un absolu réduit à ala morale au sens chrétien, soit les relations à autrui (morale) et à Dieu (spiritualité). Le tout sans contrainte, la coercition étant le propre d’une autre autorité, l’État, qui, lui, n’est pas dans l’absolu mais dans le siècle (et dans ses frontières).
Sur tous ces points, l’islam prend le contrepied du christianisme.
C’est pourquoi il en interdit les textes à ses fièles (la Bible est si impure selon l’islam qu’elle ne peut pénétrer en un lieu saint musulman, ni dans plusieurs pays, ni entrer en possession de musulmans – un énorme autodafé moderne et permanent).
L’islam ne s’inscrit pas dans la continuité du judaïsme et du christianisme, mais les éradique.
Il ne remande pas d’être bon mais de se soumettre au halal/haram tel que dicté par la mosquée. Il ne reconnaît pas notre jugement en conscience, contrairement au christianisme (gardez-vous des faux prophètes, que vous reconnaîtrez à leurs fruits).
Il donne au contraire en exemple absolu Mahomet, qui a commis tous les crimes de paix et de guerre (assassinat d’opinion, lapidation pour fornication, génocide des Banu Qurayza, pédophilie, pillage … ) en lieu et place de Jésus.
Alors, si vous reconnaissez que vous avez un raisonnement circulaire, c’est-à-dire que c’est votre raison qui vous indique de suivre votre raison, pourquoi serait-elle moins bonne que le raisonnement circulaire des religieux, c’est la bible qui indique aux croyants que la bible est vérité?
Ne faut-il pas avoir la foi dans la raison pour croire qu’elle peut nous guider? De même qu’il faut avoir la foi dans la bible pour croire qu’elle est juste et parole du Dieu vivant?
Ceux qui se confient dans leur raison présuppose que celle-ci est bonne. Les croyants présupposent que cette dernière est mauvaise et la soumette à la bible.
Mais, peut importe si vous êtes religieux ou quelqu’un qui se prête à l’exercice de la raison, à la base vous posez un acte de foi.
@jrd
« Ceux qui se confient dans leur raison présuppose que celle-ci est bonne. Les croyants présupposent que cette dernière est mauvaise et la soumette à la bible. »
Pas du tout, la raison est essentielle dans la religion chrétienne.
Il y a les dogmes, la Parole, mais ils ne heurtent pas la raison. Au contraire.
Les dogmes chrétiens ont trait à la morale, à la spiritualité, à l’anthropologie: Autant de domaines où nos décisions personnelles et collectives échappent à la raison, et relèvent du choix.
Dans la religion chrétienne, Dieu veut éclairer ces choix
On ne peut pas rouver qu’il faut être monogame et fidèle: Cela relève de la morale, du Bien et du Mal, pas du Vrai et du Faux.
Il faut n’avoir jamais lu une encyclique pour croire que l’Église catholique (pour prendre cet exemple) ne raisonne pas ou n’observe pas. On y trouve au contraire une réflexion sociologique de très haute tenue.
@bubulle
« Ceci dit, reste la question de la liberté mise à mal par le corset de cette morale d’essence divine bien pesante et contraignante. »
L’Église prétend à l’autorité morale, éclairée par la Révélation.
Mais elle s’interdit d’imposer, c’est le sens de la distinction entre Dieu et César. Dieu a vécu parmi nous et n’a contraint personnne à quoi que ce fût. Son enseignement interdit de châtier en son nom (jeter la pierre).
L’autorité régalienne agit donc sous sa propre responsabilité.
L’Église règne sur la morale, qui est l’absolu, hors du temps et de l’espace, comme Dieu. L’État est dans le siècle et ses frontières.
Voilà le modèle qui a dominé l’Occident pendant mille ans, durant lesquels j’ose dire qu’il a éclairé le monde.
C’est donc contre la morale d’État que vous devriez vous élever si vous voulez être cohérent, pas contre celle de l’Église.
1905 a spolié l’Église de son autorité morale et rompu avec mille ans de civilisation chrétienne, et 2 ruptures catastrophies:
– Les autorités morale et régalienne sont réunies dans les mêmes mains, donc l’observance morale est maintenant imposée manu militari
– L’État étant toujours limité dans le temps et l’espace, répand la notion absurde et funeste du relativisme, qui anéantit la nation et même la pensée.
Relisez mieux ! Je ne me suis pas du tout élevé contre la morale de l’Eglise, j’essaye au contraire d’en comprendre le fondement. Mais pour cela, il faut répondre à la question posée.