Des cinq objets fédéraux en votation ce dimanche, l’initiative de l’écologiste Franz Weber « pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires » est la seule grosse surprise, puisqu’elle passe la rampe avec 50,6% des voix.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.
Revenons sur les objets soumis au vote.
Épargne-logement : le texte visait deux objectifs, encourager l’accession à la propriétée privée et les rénovations à but écologique. L’épargne-logement aurait permis à chaque foyer de constituer un fonds défiscalisé, rempli au maximum pendant dix ans à hauteur de 15’000 CHF par an, pour acquérir une résidence principale. L’initiative me laissait dubitatif, la cherté de l’immobilier en Suisse venant de la rareté de l’offre. Renforcer la demande dans ce contexte n’aurait fait que monter les prix d’autant. En fin de compte, seule la perspective de diminuer les prélèvements fiscaux avait un intérêt. Cette initiative a été rejetée par 55,8% des votants.
6 semaines de vacances : de tous les objets en votation, l’initiative de Travail.Suisse (abordée ici) était clairement le plus gros danger pour la santé de l’économie helvétique. Il ne s’est pas concrétisé, le peuple suisse refusant avec 66,5% de Non de céder aux sirènes de la facilité « à la française ». On regardera avec plaisir l’hilarant reportage de la RTS sur le sujet, suivant les pérégrinations de Samah Soula, journaliste de France2, interdite devant ces Suisses qui aiment tant travailler…
Jeux d’argent : sous son nom officiel – Arrêté fédéral concernant la réglementation des jeux d’argent en faveur de l’utilité publique – l’objet donna lieu à peu de débats, tous les partis s’étant entendus pour le soutenir. Il a donc obtenu 87% de Oui, ce qui ne m’a jamais empêché de le trouver aberrant. Le texte inscrit dans la Constitution des absurdités comme l’obligation pour les loteries et les paris sportifs de reverser leurs bénéfices à des activités publiques, culturelles, sociales ou sportives, garantissant un enterrement de première classe aux jeux d’argent locaux face à la concurrence d’Internet. Nous verrons un peu plus tard de quelle façon la Confédération mettra en place un flicage pour empêcher les aficionados de s’adonner aux paris en ligne…
Prix du Livre : le projet du Parlement visait à instaurer un prix fixe du livre dans toute la Suisse. J’avais également démoli l’absurdité de ce projet ici, ce qui n’a de loin pas empêché la Suisse romande de s’engouffrer dans la brèche. Les Suisses alémaniques eux, ont connu une politique de prix unique jusqu’en 2007 et savent à quoi s’en tenir… Bientôt un projet de prix unique du livre romand ?
Résidences Secondaires: le gros écueil du jour vient bien sûr de l’acceptation de l’initiative « Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires » de l’inénarrable Franz Weber. Elle est censée réduire à 20% la part de résidences secondaires dans chaque commune de Suisse.
On a coutume de dire que la démocratie est parfois la dictature de la majorité ; l’écologiste a su jouer de ce registre dans une opération politique qui restera un modèle du genre.
La carte des cantons montre bien cet état de fait. En vert, ceux qui ne sont pas concernés le moins du monde par le texte et qui ont largement approuvé l’initiative (qui ne voterait pas pour des montagnes jolies avec de paisibles vaches qui broutent ?) et en rouge, ceux dont le modèle économique repose sur le tourisme, frappés de plein fouet, et qui l’ont donc massivement rejetée.
Vae victis, disait Brennos. Malheur aux vaincus. Vaincus aujourd’hui les Valaisans, dont l’emploi de milliers de travailleurs du milieu de la construction (et pour tout dire, un pan entier de l’économie) vient d’être jetés à bas par des citadins accrochés à une certaine image d’Épinal des montagnes helvétiques.
Cette initiative est dangereuse pour plusieurs raisons. Elle détruit le fédéralisme – à dessein – puisque l’aménagement du territoire est du ressort de chaque canton et de ses communes. Elle pose que le tourisme des résidences secondaires est quelque chose de nuisible et à combattre, et j’en attends encore la démonstration. Finalement, elle menace la sphère privée de façon inquiétante.
En effet, une maison est une maison, rien de plus. Le terme de « résidence principale » ou de « résidence secondaire » dépend seulement de l’usage qu’en fait son propriétaire. Cet usage peut varier au cours du temps, selon que l’heureux possesseur du bien immobilier soit actif ou à la retraite, par exemple. Elle peut changer au gré des propriétaires successifs de la maison. Il n’y a là rien de figé.
Or, en plaçant une limite arbitraire sur le nombre de résidences secondaires que doit comporter une commune, l’initiative prétend régir l’utilisation qui est faite des biens immobilier. Il va donc falloir établir cet usage. Cela veut dire, surveiller, questionner et interroger les propriétaires pour vérifier qu’untel ou untel « habite bien » dans sa demeure le temps qu’il faut lorsqu’il déclare que c’est sa résidence principale, ou lorsqu’il a déclaré acheter une maison pour un tel usage.
L’Autriche dispose d’une telle loi, fixant le taux de résidences secondaires à 8% dans certains villages. Résultat ? Un jeu du chat et de la souris entre des propriétaires prétendant habiter dans leur logement en tant que résidence principale, et des autorités traquant la consommation d’eau et d’électricité et le remplissage de la boîte aux lettres sur la durée pour vérifier que l’habitant est bien là… Mais la guéguerre n’est pas très virulente, car absolument personne n’a vraiment envie de respecter la loi. Ni les propriétaires, qui payent assez cher leur logement de vacances pour qu’on vienne leur chercher des poux, ni les autorités locales, qui se font fort de vivre de ces résidents saisonniers et du secteur de la construction. En pratique, le texte a été complètement vidé de son sens.
C’est ainsi que je ne suis pas trop inquiet pour le Valais et les autres sites touristiques de Suisse. Cette initiative est totalement inapplicable – et au lendemain de la votation avec champagne et cotillons, ça commence gentiment à se savoir.
C’est tout simple. Soyons « optimistes » et supposons que les chambres du Parlement parviennent à établir un projet de loi qui tienne à peu près la route et que ladite loi passe la rampe. Que se passera-t-il ? Son application sera nécessairement déléguée aux cantons et aux communes. La façon dont la loi sera rédigée rendra le corset plus ou moins serré, mais il ne faut pas s’y tromper : à moins d’une police fédérale qui reste à inventer, le contrôle de la qualification des logements en « résidence principale » ou « résidence secondaire » incombera nécessairement aux autorités locales.
Or, en refusant le texte à 73,8%, le Valais a clairement fait entendre son rejet. Du coup, j’en déduis que la traque aux résidences secondaires surnuméraires ne va pas être très, très intense. Ne minimisons pas les effets néfastes de la loi : désormais, la construction en Valais devra passer par encore plus de chicaneries administratives pour faire passer le projet comme « résidence principale ». Mais pour qui veut vraiment son châlet, il y aura bien moyen. Et en attendant, M. Weber n’a fait qu’empirer la situation.
Nous sommes en 2012 et les Suisses, accrochés à une certaine idée de leurs montagnes, nous rejouent la ridicule Initiative des Alpes de 1994, vraisemblablement avec le même effet.
Comme quoi, il ne suffit pas de décréter et de voter pour que la réalité se plie et se soumette. Si MM. Weber et ses amis veulent que les montagnes restent immaculées, il n’ont qu’à s’en rendre propriétaire en achetant les terrains constructibles et en renonçant à y construire quoi que ce soit. À cette seule solution réellement légitime, ils préfèreront dévoyer la démocratie en dictature de la majorité, dressant les régions de plaine contre celles de montagne.
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